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Levothyrox : "La justice doit faire la lumière sur cette affaire", les victimes manifestent à Paris

Des malades de la thyroïde se disant victimes de la nouvelle formule du Levothyrox viennent de toute la France manifester mercredi devant l'Assemblée nationale à Paris pour pour dénoncer "une crise sanitaire loin d'être terminée". 

Article rédigé par franceinfo, Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une boîte de Levothyrox entre les mains d'une patiente à Saint-Gaudens (Haute-Garonne), le 4 décembre 2017. (REMY GABALDA / AFP)

Les malades se disant victimes de la nouvelle formule du Levothyrox ne décolèrent pas. De toute la France, ils viennent manifester mercredi 2 mai devant l'Assemblée nationale à Paris pour dénoncer "une crise sanitaire loin d'être terminée".

À cette occasion, l'avocate de l'association française des malades de la thyroïde (AFMT) va annoncer les résultats des premières expertises qu'elle a obtenues et qui sont jugées "préoccupantes". Une réunion au ministère de la santé est aussi prévue dans l'après-midi avec les associations de malades. C'est la quatrième réunion du comité de suivi de pilotage rassemblant autour de la table les différents protagonistes de ce dossier.

Effets indésirables un mois après l'arrivée de la nouvelle formule

La nouvelle formule du Levothyrox du laboratoire Merck a été mise sur le marché fin mars 2017. Des effets indésirables ont été dénoncés dès le mois de juin par de nombreux patients qui se sont organisés sur les réseaux sociaux pour tenter d'alerter les médias et les autorités. Un an après l'apparition de ces nouvelles boîtes de médicaments, tous les patients concernés ne sont pas remis. Certains engagent des poursuites au pénal comme au civil.

Les symptômes sont apparus chez des milliers de patients quelques semaines seulement après qu'ils ont commencé les nouvelles boites de Levothyrox. Pour 85 à 90 %, ce sont des femmes. Elles décrivent des maux de ventre, des nausées, des crampes. Certaines évoquent une dégradation flagrante de leur état, avec perte des cheveux, troubles digestifs, perte de poids, douleurs lancinantes, parfois même des syndromes dépressifs graves avec des tentatives de suicide. C'était "une descente aux enfers", confie sur franceinfo Edith, 53 ans. "J'ai commencé à ressentir une fatigue énorme et une grande lassitude. C'était étrange pour moi qui suis quelqu'un de joyeux et d'hyperactif. Je n'arrêtais pas de penser à ça, de me plaindre", se souvient-elle.

J'ai eu peu à peu des diarrhées et des douleurs musculaires et articulaires. Au point d'être comme une vieille dame de 90 ans et de ne plus pouvoir quitter mon fauteuil. Je n'avais plus le goût de rien et me voyais au bord du cercueil.

Edith, victime des troubles du Levothyrox

à franceinfo

"C'était mystérieux, dit-elle. Comme ça ne passait pas et que je ne supportais plus la situation, j'ai demandé à mes parents qui habitent dans le Sud-Ouest d'aller me chercher des boites de l'ancienne formule en Espagne. Nous avons réinventé la contrebande !", tente de s'amuser cette patiente qui en reprenant l'Euthyrox [ancienne formule du Levothyrox de Merck] a retrouvé progressivement son énergie. Cela lui a pris trois mois. Toutefois, elle conserve comme séquelle une insensibilité inexpliquée sur la moitié gauche du corps. "Si je me coupe ou me brûle, je ne sens rien. Il faut que je fasse très attention", raconte Edith.

"Seulement 17 000 personnes" concernées

Le ministère parle de "seulement 17 000 personnes" concernées comme Edith. Ce nombre de patients a en tout cas fait un signalement en pharmacovigilance. Selon les associations de malades, ces chiffres sont très largement sous-estimés. Ce qui est certain, c'est que sur trois millions de malades de la thyroïde sous traitement en France, au moins un demi-million se sont détournés du nouveau Levothyrox. Soit en allant se fournir à l'étranger, soit au fil de mois en se rabattant sur les médicaments alternatifs arrivés peu à peu sur le sur le marché français.

Dans un premier temps, lors des premières réunions, la ministre de la Santé Agnès Buzyn a juste parlé d'un "problème d'information des patients". Elle a ensuite reconnu des difficultés et fait entrer progressivement sur le marché quatre médicaments alternatifs fabriqués par d'autres laboratoires que Merck qui depuis des années avait le monopole. "Le monopole n'est jamais une bonne situation", concède-t-on au ministère.

