Les Néandertaliens étaient-ils les premiers artistes au monde ? La découverte de peintures rupestres redessine nos connaissances
Des peintures rupestres découvertes dans trois grottes, en Espagne, laissent penser que l'homme de Néandertal était capable de s'exprimer avec des symboles, tout comme l'"Homo sapiens".
Longtemps, les paléoanthropologues ont cru que l'art était le propre de l'Homo sapiens. La découverte, en Espagne, de peintures rupestres datant d'au moins 20 000 ans avant l'arrivée de l'homme moderne en Europe pourrait bouleverser les connaissances des scientifiques. Et si les Néandertaliens, installés dans la région bien avant leurs cousins sapiens étaient en fait les véritables premiers artistes du monde, capables de s'exprimer à travers des symboles ? C'est ce qu'avance une étude publiée dans la revue spécialisée Science, vendredi 23 février.
Qu'a-t-on découvert en Espagne ?
"Il était une fois, dans les sombres recoins d'une grotte dans le nord de l'Espagne, un artiste appliquant avec soin de la peinture rouge sur un mur, pour créer un motif géométrique : un symbole en forme d'échelle, composé de lignes verticales et horizontales", raconte la revue Scientific American (en anglais). Cela peut sembler romancé, mais c'est bien ce que laisse penser cette découverte, dans la grotte de La Pasiega, à côté de Bilbao. Une "échelle", autour de laquelle des têtes d'animaux, des alignements de points et un autre symbole plus complexe sont aussi représentés. Les chercheurs allemands et britanniques qui l'ont étudiée estiment qu'elle a été peinte il y a 64 800 ans.
A environ 600 kilomètres de là, dans l'ouest de l'Espagne, près de la frontière portugaise, la grotte de Maltravieso, révèle une autre œuvre, plus ancienne encore. "Un autre artiste a posé sa main sur la paroi et craché de la peinture autour de ses doigts pour laisser l'empreinte de sa main, comme un pochoir, travaillant à la lumière vacillante d'une torche ou d'une lampe à huile, dans l'obscurité profonde", détaille encore Scientific American. Cette trace-là est âgée d'environ 66 700 ans.
Direction la côte Sud, dans la grotte des Ardales, à côté de Malaga. Là, c'est un rideau naturel, formé de stalagmites et stalactites, qui semble avoir été, par endroits, peint en rouge, il y a 65 500 ans.
Comment ces peintures ont-elles été datées ?
Jusqu'à présent, déterminer l'époque d'une peinture rupestre sans la détruire était difficile. La nouvelle méthode cherche à déterminer leur âge minimum "en utilisant l'uranium-thorium qui date les croûtes de carbonate de calcium recouvrant les pigments", explique Dirk Hoffmann, de l'institut Max Planck (Leipzig, Allemagne), qui a dirigé l'étude. En mesurant la radioactivité restante d'isotopes d'uranium 234 et de thorium 230, elle peut remonter jusqu'à 500 000 ans en arrière.
Selon les résultats publiés dans la revue Science, les chercheurs ont mis en évidence, dans les trois grottes, des parois peintes dotées de couches de calcite vieilles d'au moins 64 800 ans.
Que nous apprennent ces peintures ?
"Nos résultats démontrent que les peintures que nous avons datées sont, de loin, les fresques rupestres connues les plus anciennes du monde", explique Chris Standish, archéologue à l'université britannique de Southampton et membre de l'équipe de chercheurs, à l'AFP. Si ces peintures ont bien été élaborées il y a environ 65 000 ans, soit au moins 20 000 ans avant l'arrivée de l'homme moderne en Europe depuis l'Afrique, elles n'ont alors pu être réalisées que par des Néandertaliens.
De nombreux signes indiquaient déjà que les hommes de Néandertal n'étaient pas les brutes primitives un temps imaginées. Les Néandertaliens étaient au contraire capables de mener des rituels élaborés. En France, la grotte de Bruniquel (Tarn-et-Garonne), a par exemple dévoilé des constructions d'origine humaine, datant d'il y a 178 000 ans. "Habitation ? Dispositif de rétention d’eau ? Lieu de culte ?, personne ne sait à quoi ont pu servir ces constructions, selon le CNRS. Mais Bruniquel confirme que plus de 130 000 ans avant l'arrivée des hommes modernes, des sociétés néandertaliennes avaient développé un niveau de sophistication que l’on pensait propre à Homo sapiens", assure Bruno Maureille, directeur de recherche au CNRS.
Les Néandertaliens font partie de notre famille, ils sont nos ancêtres. Ils n'étaient pas cognitivement disctincts ou dotés de moins d'intelligence. Ils sont juste une variante de l'humanité qui n'existe plus en tant que telle.
João Zilhão, chercheurThe Guardian
Mais, jusqu'à cette étude internationale, les peintures rupestres étaient l'un des derniers bastions séparant les humains modernes des Néandertaliens, qui ont disparu il y a quelque 35 000 ans. "C'est une découverte absolument exaltante qui suggère que les hommes de Néandertal étaient beaucoup plus évolués que ce que l'on pense d'ordinaire", souligne encore Chris Standish. "Les Néandertaliens et les hommes modernes ont partagé une pensée symbolique et devaient être cognitivement impossibles à distinguer", ajoute Joao Zilhao, de l'Institut catalan de recherche et d'études avancées à Barcelone, aussi impliqué dans l'étude.
Pourquoi faut-il être prudent avec ces découvertes ?
D'autres chercheurs sont sceptiques, ou au moins prudents, face à cette découverte qui les oblige parfois à reconsidérer leur vision de l'homme de Néandertal. Ludovic Slimak, spécialiste des sociétés néandertaliennes, explique au Monde que "les éléments de démonstration ne sont pas là". Selon lui, la seule datation à l'uranium-thorium est insuffisante. "Pour dater la grotte Chauvet, on a croisé plusieurs méthodes", ajoute-t-il, assurant que la technique de l'uranium-thorium est "connue pour varier suivant un certain nombre de facteurs physico-chimiques et donner des dates très anciennes aberrantes".
Clive Finlayson, directeur du Gibraltar Museum, interrogé par le Guardian (en anglais), estime qu'il est impossible d'éliminer avec certitude d'autres potentiels auteurs de cet art espagnol. "Il faut garder l'esprit ouvert. Qui d'autre était là à cette époque ?", s'interroge-t-il, évoquant le mystérieux homme de Denisova et imaginant d'autres espèces encore inconnues. Adam Brumm, archéologue à l'université Griffith de Brisbane (Australie), estime quant à lui que les chercheurs ont pu "dater la roche mais pas les peintures elles-mêmes" et se demande si les formations observées aux Ardales "ont pu être pigmentées naturellement".
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