Comment les hôpitaux et les Ehpad s'organisent pour que les malades en fin de vie reçoivent des visites, malgré l'épidémie de Covid-19
A l'hôpital ou dans les maisons de retraite, les visites aux patients en fin de vie étaient déjà possibles dans certaines conditions. Ces mesures ne devraient pas être assouplies, malgré les demandes des directeurs d'Ehpad.
Permettre aux familles de dire "au revoir" à leurs proches en fin de vie. Cette démarche souvent douloureuse est rendue particulièrement difficile par la crise du coronavirus. Avec l'impérieuse nécessité de limiter les contacts et la limitation drastique des visites à l'hôpital ou dans les Ehpad, les possibilités d'accompagner un membre de sa famille vers la mort sont très réduites.
Lors de son allocution télévisée, lundi 13 avril, Emmanuel Macron a évoqué ce crève-cœur auquel de nombreuses familles sont confrontées.
Je souhaite que les hôpitaux et les maisons de retraite puissent permettre d'organiser pour les plus proches, avec les bonnes protections, la visite aux malades en fin de vie afin de pouvoir leur dire adieu.
Emmanuel Macronlors de son allocution du 13 avril
Comment peuvent s'organiser les visites ? Dans la plupart des hôpitaux, elles sont interdites, mais "des dérogations existent déjà, qui permettent d'accompagner les proches en fin de vie", explique le ministère de la Santé, interrogé par franceinfo. "Ces autorisations exceptionnelles sont à l'appréciation des chefs d'établissement."
Au CHU de Montpellier (Hérault), par exemple, les personnes en fin de vie peuvent recevoir une visite "en fonction de l'accord express de l'équipe médicale". Une "exception que le CHU pratique depuis le début des mesures de confinement", indique la direction à franceinfo. Pour les patients dont la fin de vie est liée au Covid-19, une unité de soins palliatifs de quatre lits y a été mise en place, "avec une entrée et un circuit visiteurs distincts pour permettre les visites dans ces situations particulières sans risques pour les proches".
"Macron a simplement rappelé les directives"
La déclaration du chef de l'Etat vise aussi les Ehpad, où l'isolement est plus strict encore. Sur décision du gouvernement, les visites y sont "intégralement suspendues" depuis le 11 mars, une semaine avant le confinement mis en place dans le pays entier. Depuis, les autorités sanitaires tolèrent des exceptions "accordées par le directeur de l'établissement après une appréciation au cas par cas", pour les motifs suivants : "une situation de fin de vie, une décompensation psychologique ou un refus de s'alimenter qui ne trouve pas de réponse au sein de l'établissement". Une liste "non limitative", selon les dernières consignes du ministère de la Santé, en date du 27 mars.
"En fait, Emmanuel Macron a simplement rappelé ce qui est déjà prévu dans les directives actuelles", insiste Romain Gizolme, directeur de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).
Sur le terrain, chaque directeur d'établissement est responsable d'autoriser ou non une visite, tout en appliquant les consignes nationales et celles des autorités régionales de santé (ARS). Il y a trois semaines, Fanny Coudray, directrice de la résidence de la Poterie à Chartres-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine) a été confrontée à ce choix difficile. "L'une de nos résidentes était en fin de vie. Nous nous sommes posé la question d'autoriser ou non une visite éthique et humaine", raconte-t-elle.
Après un échange avec le médecin coordonnateur et l'infirmière coordonnatrice, on a autorisé la fille de la résidente à venir. On l'a équipée des pieds à la tête. La dame est décédée dans l'heure qui a suivi.
Fanny Coudray, directrice d'Ehpadà franceinfo
Les rares visites autorisées doivent obéir à un cadre très strict : prise de rendez-vous à l'avance, tenue d'un registre des personnes extérieures pénétrant dans les lieux, prise de température à l'entrée, port du masque obligatoire, visites uniquement dans les chambres et non dans les parties communes…
Dans les Ehpad, un besoin de lien social
Tous les proches de résidents qui se sont éteints durant cette période si particulière n'ont pas eu cette possibilité. Dans la presse locale, plusieurs témoignent de leurs regrets de n'avoir pas pu dire "au revoir" à un parent ou un grand-parent. "Cela repose vraiment sur nos épaules. Faire entrer quelqu'un est une responsabilité pour nous", témoigne Fanny Coudray. Elle pense que l'annonce d'Emmanuel Macron pourrait inciter certains directeurs d'établissements "peut-être un peu frileux" à autoriser ce type de visites.
Mais pour Romain Gizolme, la position du président de la République, qui s'est strictement borné à la situation des personnes en fin de vie, suscite "une inquiétude".
Il faut aller plus loin, car le confinement prolongé durant plusieurs semaines pèse lourdement sur le bien-être psychologique des personnes âgées.
Romain Gizolmeà franceinfo
"Les appels sur WhatsApp, ça allait bien 15 jours, mais il faut maintenant permettre aux personnes de se voir en vrai, pour éviter les phénomènes de glissement psychologiques", estime pour sa part Anabelle Vêques, directrice de la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (FNADEPA).
A Chartres-de-Bretagne sont proposées "quelques sorties individuelles pour les résidents, accompagnés d'un soignant, pour faire le tour du bâtiment comme on ferait le tour de chez soi", explique Fanny Coudray. "On autorise parfois des familles qui habitent à proximité à venir sur le parking, ce qui permet aux résidents, depuis leur balcon, de voir leur proches". C'est une "visite" de ce type qui a donné lieu, dans le Tarn, à la verbalisation – finalement annulée – d'une femme de 79 ans, venue saluer son mari à travers la fenêtre.
Un assouplissement des mesures pas d'actualité
"Maintenant que nous avons des masques et des tests dans les Ehpad, l'Etat pourrait envisager des adaptations au confinement, dans le strict respect des règles sanitaires", suggère Romain Gizolme. Par exemple, "renforcer les équipes avec des psychologues, actuellement en inactivité du fait du confinement, autoriser les kinés à revenir pour aider à la marche et éviter les pertes d'autonomie, recourir aux bénévoles, organiser les visites dans les réfectoires, qui ne sont plus utilisés pendant la crise sanitaire…", énumère-t-il.
Vitres en Plexiglas, rencontres autour de tables suffisamment grandes pour assurer l'éloignement nécessaire… "A nous d'innover pour retrouver des marges de manœuvre tout en respectant la sécurité", observe Annabelle Vêques. "Aujourd'hui déjà, beaucoup de familles nous demandent de pouvoir visiter leurs proches en souffrance. Avec la prolongation du confinement jusqu'au 11 mai, nous allons devoir composer encore davantage."
Pour le moment, les autorités ne semblent cependant pas pressées d'assouplir les conditions de visite. "Nous rendrons possibles les visites du monde extérieur, des aidants, des amis et de la famille, lorsque nous aurons la garantie que la circulation du virus est devenue suffisamment faible pour que le risque soit considéré comme faible", a déclaré le ministre de la Santé, mardi sur RTL. "Nous ne pouvons pas prendre le risque d'autres drames humains collectifs. C'est une décision dure à prendre et je n'ignore pas les difficultés humaines qu'elle implique." Interrogé par franceinfo, le ministère de la Santé précise néanmoins que "des réflexions sont en cours", et qu'elles seront "intégrées au plan qui sera présenté dans les 15 jours" sur le déconfinement.
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