Ces efforts ne semblent pas régler toutes les situations. Il y a les patients avec des séquelles. Il s'agit de ceux qui peinent à se remettre de ce qu'ils ont traversé après la prise du nouveau Levothyrox. Le médecin généraliste Nicolas Bouvier, rattaché dix ans au service de pharmacologie du CHU de Reims (Marne) continue de recevoir de tels patients dans son cabinet. Il est assez amer. Lui, qui avec quelques autres praticiens a lancé l'alerte dès l'été dernier, dénonce un déni des médecins et des autorités dans ce dossier. "Les patientes ont été prises de haut. Certains professeurs les ont considérées comme des hystériques, au lieu de s'interroger tout simplement sur le fait de savoir si les médicaments proposés aux malades étaient de bonne qualité."

Il faut absolument comprendre ce qui s'est passé pour réussir à soigner les personnes touchées. On pourrait penser par exemple qu'il y a eu un souci au niveau de la fabrication de certains lots du nouveau médicament.

Nicolas Bouvier, médecin généraliste

à franceinfo

"Y a-t-il eu des anomalies, une contamination à des substances diverses ? Nous peinons à savoir tout cela car l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et le ministère n'ont pas demandé dans l'urgence l'été dernier des investigations sur les boîtes mises en cause par les patients", déplore Nicolas Bouvier. "Quand il y a eu l'affaire de Lactalis, tout de suite Agnès Buzyn est montée au créneau,  a fait envoyer les gendarmes dans l'usine et fait une enquête. Quand il y a eu les inquiétudes sérieuses sur le Levothyrox, pourquoi n'y a-t-il pas eu la même réaction?", s'interroge le médecin.

C'est en effet seulement à l'automne que l'ANSM a commencé à vérifier et contrôler certains échantillons du nouveau Levothyrox. "Aucune impureté n'a été trouvée. Tout était conforme", assure Anne-Claire Amprou la directrice générale adjointe à la Direction générale de la santé (DGS) pour qui une "petite minorité de personnes est concernée par des effets indésirables classiques". 

Le laboratoire Merck, de son côté répète par la voix de sa pharmacienne responsable, Valérie Leto, qu'il a une "pleine confiance en sa nouvelle formule de Levothyrox fabriqué en Allemagne". Merck dénonce "le climat délétère entretenu par certaines associations de patients qui inquiètent les malades inutilement avec de fausses informations".

Une information judiciaire ouverte

Le dossier est dans les mains de la Justice. Le procureur de la République de Marseille (Bouches-du-Rhône), Xavier Tarabeux avait ordonné à l'automne deux perquisitions : l'une à l'ANSM, l'autre dans les locaux de Merck à Lyon (Rhône), avant de nommer une juge d'instruction, Annick Legoff du pôle santé de Marseille. Une information judiciaire est donc ouverte depuis un mois et demi pour blessures involontaires, mise en danger de la vie d'autrui et tromperie aggravée. 7 000 plaintes ont déjà déposées dans toute la France.

L'ancienne magistrate Marie-Odile Bertella-Geffroy, spécialiste des questions de santé, est devenue avocate en 2015. Elle a choisi de défendre l'association française des malades de la thyroïde (AMFT) dans ce dossier. Elle a rassemblé avec son cabinet plus d'un millier de plaintes de patients. "C'est un scandale d'ampleur, une catastrophe sanitaire qui n'est pas prise en compte comme elle devrait l'être", déplore l'avocate.

Il y a encore trop de gens malades, et même des décès pour lesquels on demandera une expertise afin de démontrer le lien avec la prise du nouveau Levothyrox.

Me Marie-Odile Bertella-Geffroy, avocate de l'AMFT

à franceinfo

L'AFMT a demandé à cette avocate de faire faire une expertise privée des boîtes de comprimés mis en cause par les malades. La juriste a eu bien du mal à trouver un laboratoire en France disposé à effectuer cette analyse. "Comme un certain nombre de ces laboratoires ont des relations avec Merck, beaucoup ont répondu qu'ils ne pouvaient pas accepter notre demande", explique Me Bertella-Geffroy.

"J'espère que la juge trouvera des experts indépendants et compétents car la justice doit faire la lumière sur cette affaire. Il n'y a pas de raison que ce dossier n'aboutisse pas à un procès pénal", ajoute l'avocate qui, à force de chercher, est parvenue ces derniers jours à effectuer finalement une expertise. Elle en révèlera mercredi 2 mai les résultats "préoccupants" selon elle.

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