"C'est comme un enfant qui arrête les couches" : sans tampons ni serviettes, elles pratiquent le flux instinctif libre pendant leurs règles
Selon ses adeptes, cette pratique, qui consiste à retenir son flux menstruel avant de le libérer dans les toilettes, permettrait de reprendre le contrôle sur son corps, en plus d'être écologique et économique.
"Franchement, au début, je ne pensais pas que c’était possible." Et pourtant, voilà huit mois que Claire Do a arrêté d’utiliser des protections hygiéniques pendant ses règles. Sur sa chaîne YouTube, entre sa recette de pain d'épices et ses résolutions pour la nouvelle année, cette mère de 30 ans raconte comment elle a décidé de tenter une méthode : le flux instinctif libre, dit FIL. Le but ? Bannir tampons, serviettes et coupes menstruelles pour bloquer le flux sanguin avant de le laisser s'écouler aux toilettes. En résumé : vivre ses règles comme on vit avec sa vessie.
La méthode trouve ses origines aux Etats-Unis, sous l'expression free flow instinct. Sa première occurrence francophone viendrait de la blogueuse Léna Abi Chaker. Contactée par franceinfo, cette Suissesse dit avoir été la première à écrire sur le FIL dans un article posté sur son blog en 2012. "Mais c'est en 2015 qu'il y a eu un pic d'intérêt pour le sujet", explique la jeune femme, adepte du flux instinctif libre depuis bientôt dix ans.
Ecologique et économique
On ignore leur nombre, mais pour les femmes qui ont franchi le pas, le FIL s'inscrit souvent dans une démarche globale, centrée autour de la recherche du bien-être et des pratiques de soins alternatives. "J'ai commencé le flux instinctif libre parce que je suis dans une démarche zéro déchet, naturelle, minimaliste, explique ainsi Claire Do. Je cherchais à changer mes protections hygiéniques." C'est en voyant l'une des nombreuses vidéos YouTube consacrées au sujet qu'elle a le déclic. De son côté, Aurore Sovilla, 31 ans, ne supporte plus ni tampon ni coupe menstruelle. Cette psycho-énergéticienne pratique le FIL depuis quelques mois et, pour elle, la méthode s'est révélée salvatrice.
Au début, je trouvais ça archaïque. C'est une expérience assez particulière mais qui permet de complètement redécouvrir son corps.
Aurore Sovilla, psycho-énergéticienneà franceinfo
Pour Jessica Spina, auteure du livre Le flux instinctif libre ou l'art de se passer de protections périodiques (éditions L'instant présent), cette pratique constitue surtout une alternative au tampon et à la coupe, qui, s'ils restent trop longtemps dans le vagin, peuvent entraîner un syndrome du choc toxique, une infection très rare mais potentiellement mortelle. La serviette hygiénique jetable, trop polluante, ne la satisfaisait pas non plus. "Avec le flux libre, les bactéries ne prolifèrent pas dans l'organisme puisqu'il n'y a pas de stagnation du sang menstruel. Cette méthode ne pose donc aucun problème de santé", assure cette naturothérapeute à franceinfo. "Il y a tout à y gagner : vous n'achetez plus aucune protection périodique et apprenez à réécouter votre corps." Pour ses adeptes, comme Aurore Sovilla, pratiquer le FIL est un moyen de redécouvrir sa féminité.
On s'est trop coupées de nos cycles féminins. Le flux instinctif libre me permet de me reconnecter à mes sensations, d'observer mes réactions.
Aurore Sovillaà franceinfo
Surveiller l'afflux sanguin oblige en effet à prêter attention à son corps. "Dans mon livre, je souligne que le flux instinctif libre, c'est aussi s'autoriser des petits moments pour soi durant ses règles, passer une heure à faire ce qui nous plaît", suggère Jessica Spina. Pour elle, le flux instinctif libre est un "formidable moyen de (...) récupérer son autonomie sur ses règles".
"Au début, j’allais aux WC tous les quarts d’heure"
Mais pour celles qui l'ont testé, les premiers cycles ont été laborieux. Dans la pratique, le flux instinctif libre est loin d'être évident à adopter. Car la méthode repose sur le fait de parvenir à bloquer le sang des règles grâce à son périnée. "On n’a pas de sphincter au niveau de la vulve : on ne peut donc pas retenir le sang une fois arrivé en bas du canal vaginal. Mais si on le sent quand il sort de l’utérus, on peut contracter les muscles périnéaux le temps d’aller aux toilettes", détaille Lydia Vasquez, qui pratique le FIL depuis une dizaine d'années. "Au début, j’allais aux toilettes tous les quarts d'heure. Et au fur et à mesure, j’ai appris à reconnaître les signes avant-coureurs", se souvient Claire Do, qui travaille depuis chez elle, ce qui facilite les allers-retours aux toilettes. Désormais, elle ne s'y rend plus que toutes les deux heures environ.
