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Confinement : dans les rues désertes, les femmes constatent l'augmentation du harcèlement et des agressions sexuelles

Pour l'anthropologue Chris Blache, spécialiste de la question du genre et de la ville, la période de confinement offre "un précipité de ce qu'on connaît d'habitude" en matière de domination des hommes dans l'espace public. 

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des usagers du métro, à Paris, le 7 mars 2020.  (HANS LUCAS / AFP)

"Je ne pouvais me réfugier nulle part, tous les magasins étaient fermés et je ne pouvais demander de l'aide à personne". Rues vidées, transports peu fréquentés... Dans les villes confinées, les femmes sont encore plus exposées qu'avant aux prédateurs. Fin avril, deux femmes ont été violées en l'espace de 24 heures sur la voie publique, l'une dans un parc à Aulnay-sous-Bois, l'autre dans une rue de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Samedi 2 mai, l'AFP publie plusieurs témoignages de femmes victimes de harcèlement et de violences sexuelles subies dans l'espace public depuis le confinement.

En pleine journée, Fatima Benomar a été suivie "par une bande de jeunes", rue de Rivoli, dans le centre de Paris. "Ils se sont collés à moi car je ne répondais pas à leurs avances, m'ont insultée, menacée et m'ont suivie en criant 'de toute façon, ça se voit que t'es une salope'", raconte-t-elle à l'AFP. Cette militante féministe de 36 ans confie "avoir vraiment eu peur". Depuis, pour se rendre au travail, elle emprunte les petites rues adjacentes.

Laurène Martin, infirmière de 28 ans, a dû se mettre au vélo pour éviter les transports en commun. "Le deuxième jour du confinement, des mecs m'ont sauté dessus dans le métro pour me piquer mon téléphone. J'ai crié, ils sont partis et le seul autre passager de la rame, un homme, est venu se coller à moi et m'a demandé si j'avais un mari..." relate-t-elle. Le vélo, "c'est mieux, même si tous les hommes me regardent comme s'ils n'avaient jamais vu une femme", s'étonne-t-elle, assurant que c'"est clairement pire" qu'avant : "Il y a moins de personnes à agresser, moins de témoins, et les groupes d'hommes qui restent dehors sont ceux qui ne respectent absolument pas le confinement".

Des témoignages pullulent sur les réseaux sociaux

"Nous sommes enfermés chez nous, donc normalement les sorties à l'extérieur, pour voir le soleil, sont des bouffées d'air. Or, elles se transforment en des moments d'angoisse et les femmes se reconfinent rapidement par peur", constate Géraldine Franck, 37 ans, militante féministe, qui a vu pulluler les témoignages sur les réseaux sociaux. "La journée devient la nuit, il n'y a plus de différence pour les femmes".

Chaque jour, depuis mi-mars, Daniella Corallo-Martin subit dans le métro regards et sourires insistants, devant répondre régulièrement par "des doigts d'honneur". "J'ai forcément une interaction avec un mec pendant mon trajet", regrette-t-elle. Evoquant elle aussi "une peur" qu'elle ressent "normalement la nuit", elle a adopté des réflexes : "Je fais attention aux gens qui me suivent, sur le quai du métro je me mets toujours à côté de quelqu'un, je ne monte jamais dans une rame quasi-vide et je ne mets pas de musique dans mes écouteurs." "C'est un décor très particulier, des zonards, des fous, des personnes qui sont normalement noyées dans le flot", affirme-t-elle.

Pour l'anthropologue Chris Blache, la période de confinement offre "un précipité de ce qu'on connaît d'habitude" en matière de domination des hommes dans l'espace public. "Quand on vide l'espace public, des principes mécaniques reviennent : les propriétaires de ces espaces expérimentent leur droit à la propriété", ajoute la cofondatrice de la plateforme d'innovation "Genre et ville", évoquant une "impunité/immunité" face au coronavirus chez des hommes pour lesquels "il est plus facile de jouer au chat et à la souris" dans ces espaces désertés.

La crainte d'"une vague de violences" au déconfinement 

La secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, qui a jugé utile de rappeler que le harcèlement de rue restait "évidemment interdit pendant le confinement", a dit jeudi craindre "une vague de violences sexuelles au déconfinement", pointant du doigt "le sentiment d'impunité des agresseurs conjugué au phénomène de décompensation".

Afin "d'éclairer l'action publique" pour l'après, le secrétariat d'Etat a créé il y a un mois un groupe de réflexion composé d'experts, a-t-elle fait savoir à l'AFP. Avocat, psychiatre, autrice, artiste, publicitaire ainsi que deux neuroscientifiques font notamment partie de la dizaine de personnalités qui devront préparer un rapport sur les mesures à prendre pour protéger les femmes après le 11 mai.

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