Diane 35 : comment un anti-acnéique a été prescrit comme pilule contraceptive
Le médicament est accusé d'avoir provoqué la mort de quatre personnes depuis sa commercialisation. L'ANSM a décidé aujourd'hui d'en suspendre la vente.
Elles sont 315 000 femmes à avaler tous les jours un comprimé de Diane 35. D'abord pour soigner leur acné, mais aussi pour éviter de tomber enceinte. Pourtant, cet anti-acnéique du laboratoire Bayer, commercialisé depuis 1987, ne bénéficie pas d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) en tant que pilule contraceptive. Problème : Diane 35 serait responsable de quatre décès depuis sa mise en vente, ce qui n'a pas manqué de relancer la polémique sur les risques liés à la contraception orale.
En réponse, l'Agence nationale de sécurité du médicament a décidé de "suspendre" les ventes de cette pilule et de ses génériques d'ici à trois mois. Selon son directeur, DominiqueMaraninchi, le rapport bénéfice-risque a été jugé "défavorable dans le traitement de l'acné". Ces médicaments "ne doivent plus être employés comme contraceptifs", ajoute-t-il dans un communiqué. Mais comment en est-on venu à prescrire un anti-acnéique en guise de pilule ? Eléments de réponse.
1Des médecins libres de prescrire
C'est écrit noir sur blanc dans l'article 8 du code de déontologie médicale : "Le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance." Concrètement, les médecins peuvent prescrire des médicaments hors AMM si cela leur semble dans l'intérêt du patient.
Contactée par francetv info, Anne Laude, professeure à l'université Paris Descartes et codirectrice de l’Institut droit et santé, détaille les obligations entourant cette pratique. "Avant, les médecins devaient mentionner sur l'ordonnance que le médicament n'était pas remboursé." En 2011, la loi Bertrand (PDF) est venue notamment renforcer l'encadrement de ces prescriptions hors AMM. Les professionnels de santé doivent aussi respecter la loi Kouchner de 2002 et "informer (le) patient de la thérapeutique (proposée), de ses risques et obtenir son consentement". Ce qui n'est "pas systématiquement fait", reconnaît-elle.
Mais dans le cas de Diane 35, certaines femmes se la sont vues prescrire sans véritable raison, déplore Françoise Tourmen, médecin gynécologue en centre de planification et membre de Formindep, association pour une formation médicale indépendante. "Elles l'ont parfois prise pour des acnés peu sévères, parce qu'elles avaient un peu de boutons et la peau grasse. Et surtout, on ne leur a pas arrêté après. Or, il ne faut pas l'utiliser trop longtemps et pas plus de 2-3 mois après la guérison de l'acné."
2L'acné, un sujet qui fait recette
"La peau et l'acné constituent un sujet sensible du marketing médical", confie Françoise Tourmen à francetv info. Par conséquent, "les femmes ont réclamé" Diane 35. "Certaines de nos patientes l'évoquaient en consultation, une copine leur en avait parlé, ça fonctionnait pour la peau." Les collègues dermatologues "nous envoyaient aussi des patientes", raconte-t-elle.
"J'ai vu arriver des femmes qui prenaient cette pilule depuis des années, qui y étaient très attachées parce qu'elle avait amélioré leur peau. Et elles ne voulaient plus l'arrêter", poursuit Françoise Tourmen. Elizabeth Paganelli, secrétaire générale du syndicat national des gynécologues-obstétriciens français, ne dit pas autre chose : "J'ai des dames qui, quand elles l'ont prises, voulaient la même chose pour leurs filles. Elles étaient demandeuses."
Que faire, aujourd'hui ? "Moi, je veux être tranquille. Petit à petit, nous allons arrêter de la prescrire s'ils ne la veulent plus", confie Elizabeth Paganelli. "On va proposer des antibiotiques pour l'acné, on les renverra chez les dermatologues pour qu'ils leur donnent du Roaccutane…"
3Un packaging trompeur
Pour Françoise Tourmen, tout repose sur une duperie. "On a présenté Diane 35 auprès des gynécologues et des centres de planification comme une pilule bonne pour la peau", alors que "le laboratoire Bayer n'a pas fourni d'études sur son effet contraceptif". Or, tout était fait pour qu'on la considère comme telle. "Le packaging déjà… Et puis on prend un comprimé par jour pendant 21 jours, on arrête pendant 7 jours. Sans compter que le médicament a été vendu d'entrée en boîte d'une ou trois plaquettes, comme les pilules", énumère le médecin.
"Ils l'ont vendue comme une pilule et la Sécu l'a considérée comme telle", renchérit Elizabeth Paganelli. Pour Françoise Tourmen aussi, le monde médical et les instances gouvernementales ont entretenu une relation ambiguë avec Diane 35, alors même que le fabricant n'a jamais demandé l'AMM comme contraceptif. "Constituer un dossier d'AMM, c'est hors de prix", explique Elizabeth Paganelli. Et de rappeler qu'"en gynécologie, on est souvent à la limite de la prescription. Quand une patiente fait une fausse couche, on lui donne du Cytotec [médicament utilisé dans le traitement des ulcères d'estomac]. Pourtant il n'y a toujours pas d'AMM en France pour cela."
4L'industrie en embuscade
Pour Françoise Tourmen, cette nouvelle polémique met en lumière les liens sous-jacents entre le monde médical et les laboratoires. "Tous les médecins ne sont pas achetés par les industriels, mais il faut être très vigilant sur l'influence de l'industrie", précise-t-elle. Dans le cas de Diane 35,"il fallait lire la revue spécialisée Prescrire, qui a été l'une des premières à avertir sur les risques, à aller voir à l'étranger" pour se faire une idée, détaille celle qui a prescrit Diane 35 pendant des années avant d'arrêter. "C'est tout un système qu'il faut assainir un peu. En espérant que cette affaire y participe", lâche-t-elle, ajoutant que les formations ne sont pas toujours indépendantes vis-à-vis des laboratoires.
Mais la gynécologue Elizabeth Paganelli balaie les critiques : "On nous reproche d'avoir prescrit des médicaments parce qu'on est influencés par les industriels, par les laboratoires. Mais ça faisait des années que Bayer ne nous présentait plus Diane 35 !" Et de renchérir : "On savait que Diane augmentait les risques, mais à peu près comme l'anneau vaginal ou le patch contraceptif [qui contiennent tous deux les mêmes produits que les pilules de 3e génération]. Vous remarquerez au passage que personne n'en parle…"
Pour la spécialiste, cette polémique ne profite qu'à l'industrie : "Je pense que ça arrange les labos de lâcher Diane 35. Plus on va faire peur à propos des vieilles pilules, plus ils vont pouvoir nous amener vers de nouvelles molécules qui seront vendues beaucoup plus chères. Or, on sait encore moins de choses sur elles. Vous savez, le bruit de fond, c'est toujours de faire déplacer une prescription vers une autre."
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