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Crise à l'hôpital : on vous explique ce qu'est la tarification à l'activité et pourquoi elle est au cœur des débats

Article rédigé par Rachel Rodrigues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
La T2A, mode de financement majoritaire dans les hôpitaux, a eu pour effet de pousser l'hôpital vers une logique de rentabilité, dénoncée par une large partie des professionnels de santé. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)
Ce mode de financement des établissements de santé, instauré en 2004, a, selon ses détracteurs, incité les professionnels de santé à courir après la rentabilité en privilégiant des soins considérés comme rentables, quitte à renoncer parfois à un traitement plus adapté au patient.

"Un patient, ce n'est pas juste l'appendicite facturable du lit numéro 12". Thierry Amouroux, infirmier francilien, est amer. Et pour cause. Ces dernières années, le porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) a l'impression, à l'hôpital, de travailler dans une "usine". "Aujourd'hui, on prend de moins en moins en compte l'humanité des patients et on n'a plus le temps de les accompagner. Tout est fait pour que l'on multiplie les actes et que l'hôpital rentre dans son budget."

Depuis plusieurs années, les soignants alertent sur l'état de l'hôpital public en France. Après des mois de crise sanitaire, les services hospitaliers se sont à nouveau retrouvés saturés à l'automne 2022, assommés par le manque de moyens et confrontés à une triple épidémie de Covid-19, grippe et bronchiolite. L'urgence est telle que, pour la première fois depuis son arrivée à l'Elysée en 2017, Emmanuel Macron a dédié une cérémonie de vœux aux soignants, le 6 janvier.

Entre autres annonces, le chef de l'Etat a notamment mis sur la table la sortie de la tarification à l'activité (T2A) "dès le prochain budget de la Sécurité sociale". Un engagement et un délai confirmé par le ministre de la Santé, François Braun, lors de ses vœux aux soignants lundi 30 janvier. Il a notamment évoqué "un nouveau mix financier" à bâtir, "qui devra permettre de rémunérer à leur juste valeur les missions et le travail de chacun". Le mode de financement de la T2A, majoritaire dans les hôpitaux, a eu pour effet de pousser l'hôpital vers une logique de rentabilité, dénoncée par une large partie des professionnels de santé. Franceinfo vous explique comment elle fonctionne et pourquoi elle fait l'objet de critiques depuis sa mise en place. 

Les hôpitaux payés selon le nombre d'actes réalisés

Depuis 2004, les hôpitaux publics sont majoritairement financés par la T2A, comme l'explique le site viepublique. Concrètement, ce mode de financement consiste à rémunérer les établissements de santé en fonction du nombre de soins qu'ils prodiguent. Pour cela, le ministère de la Santé définit des "groupes homogènes de malades" (GHM) qui sont traités pour la même pathologie, avec le même niveau de sévérité. Pour chacun de ces groupes, il fixe le tarif perçu par l'hôpital de la part de la Sécurité sociale pour traiter ce type de patient. A titre d'exemple, pour un traitement chirurgical de la cataracte, un hôpital sera payé 1 367,97 euros pour réaliser une extraction du cristallin, selon les explications de l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) contactée par franceinfo, qui compile des données sur les établissements de santé. [dans une première version, nous donnions un autre chiffre incomplet, prenant en compte le prix de l'acte et non le prix du séjour passé à l'hôpital]

>> L'article à lire pour comprendre comment fonctionne l'hôpital public (et pourquoi ça craque)

Ce mode de financement revient à "conditionner la rémunération des établissements au traitement réalisé pour une pathologie plutôt que de leur donner un budget global annuel comme c'était le cas avant", détaille Jean-Paul Domin, économiste de la santé. Lorsque ce système est mis en place en 2004, sur le modèle des Etats-Unis, il succède à un mode de financement très critiqué. Chaque hôpital disposait alors d'une enveloppe au montant fixe, basé sur l'année précédente. Ce système avait l'avantage d'offrir de la visibilité aux établissements mais manquait de flexibilité pour s'adapter aux évolutions de l'activité. Si un hôpital voyait son nombre d'interventions réalisées augmenter, son budget n'évoluait pas en conséquence. La tarification à l'activité a donc été instaurée pour corriger ce problème. En outre, "la T2A devait rendre les établissements rentables", ajoute l'économiste. 

Une course à la rentabilité

Les limites d'un tel système n'ont cependant pas tardé à se présenter. Outre cette flexibilité, la T2A a également placé les hôpitaux dans une logique de rentabilité, que de nombreux professionnels de santé déplorent. Jean-Paul Domin explique qu'avec la tarification, si un hôpital dépense davantage que le tarif fixé, il est déficitaire et se retrouve donc incité à faire des économies. En reprenant l'exemple de la cataracte exposé précédemment, si le traitement d'extraction du cristallin (dont le tarif a été fixé à 112,60 euros) coûte finalement 120 euros à l'hôpital – en cas de complications par exemple –, celui-ci perdra de l'argent. Si, en revanche, l'intervention lui coûte 100 euros, l'établissement dégagera une marge. 

"Ce système introduit l'idée selon laquelle un hôpital a intérêt à réduire le coût de traitement du patient pour augmenter ses profits."