Si certaines ressentent des signaux, comme une pression sur la vessie ou une légère contraction, d'autres parviennent même à endiguer l'afflux sanguin de manière quasi-inconsciente.
C’est vraiment un instinct. Je sais quand ça va venir. La nuit, ça me réveille. Je n'ai aucune sensation physique mais je sais qu’il faut que je me lève.
Claire Doà franceinfo
"C'est contraignant et libérateur à la fois", résume Aurore Sovilla. "Pour moi, c'est comme un enfant qui arrête les couches. Ce sont des habitudes à changer. Le FIL demande de la vigilance, de l’attention et l'observation de petits signes", résume la psycho-énergéticienne.
Lydia Vasquez enseigne le FIL depuis cinq ans à des groupes de femmes de tous âges, en France et à l'étranger. Elle reconnaît que "ce n'est pas évident au début" mais qu'avec un travail d'introspection, "ça devient un réflexe". D'après les adeptes du flux instinctif libre, au bout de quelques mois, il n'y a plus besoin de se concentrer. Elles assurent que le corps prend le relais, permettant de vaquer à ses occupations sans craindre une fuite intempestive.
Mais pour les médecins, tout n'est pas si simple et le flux instinctif libre nécessite certaines prédispositions, à commencer par un périnée tonique. Après son accouchement, Claire Do a ainsi constaté que le FIL était délicat pour elle : "Certaines ont un périnée ultra musclé mais ce n'est pas mon cas. Je ne peux vraiment pas retenir mon flux longtemps. Il faut que j'aie des toilettes pas loin."
En cas de règles abondantes, le FIL ne semble pas idéal. C'est le cas d'Aurore Sovilla : depuis qu'on lui a posé un stérilet, elle a parfois des saignements hémorragiques et il lui est alors impossible de pratiquer la méthode.
Des règles moins douloureuses et plus courtes
Reste que, d'après ses adeptes, les bénéfices du flux instinctif libre sont nombreux. La plupart remarquent que leurs règles deviennent moins douloureuses. Pour Nathalène Detoeuf, gynécologue-obstétricienne, cette atténuation des maux de ventre s'expliquerait par la diminution de l'anxiété provoquée par l'arrivée des menstruations. "Se connaître et être en confiance avec soi diminue les douleurs. Certaines jeunes filles ont mal au ventre au début de leur puberté et une fois qu’elles se connaissent mieux en tant que femmes, ces douleurs disparaissent", explique-t-elle à Cheek Magazine. La durée des règles aurait aussi tendance à se raccourcir après quelques mois de pratique.
J'avais mes règles pendant sept jours avec des petits écoulements les deux derniers jours. Maintenant, ça ne dure plus que cinq jours au total.
Claire Doà franceinfo
Résultat : le flux instinctif libre fait de plus en plus de curieuses. Dans ses formations, Lydia Vasquez assure voir des femmes aux profils très divers. "Avant, c'était une pratique réservée à quelques femmes hyper en pointe sur la méditation, l'écologie, un peu marginales. Maintenant, j'ai de tout. Beaucoup de femmes veulent revenir à quelque chose de plus naturel", constate-t-elle.
"Ce n'est pas à la portée de tout le monde"
L'idée a toutefois du mal à se faire une place au sein du monde médical. Pour les gynécologues contactés par franceinfo, le flux instinctif libre reste très mystérieux. "Je n'y connais pas grand-chose donc je ne peux pas vous répondre", "J'ai du mal à comprendre comment c'est possible"... Les réponses sont souvent circonspectes, voire méfiantes vis-à-vis de cette pratique.
"Il faudrait que l’on me confirme que ce n’est pas dangereux, réagit le gynécologue et endocrinologue Christian Jamin. Et on ne peut pas dire que ce soit à la portée de tout le monde : ça paraît difficile de contracter son utérus volontairement." Les médecins craignent notamment la prolifération de bactéries due au fait de conserver son sang dans son vagin pendant une longue période.
Retenir le sang "quelques heures n'a rien de dangereux", réplique le médecin et blogueur Martin Winckler dans Cheek Magazine. "La seule chose dangereuse, c’est d’insérer dans le vagin quelque chose qui risque d’y introduire des microbes, et de ne pas le retirer. Le sang des règles n’est pas 'infecté'", poursuit-il, en saluant le fait que celles qui pratiquent le FIL "se sentent plus satisfaites". A chacune de se faire son avis en testant la méthode.
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