Bien avant la crise du Covid-19, les soignants de l’hôpital public alertaient déjà sur la dégradation de leurs conditions de travail.

Services surchargés, manque de moyens, épuisement des équipes… Deux ans de pandémie ont encore aggravé la situation.

Pour témoigner du mal qui ronge les hôpitaux publics, huit soignants ont accepté de raconter leur quotidien.

L’hôpital public à bout de souffle

Pierre-Louis Caron

franceinfo

Publié le

Tenir le coup ou partir. Tel est le choix auquel sont confrontés de nombreux soignants de l’hôpital public aujourd’hui. Huit d’entre eux – infirmiers, médecins et aides-soignantes – ont raconté à franceinfo leur quotidien. Plus habitués à venir en aide qu’à appeler au secours, ces femmes et ces hommes ont souvent du mal à exprimer leur souffrance lorsqu’on les interroge. Mais la pudeur de ceux qui soignent a rapidement laissé place à un diagnostic préoccupant : celui d’un hôpital français en détresse. Une détresse dont ils craignent que les malades fassent de plus en plus les frais.

"On demande juste de pouvoir soigner correctement les gens"

Nathan, 27 ansinfirmier

Rhône

En poste depuis quatre ans dans un service de réanimation, Nathan a vu la moitié de son équipe partir durant la crise sanitaire. Il décrit des conditions de travail éprouvantes, notamment à cause des horaires de nuit et du manque de personnel soignant. Très attaché à ses patients et à la notion de service public, il craint que le manque d’investissements ne finisse par favoriser le secteur privé de la santé.

"Il faut un moratoire sur la fermeture des lits"

Nicolas, 47 ansaide-soignant

Paris

Chaque jour, Nicolas redoute de ne pas pouvoir faire face au flux de patients, qui est très important dans son hôpital du 20e arrondissement de Paris. Il déplore le temps insuffisant accordé à chaque dossier et met en garde contre une gestion "trop comptable" de l’hôpital public, "qui ne permet déjà plus de gérer les imprévus".

"On se sent invisibles"

Laëtitia, 40 ansaide-soignante

Seine-Maritime

Après quinze ans de carrière en réanimation et deux années "très éprouvantes" dues à la crise sanitaire, Laetitia n’a pas eu le droit à la prime versée depuis janvier 2022 aux infirmiers et cadres de santé en service de soins critiques. Une décision qui passe très mal chez les aides-soignants, et qui risque "d’attaquer l’esprit d’équipe" si cher à Laetitia et ses collègues.

"Ce n’est pas pour ça que j’avais signé"

Mathieu, 39 ansmédecin

Gironde

Praticien en hôpital et urgentiste, Mathieu alterne les gardes, souvent de nuit, et les permanences de régulation, où il oriente les patients vers différents hôpitaux de la région bordelaise. Il dénonce l’engorgement presque quotidien des urgences et regrette, après dix ans d’études et une solide expérience, d’être "de moins en moins capable" d’aider les gens.

"Un jour, il n’y aura peut-être plus personne pour vous soigner"

Pauline, 29 ansinfirmière

Rhône

Très affectée par la pandémie, Pauline répète que l’hôpital public était déjà en souffrance avant l’arrivée du Covid-19. A cause des cadences de travail de plus en plus soutenues, la jeune femme se sent souvent "comme un robot" et a déjà eu envie de changer de métier. Plus que des primes, elle voudrait une autre forme de reconnaissance, comme pouvoir exercer son métier sereinement.

"Démissionner, ça me trotte dans la tête presque tous les jours"

Julien, 33 ansinfirmier

La Réunion

A la Réunion, Julien note une similarité avec les hôpitaux de l’Hexagone : il trouve que la logique comptable prend souvent le pas sur la qualité des soins. Et la tarification à l’acte (T2A), qui sert à financer en partie les hôpitaux, rend "invisibles" de nombreuses tâches du quotidien. Même s’il compte se battre pour défendre ses conditions de travail, Julien songe parfois à jeter l’éponge.

"L’accès aux soins risque de devenir très sélectif"

Jean-Marc, 49 ansaide-soignant

Orne

Vivre dans un désert médical, Jean-Marc sait ce que cela signifie. Le phénomène se répercute sur l’hôpital d’Argentan (Orne), où il travaille, et crée de fortes tensions sur le personnel qui n’est pas en nombre suffisant face aux besoins des patients. L’aide-soignant craint qu’à terme, les habitants des zones rurales ne puissent tout simplement plus avoir accès aux services de santé.

"La première urgence, c’est d’arrêter de supprimer des moyens"

Olivia, 33 ansmédecin

Gironde

Jeune médecin, Olivia a déjà vu partir nombre de ses collègues et regrette que rien ne soit mis en place pour garder ces professionnels "qui lui ont parfois tout appris". Pour elle, le manque de moyens humains génère beaucoup de frustration chez les soignants, tous métiers confondus, et leur fait perdre "la valeur de [leur] travail".