L'affaire du Levothyrox résumée en sept actes
Deux mises en examen à quelques semaines d'intervalle. Après des années de procédures judiciaires, le dossier du Levothyrox avance. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé lundi 5 décembre sa mise en examen pour "tromperie". Un mois et demi plus tôt, la filiale française du laboratoire pharmaceutique allemand Merck, fabricant du médicament, avait déjà été mise en examen pour "tromperie aggravée".
Au cœur du scandale : une nouvelle composition du médicament contre les troubles de la thyroïde, prescrit à trois millions de personnes en France. Après sa mise sur le marché en 2017, des patients se sont plaints de nombreux effets secondaires. Franceinfo revient sur les principales étapes de cette affaire.
1Mars 2017 : une nouvelle formule du médicament est commercialisée
Fin mars 2017, la filiale française du laboratoire allemand Merck met sur le marché la nouvelle formule du Levothyrox, à la demande de l'ANSM. Cette nouvelle formule utilise le même principe actif, la lévothyroxine, mais avec de nouveaux excipients. Le but est de rendre sa concentration plus stable, élément crucial pour l'efficacité.
Crampes, maux de tête, vertiges ou perte de cheveux... Rapidement, des patients se plaignent de nombreux effets secondaires liés, selon eux, à cette nouvelle formule.
2Octobre 2017 : des patients saisissent la justice
Les plaintes de patients s'accumulent. Une enquête préliminaire est confiée au pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Marseille, dont la compétence s'étend jusqu'à Lyon, siège français de Merck. L'ancienne formule du Levothyrox fait son retour dans les pharmacies le 2 octobre 2017 sous le nom d'Euthyrox. Mais le nombre de boîtes est limité. A Lyon, le siège français de Merck est perquisitionné le 3 octobre 2017.
Les effets indésirables sont dus à "un déséquilibre thyroïdien" causé par le changement de traitement, pas à la nouvelle formule, assure l'ANSM, le 11 octobre. Sur le plan civil, une action collective est engagée le 24 octobre contre Merck à Lyon. Une mission parlementaire menée par le député LR et médecin Jean-Pierre Door conclut à un défaut d'information. Son travail est critiqué par des patients, qui considère que "les personnes auditionnées sont quasiment toutes des proches ou des gens qui ont travaillé pour le laboratoire", y compris le député.
3 Mars 2018 : une enquête au pénal est ouverte
Merck est condamné le 14 novembre 2017 à fournir "sans délai" l'ancienne formule, par le tribunal de grande instance de Toulouse. Au pénal, une information judiciaire contre X est ouverte à Marseille le 2 mars 2018 pour tromperie aggravée, blessures involontaires et mise en danger de la vie d'autrui, élargie en novembre à homicide involontaire. D'après le ministère de la Santé, un demi-million de Français ont cessé de prendre le Levothyrox depuis le lancement de la nouvelle formule.
4 Juillet 2018 : Merck et l'ANSM démentent toute anomalie
L'Association française des malades de la thyroïde (AFMT) dénonce la présence de nanoparticules de métal dans la nouvelle formule ainsi que des anomalies de composition. Le laboratoire dément toute anomalie, tandis que l'agence du médicament confirme, le 5 juillet 2018, "la bonne qualité de la nouvelle formule".
Le 20 décembre, à l'issue d'une vaste étude sur plus de 2 millions de patients, le ministère de la Santé note l'absence d'augmentation de "problèmes de santé graves", ce que confirme son rapport final en juin 2019. D'autres études, comme celle d'avril 2019 réalisée par des chercheurs de l'université de Toulouse, concluent pourtant que la nouvelle formule ne présente pas de garanties suffisantes pour les patients.
5 Juin 2020 : Merck est condamné en appel, au civil
En mars 2019, à l'issue du premier procès intenté au civil, le tribunal d'instance de Lyon déboute 4 113 plaignants, écartant tout "défaut d'information" de la part de Merck. Mais en juin 2020, la Cour d'appel de Lyon reconnaît que Merck a commis "une faute" lors du changement de formule. Le laboratoire est condamné à verser 1 000 euros à chacun des 3 329 plaignants toujours impliqués dans la procédure. Le laboratoire se pourvoit en cassation, mais son pourvoi est rejeté le 16 mars 2022.
L'arrêt de la commercialisation de l'ancienne formule du Levothyrox (Euthyrox), initialement annoncée pour septembre 2020, est repoussée à fin 2022 au moins. Une autre action collective est lancée en septembre 2021, contre l'agence du médicament pour "défaut de vigilance" et d'"anticipation", devant le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
6 Octobre 2022 : Merck est mis en examen pour "tromperie aggravée"
Un nouveau volet s'ouvre le 19 octobre 2022. La filiale française du laboratoire pharmaceutique allemand Merck est mise en examen pour "tromperie aggravée", quatre ans et demi après l'ouverture de l'enquête pénale à Marseille. Le président de Merck en France est entendu au pôle santé du tribunal judiciaire de Marseille. La société Merck Santé S.A.S.U est placée "sous contrôle judiciaire" avec le dépôt d'une caution de 4,3 millions d'euros, ainsi qu'une garantie de 7 millions d'euros.
Cette mise en examen est liée aux "modalités d'information mises en place au moment de la transition de l'ancienne à la nouvelle formule en 2017", explique l'entreprise. Selon l'avocat de Merck au pénal, Mario Stasi, "Merck avait coconstruit ce plan de communication avec différents partenaires, des experts et en dialogue avec des associations de patients, et sous l'autorité de l'agence du médicament qui l'a approuvé".
"La juge a écarté les infractions les plus graves – blessures et homicides involontaires et mise en danger de la vie d'autrui –, pour ne retenir que des manquements dans le plan de communication", insiste l'avocat, la qualité du médicament n'est pas en cause." Mais "l'instruction se poursuit sur l'ensemble des chefs visés lors de l'ouverture de l'information judiciaire", précise le parquet phocéen.
7 Décembre 2022 : l'ANSM est mise en examen pour "tromperie"
L'ANSM annonce lundi 5 décembre avoir été mise en examen pour "tromperie" dans le dossier. "L'ANSM n'a jamais nié les difficultés rencontrées par certains patients au moment du passage à la nouvelle formule du Levothyrox et se préoccupe de manière constante et quotidienne de la sécurité et de la santé des patients", se défend l'agence. L'ANSM "apportera sa pleine contribution à la manifestation de la vérité, mais conteste fermement les reproches formés à son encontre, car aucune infraction pénale n'a été commise", estime-t-elle.
L'agence est aujourd'hui visée par une action collective de quelque 1 100 plaignants, pour "défaut de vigilance" et "défaut d'anticipation".
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