De l’anxiété à la stomatophobie, la peur du dentiste peut devenir incontrôlable
Près de la moitié des Français ont une dent contre le dentiste. Certains ont tellement peur qu'ils repoussent le moment s’y rendre jusqu’à ce que le besoin de soins se transforme en urgence.
Ellie Heidari, auteure de cet article, est professeur au King's College de Londres. La version originale de cet article a été publiée sur le site The Conversation, dont franceinfo est partenaire.
On peut affirmer sans grand risque de se tromper que peu de gens aiment rendre visite à leur dentiste. En fait, plus de 45 % des Britanniques affirment se sentir anxieux lorsqu’ils doivent aller chez le dentiste (_ndrl : en France, le chiffre est de 48 % selon un sondage Opinion Way_). Chez près de 12 % d’entre eux, cette anxiété atteint de tels niveaux qu’ils repoussent le moment s’y rendre jusqu’à ce que le besoin de soins se transforme en urgence. Pour ces personnes – dont on peut dire qu’elles ont une phobie des soins dentaires, ou stomatophobie – la simple perspective d’une visite à venir suscite émotions terrifiantes et nuits d’insomnies.
Nos recherches antérieures ont confirmé que les personnes souffrant de phobie dentaire ont davantage de caries et une moins bonne santé dentaire que les autres. Cette situation peut résulter de rendez-vous manqués avec le dentiste, d’une moins bonne hygiène buccale ou de mauvaises pratiques en termes de brossage. Elle est aggravée par le tabagisme, qui entraîne des maladies des gencives, ou une consommation excessive de sucre, qui favorise la survenue de caries.
Une hygiène bucco-dentaire déficiente peut affecter la vie des individus de diverses façons – en particulier en ce qui concerne les repas, la prise de parole, le fait de sourire… Les gens victimes de problèmes dentaires évitent en effet d’ouvrir la bouche, ce qui peut avoir des conséquences dans certains contextes sociaux. Le fait d’avoir des dents cassées, ou manquantes, complique également la mastication et les repas. En dépit de ces problèmes, de nombreuses personnes victimes de phobie dentaire attendent que leur douleur devienne insupportable avant de se rendre chez le dentiste.
Un cercle vicieux
Dans ces situations, lorsque les patients ont repoussé le moment de se rendre chez leur dentiste durant une longue période, la probabilité que les soins requis lorsqu’ils se décident à y aller soient complexes (traitement du canal radiculaire, pose de couronne, extraction chirurgicale…) augmente fortement. En effet, si une carie n’est pas traitée rapidement, elle progresse en s’attaquant à davantage de matériau dentaire – finissant par exposer le nerf situé dans la dent – et augmentant le risque d’infection
À mesure que la carie progresse, le risque que la dent ne se brise s’accroît – parfois sous la gencive, ce qui complique l’extraction. Pour le patient, cela signifie souvent passer plus de temps dans le fauteuil du dentiste, et risquer de souffrir davantage après l’opération.
Pour les personnes souffrant de stomatophobie, la perspective du moindre soin dentaire génère de l’anxiété. Pour elles, les traitements qui nécessitent de passer plus de temps chez le dentiste ou requièrent des visites multiples peuvent s’avérer proprement terrifiants.
Besoin de sédation
La stomatophobie entraîne un autre problème : les individus qui en souffrent ne peuvent être soignées que si une sédation consciente leur est proposée. Certains dentistes, qui ont l’expérience de l’anesthésie, peuvent proposer ce service. Ils utilisent un mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (gaz hilarant) ou des sédatifs tels que le midazolam qui peuvent aider les patients à se relaxer et se sentir plus calme durant les procédures de traitement dentaire. Dans certains cas, les patients peuvent être redirigés vers un hôpital pour subir une anesthésie générale.
Il existe des dentistes et des cabinets spécialisés dans la prise en charge des personnes souffrant de phobies dentaires – ils sont notamment en mesure de proposer des plages de rendez-vous plus longues. Cependant les listes d’attente sont généralement conséquentes, ce qui complique la situation des patients ont des problèmes dentaires et souffrent beaucoup mais ont trop peur des traitements conventionnels.
Les autres façons d’aider les patients
Certains hôpitaux et praticiens proposent aux patients atteints de stomatophobie des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) afin de vaincre leur phobie. Une étude antérieure menée au King’s College de Londres a révélé que cette approche était très efficace – permettant aux personnes souffrant de stomatophobie de dépasser leur peur de se rendre chez le dentiste, et même d’y recevoir des traitements sans sédation.
Ces patients se voient également adresser des conseils plus personnalisés, visant à les faire adopter des pratiques destinées à améliorer leur hygiène bucco-dentaire : meilleure technique de brossage, conseils pour cesser de fumer… L’espoir est qu’ainsi armés des connaissances appropriées, ils auront davantage confiance dans leur hygiène bucco-dentaire, ce qui devrait aider à limiter la survenue d’autres maladies et réduire l’anxiété associée à la consultation dentaire.
Toute phobie peut s’avérer difficile à gérer, mais lorsqu’il s’agit d’une phobie affectant la santé et la qualité de vie quotidienne, les effets peuvent être dévastateurs. Parvenir à la maîtriser permet non seulement d’aider les patients qui en sont victimes aujourd’hui, mais aussi ceux qui pourraient l’être demain : en effet, la recherche a démontré qu’il existe des prédispositions familiales à certaines phobies.
Ellie Heidari, Senior Specialist Clinical Teacher at King's College London Dental Institute, King's College London
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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