Cet article date de plus de quatre ans.

C'est dans ma tête. Vivre dans un monde masqué

Un monde avec des individus masqués. La pandémie du coronavirus est marquée par ces masques qui désormais accompagnent nos déplacements, dans la rue, au travail, dans les magasins. Que représentent ces masques, comment modifient-ils le rapport à soi et aux autres ? La psychanalyste Claude Halmos répond à ces interrogations. 

Article rédigé par franceinfo, Claude Halmos
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Dans une rue de Bordeaux (Gironde), le 16 mai 2020. (LAURENT PERPIGNA IBAN / HANS LUCAS / AFP)

Le masque est omniprésent dans nos vies, depuis le début de la pandémie. Il a été au cœur de multiples discussions scientifiques, et débats politiques, sur son utilité, la gestion des stocks etc.. Aujourd’hui, il marque de sa présence l’espace public, puisqu’un grand nombre de gens y circulent désormais, masqués.

franceinfo : Ces masques, Claude Halmos, que représentent-ils ? Comment sont-ils vécus ?      

Claude Halmos, psychanalyste : Le masque restera sans doute l’un des objets phares de la période que nous traversons. On en a fait, à cause de la pénurie, un révélateur de ce qui a été dénoncé comme un mépris pour les citoyens, les soignants, et leur santé ; et une volonté de leur mentir. Et aujourd’hui, obligatoire dans certains lieux, il devient un révélateur des disparités sociales, puisque son prix est, pour beaucoup, trop élevé. Mais il a aussi un rôle sur le plan psychologique. Car sa présence bouleverse très profondément notre rapport à l’espace public.              

De quelle façon le masque bouleverse-t-il notre rapport à l'espace public ?  

La nécessité de le porter modifie (comme, avant lui, l’autorisation de sortie) l’accès à l’espace public : on doit y penser. C’est une contrainte. Mais il modifie surtout le rapport à soi, et aux autres. Notre image, dans le miroir, nous permet en effet de nous reconnaître. Mais elle influe aussi sur notre rencontre avec les autres, car elle est fondée sur un certain nombre de caractéristiques, notamment de notre visage, qui, selon que nous les apprécions ou non, nous font nous sentir - ou non - séduisants. Et ce d’autant plus que nous vivons tous dans la croyance - fausse, mais tenace - que l’autre nous verrait comme nous nous voyons.

Or, le masque, en modifiant notre visage, nous prive de certaines de ses caractéristiques (et en outre, pour les femmes, de la possibilité de les embellir par le maquillage). Et peut même (comme le font parfois les opérations de chirurgie esthétique) atteindre notre capacité, sinon à nous reconnaître, du moins à nous retrouver. Et générer de ce fait une angoisse qui, en s’ajoutant à celles nées de la confrontation à d’autres visages, également masqués, peut nous donner l’impression de vivre dans un monde irréel, voire même hostile. Car le masque est traditionnellement associé à une volonté de se dissimuler. De façon ludique, comme lors du Carnaval. Ou plus inquiétante, pour pouvoir fuir.    

Comment expliquer les masques usagées, jetés n'importe où,
dans les rues ?

Ils sont un symptôme du mépris de l’autre, que professent les adeptes des "incivilités" ; et de leur inconscience quant à la contagion : ils mettent en danger les enfants, qui peuvent les ramasser, et les employés de la voirie, qui doivent le faire. Mais tout cela est peut-être aggravé par une ambiguïté, et même une contradiction, quant au positionnement de ces masques, que l’on pose comme des outils de prévention, tout en demandant aux gens de les payer ; alors que ce qui relève de la maladie, est d’habitude, au moins en partie, pris en charge.

Cela peut favoriser, chez certains, le déni de la contagion, et l’abandon sur les trottoirs, avec leurs canettes vides, de ces masques achetés, comme elles, au supermarché.

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