Covid-19 : comment la situation s'est dégradée ces dernières semaines en Ile-de-France
Le nombre de malades du Covid-19 en réanimation a dépassé le pic de la deuxième vague et oblige déjà à des déprogrammations dans les hôpitaux. Et tout semble indiquer que la situation continuera d'empirer.
Les habitants d'Ile-de-France retiennent leur souffle. Mardi 16 mars, sur BFMTV, le Premier ministre Jean Castex a jugé que "le moment [était] venu pour envisager des dispositions pour la région francilienne". Si le chef du gouvernement a affirmé que la décision n'était pas encore prise et que les mesures à mettre en place n'avaient pas encore été décidées, le verdict semble toutefois imminent. "Reconfiner le week-end, c'est une hypothèse", a d'ailleurs concédé le Premier ministre.
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Le sujet était discuté mercredi matin lors du conseil de défense sanitaire puis du Conseil des ministres, à l'issue duquel le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a confirmé que de "nouvelles décisions" allaient être annoncées jeudi et appliquées à partir de samedi, en Ile-de-France mais aussi dans les Hauts-de-France. Pourquoi cette issue que l'exécutif semble avoir cherché à éviter semble-t-elle difficilement évitable ?
Les services de réanimation se sont remplis
Lundi, l'Ile-de-France a franchi un seuil symbolique : il y a désormais davantage de malades du Covid-19 en réanimation ou en soins intensifs dans la région que lors du pic de la seconde vague, en novembre dernier. Ils étaient 1 177 mardi contre 1 138 le 12 novembre. Du jamais-vu depuis le 9 mai 2020, juste avant le déconfinement (mais la tendance était alors à la baisse).
Comme le montre le graphique ci-dessus, le nombre de patients en réanimation augmente particulièrement vite depuis la fin du mois de février. Le 22 février, date de l'annonce du reconfinement le week-end dans une partie des Alpes-Maritimes, la situation semblait plus stable : on comptait alors 772 patients en réanimation en Ile-de-France et ce chiffre avait peu augmenté les semaines précédentes.
Les transferts de patients franciliens vers d'autres régions, sur lesquels le gouvernement comptait pour alléger la pression hospitalière, n'ont rien changé. Mercredi, le directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch, révélait sur RTL que seuls 10 patients en avaient bénéficié les trois jours précédents. Quant aux TGV sanitaires pensés pour transporter une vingtaine de malades, ils n'ont encore jamais circulé. Ce qui s'explique par les réticences des familles et le fait qu'"à peine plus de 10%" des malades en réanimation sont "suffisamment stables" pour être transportés, d'après Martin Hirsch.
Cela n'aurait de toute façon changé qu'à la marge une situation décrite comme critique par le patron de l'AP-HP. Au sein des seuls hôpitaux de Paris, on compte davantage de malades du Covid-19 en réanimation (1 100) qu'il n'y a habituellement de lits de réanimation occupés par l'ensemble des malades, toutes pathologies confondues (1 000), a-t-il détaillé.
La situation a aussi des conséquences pour les autres malades. Le 8 mars, le directeur de l'Agence régionale de santé d'Ile-de-France Aurélien Rousseau avait donné "l'ordre ferme" aux établissements publics et privés de déprogrammer 40% de leurs activités, pour passer de 1 050 à 1 577 lits de réanimation disponibles pour les malades du Covid-19. Il évoquait, déjà, une "tension extrême".
Le taux d'incidence n'a cessé d'augmenter
Dans le même temps, le nombre de cas positifs détectés rapporté à la population a nettement augmenté dans les huit départements d'Ile-de-France. Comme le montrent les graphiques ci-dessous (selon les dernières données publiées, datant du 13 mars), après avoir été en faible augmentation et compris entre 200 et 300 cas par semaine pour 100 000 habitants de mi-janvier à mi-février, la hausse du taux d'incidence s'est ensuite accélérée. On constate pour certains départements une sorte de plateau entre la dernière semaine de février et la première semaine de mars, mais les courbes se sont redressées depuis.
Dans tous ces départements, le seuil d'"alerte maximale" fixé à 250 cas hebdomadaires pour 100 000 habitants est dépassé depuis plusieurs semaines. Et la région, de même que la plupart de ses départements, dépasse le seuil de 400, évoqué dimanche par Jean Castex sur Twitch comme celui qui avait justifié les reconfinements partiels dans les Alpes-Maritimes, à Dunkerque et dans le Pas-de-Calais.
Comme le montre la carte du taux d'incidence des départements et métropoles qui figure dans notre tableau de bord, la situation de l'Ile-de-France la distingue du reste du pays : les départements franciliens sont parmi les plus touchés du pays, avec le Pas-de-Calais, le Nord et les Alpes-Maritimes. La proportion de personnes infectées par le variant du virus qui a émergé au Royaume-Uni, plus contagieux, y est importante, comme le montre une carte de Santé publique France mise à jour lundi. En revanche, une autre carte de cette même page laisse apparaître que les départements franciliens ne sont pas ceux où l'incidence augmente le plus vite.
Les projections sont inquiétantes
S'il change son fusil d'épaule, l'exécutif ne le fera pas forcément uniquement en raison de la situation actuelle, mais aussi par crainte de l'évolution défavorable de la situation. Depuis le début de l'épidémie, l'évolution du nombre de contaminations se reflète avec plusieurs semaines de décalage sur les hospitalisations puis les entrées en réanimation, en raison du temps que met le Covid-19 à s'aggraver. L'augmentation actuelle du taux d'incidence en Ile-de-France suggère donc que la situation risque d'empirer dans les hôpitaux. La hausse visible fin février, au moment où étaient prises les mesures de restriction dans les Alpes-Maritimes et à Dunkerque, préfigurait d'ailleurs déjà la situation observée aujourd'hui en réanimation.
Dans un avis transmis à l'exécutif le 11 mars, pas encore public mais consulté par Le Monde, le Conseil scientifique, se basant sur des modélisations de l'évolution de l'épidémie sous l'effet de la vaccination, dresse des scénarios inquiétants au niveau national. Selon le journal, ils estiment notamment que la vaccination aura peu d'effet sur l'occupation des réanimations, et que, si les mesures de restriction ne changent pas, les hospitalisations pourraient continuer d'augmenter jusqu'à fin mai, et dépasser leur niveau des précédentes vagues. Ils préconisent donc des restrictions locales le plus tôt possible.
Mercredi, sur RTL, Martin Hirsch livrait également des prédictions sombres, cette fois concernant spécifiquement l'AP-HP. "Si je me projette dans 15 jours, si je regarde notre tableau de bord, on pense, sans que la tendance se ralentisse et elle ne se ralentira pas, qu'on aura entre 1 700 et 2 100 patients" malades du Covid-19 en réanimation, contre 1 100 aujourd'hui. "Si je vais jusqu'au 6 avril, on passe entre 2 000 et 2 800 patients". "2 800 patients, c'est exactement [le nombre de patients] qu'on a eu du mal à prendre en charge il y a un an", pendant la première vague, a notamment alerté le patron de l'AP-HP. "Pendant plusieurs semaines, on n'a pas traité autre chose que le Covid", à l'exception de "quelques transplantations urgentes". Une situation qui, étant donné le temps pris par les mesures sanitaires pour faire effet, semble déjà difficile à éviter.
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