Jean-Paul Domin, économiste de la santé

à franceinfo

Résultat, un changement de paradigme s'opère dans l'esprit des soignants. "Ces tarifs nous incitent à nous demander quels actes seront les plus lucratifs", détaille Anne Gervais, médecin, spécialisée en hépatologie à l'hôpital Bichat à Paris. Au quotidien, cela a ses conséquences. "En radiologie par exemple, on peut être amené à multiplier les examens pour rentabiliser le matériel", illustre Thierry Amouroux. Selon Jean-Paul Domin, cette course à la rentabilité peut également pousser certains services à implicitement choisir leurs patients, entre "ceux qui rapportent" et ceux dont le traitement "coûtera trop cher à l'hôpital"

Cette logique de rentabilité remet parfois en cause la pertinence des soins prodigués. "La T2A nous incite à produire plus d'actes sans réfléchir à ce qui serait le plus adapté pour le patient", explique Anne Gervais. A ce sujet, une cheffe de service francilienne confie à franceinfo qu'il lui arrive de prescrire des échographies à certains patients lors de leur journée d'hospitalisation, pour que le séjour soit rentabilisé. "Ce n'est en aucun cas dangereux, mais ça n'a pas non plus d'intérêt médical significatif pour le patient", précise la médecin. 

"Accélérer la sortie du malade et libérer des lits"

Autre effet pervers : pour Cécile Chevance, responsable du pôle Offres à la Fédération hospitalière de France (FHF), la course à la rentabilité induite par la T2A "génère une densification des soins" et un "turnover plus important"Concrètement, cette logique a entraîné un recours de plus en plus généralisé à la chirurgie ambulatoire, qui regroupe les hospitalisations d'une durée de moins de 12 heures. "Pour gagner en productivité et donc en rentabilité, les établissements ont plutôt intérêt à accélérer la sortie du malade et libérer des lits", explique Jean-Paul Domin. 

"Aujourd'hui, le malade arrive le matin à l'hôpital et l'après-midi, il est déjà ressorti. L'intérêt, c'est qu'on ne mobilise pas de chambre." 

Jean-Paul Domin, économiste de la santé

à franceinfo

"Chercher à accélérer la sortie du patient", c'est aussi "favoriser une baisse de la qualité des soins", poursuit l'économiste. A ce titre, Thierry Amouroux déplore que dans certains établissements, il soit possible d'opérer des patientes atteintes d'un cancer du sein en chirurgie ambulatoire. "Ce n'est pas comme si on retirait un panaris ; là, on retire un sein, c'est différent", s'insurge l'infirmier. Pour lui, un travail d'accompagnement du patient devrait automatiquement être effectué à la suite de telles interventions. "Mais ce n'est pas rémunéré par la T2A", ajoute-t-il. Anne Gervais partage ce diagnostic. L'hépatologue raconte ne pas trouver le temps de faire de la prévention auprès de ses patients. "Pourtant, pour les maladies qui touchent au foie, l'hygiène de vie est très importante", regrette-t-elle. 

Une vision déshumanisée du soin 

Plusieurs services plus complexes, considérés comme trop coûteux, sortent perdants de la T2A. C'est le cas notamment de la chirurgie cancéreuse, qui, par le caractère "incertain" et "long" de certains traitements, risque de coûter plus cher à l'hôpital. D'autres ne sont, quant à eux, pas encore pris en compte par la tarification et restent financés sous la forme de dotations annuelles. C'est le cas de la psychiatrie, qui, du fait de sommes très peu réévaluées, "est à l'abandon à l'hôpital", juge Jean-Paul Domin. 

Pour plusieurs professionnels de santé interrogés, la T2A est particulièrement adaptée au domaine de la chirurgie ambulatoire et aux actes chirurgicaux très précis, mais elle l'est moins quand le patient est sujet à des pathologies chroniques ou à des complications. "Si la chirurgie s'annonce plus compliquée parce que le patient est diabétique ou très âgé, l'hôpital n'entrera pas dans ses frais", détaille Agnès Hartemann, professeure en diabétologie à la Pitié-Salpêtrière, à Paris.

"Le problème, c'est qu'on considère les malades de manière standardisée et déshumanisée alors que, dans les faits, aucun ne ressemble à un autre."

Agnès Hartemann, cheffe de service de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière de Paris

à franceinfo

Or, selon Thierry Amouroux, l'hôpital est précisément "le domaine de l'imprévisibilité où les choses ne se passent jamais comme prévu."

"Faire plus avec moins"

Face à ce système, de nombreux soignants déplorent une pression accrue sur le personnel. "On nous demande de faire toujours plus d'actes, et ce, à effectif constant, voire avec moins de postes", déplore Anne Gervais. Sur les dix dernières années, le montant fixé par l'Ondam hospitalier (l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie, voté chaque année par le Parlement et qui détermine le budget alloué aux établissements de santé) est constamment inférieur au budget dont auraient réellement besoin les hôpitaux. Pour Cécile Chevance, la stagnation de cet outil budgétaire explique largement cette pression grandissante. "Le taux d'évolution de l'Ondam est toujours en dessous du taux d'évolution des charges", affirme l'ancienne directrice d'hôpital. 

>> Santé : qu'a fait le gouvernement pour soigner l'hôpital public depuis le "plan d'urgence" lancé en 2019 ?

Quel modèle de financement remplacera la T2A ? Contactée par franceinfo, la direction du cabinet du ministère de la Santé répond que des travaux sont en cours "pour réfléchir à des modèles alternatifs, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes concernées". Dans ses vœux aux soignants, Emmanuel Macron a évoqué la piste d'un financement mixte, modulé en fonction à la fois des actes et des objectifs de santé publique. "C'est ce qu'on prône de longue date", approuve Cécile Chevance. Le président a également proposé "une rémunération effective des missions réalisées par chacun". Cela pourrait inclure la prévention ou encore certaines missions d'éducation thérapeutique, selon l'ancienne directrice d'hôpital. En attendant, Thierry Amouroux prévient : "Encore faut-il que ses propos se transforment en actes." A son élection, en 2017, le président de la République avait déjà promis un plafonnement et une réforme de ce système. 

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