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Covid-19 : les hôpitaux sont-ils prêts à faire face à une deuxième vague ?

A la fin de l'été, le Premier ministre Jean Castex a assuré que la système hospitalier français était suffisamment doté en lits, en masques et en réanimateurs pour affronter une recrudescence du nombre de malades.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - Julien Nguyen Dang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Des soignantes préparent la chambre d'un patient à l'hôpital Saint-Camille de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne) le 29 avril 2020. (ALINE MORCILLO / HANS LUCAS / AFP)

La "seconde vague" de l'épidémie de Covid-19 s'abat-elle sur Marseille ? Le nombre de cas graves ne cesse d'augmenter dans les Bouches-du-Rhône. A tel point que les hôpitaux publics de la région marseillaise ont été contraints de revoir en urgence leur dispositif à la hausse, en ajoutant "dans les quinze à vingt jours à venir" 17 lits de réanimation et de soins critiques aux 70 déjà dédiés dans le département, selon Dominique Rossi, le président de la commission médicale de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (APHM).

Au niveau national, avec 32 départements en "vulnérabilité élevée", "la progression de la circulation virale est exponentielle" et la "dynamique de la transmission en forte croissance" est "préoccupante", a alerté Santé publique France"A partir des calculs qu'on peut faire, a prévenu Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, le 10 septembre sur RTL, le nombre de lits de réanimation qui peuvent être consacrés aux 'patients Covid' va être bousculé et interpellé à partir de la mi-octobre ou à partir de début octobre dans certaines régions."

Des chiffres très inférieurs au pic d'avril

Le système hospitalier français est-il "prêt" à faire face à une nouvelle vague épidémique, comme l'a assuré le Premier ministre, Jean Castex, le 27 août ? Pour l'heure, les hôpitaux français ne sont pas saturés. Après une baisse progressive pendant l'été, les admissions en réanimation ont tout de même retrouvé leur niveau du 30 juin. Le 9 septembre, 593 patients occupaient des lits de réanimation ou de soins intensifs dans les établissements de santé français. En Ile-de-France, région la plus peuplée, 202 patients étaient hospitalisés en réanimation ou soins intensifs, d'après la plateforme publique Géodes. Un chiffre très inférieur au pic atteint le 10 avril, lorsque les hôpitaux franciliens en comptabilisaient 2 668.

Le taux d'occupation des lits de réanimation reste ainsi relativement bas, autour de 9% au niveau national le 3 septembre, avec des taux par département inférieurs à 40%, hormis en Guyane où 65% des lits étaient occupés – le seul point "rouge" de la carte "verte" établie par le ministère de la Santé

Les médecins réanimateurs scrutent toutefois ces indicateurs au quotidien. "Il est difficile à ce stade de savoir comment les choses vont évoluer", admet Pierre-François Dequin, chef du service de réanimation du CHU de Tours. "Est-ce qu'on est au début d'une deuxième vague ? Est-ce que ça va flamber ou est-ce qu'on est face à une évolution à plus bas bruit ?" s'interroge-t-il. "On espère tous se tromper mais on craint d'avoir dans quinze jours un afflux important de malades", s'inquiète pour sa part Djillali Annane, chef du service de réanimation de l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine).

Ce qui est en train de se passer à Marseille, on s'apprête probablement à le vivre en Ile-de-France, dans les Hauts-de-France et dans la région bordelaise.

Djillali Annane

à franceinfo

Des plans pour augmenter le nombre de lits

Face à une éventuelle seconde vague, le ministère de la Santé a bâti une stratégie. Il a notamment décidé d'augmenter le nombre de lits de réanimation disponibles dans les hôpitaux. "Lors de la première vague, nous avons été capables de passer de 5 000 à près de 9 000 lits de réanimation", rappelait Olivier Véran fin juin dans un entretien au Monde. Et le ministre d'annoncer : "Nous avons décidé d'être en mesure d'armer a minima 12 000 lits de réanimation dans les hôpitaux et d'admettre 30 000 malades en réanimation."

A Tours, "les plans de montée en charge sont prêts" et ont été "un peu modulés par rapport à la première vague", assure Pierre-Francois Dequin. L'hôpital a notamment amélioré un point. 

Dès qu'on commence à remplir une unité, il faut anticiper que l'unité d'après doit être prête, parce que les choses peuvent parfois aller très vite.

Pierre-Francois Dequin

à franceinfo

A Rennes, il y a "un plan en dix niveaux", expose Yves Le Tulzo, chef du service de médecine intensive et réanimation du CHU à Rennes. "Plus le nombre de malades augmente, plus on recrute des lits de réanimation." Les services des maladies infectieuses, de soins intensifs et de réanimation qui vont accueillir les patients Covid sont prioritaires pour envoyer des malades dans un autre service, afin qu'il y ait tout le temps des lits disponibles, explique le réanimateur. Grâce à cette "mobilisation graduée", l'Agence régionale de santé de Bretagne affirme pouvoir plus que doubler le nombre de places en réanimation, de 164 habituellement à 439.

Une prise en charge plus efficace 

Les réanimateurs ont toutefois des raisons d'espérer que la seconde vague tant redoutée soit moins difficile à surmonter que la première. "La population a changé son comportement, observe Yves Le Tulzo. Désormais, il y a du gel hydroalcoolique, des masques, les Ehpad sont mieux armés, la notion de confinement existe, on a des tests... La situation est très différente." "Tout le monde est averti des risques et de qui sont les personnes vulnérables", confirme Bruno Mégarbane, chef du service de réanimation de l'hôpital Lariboisière à Paris.

Normalement, on ne devrait pas se retrouver dans le même scénario. Les patients qu'on prend en charge en réanimation n'ont rien à voir avec la gravité des cas de mars-avril.

Bruno Mégarbane

à franceinfo

Les soignants ont, de plus, fait des progrès en matière de prise en charge des malades. "Les corticoïdes administrés chez les patients hospitalisés ayant développé des formes sévères permettent de diminuer de 20% la mortalité", relève Pierre-Francois Dequin.

On a des médicaments corticoïdes qui sauvent des vies et permettent d'éviter que l'état des patients ne s'aggrave au point de nécessité l'intubation.

Djillali Annane

à franceinfo

L'intubation, elle, n'est plus systématique, comme au début de la crise. Les médecins préfèrent à ce geste médical invasif pouvant entraîner des complications, notamment des infections, l'oxygénothérapie à haut débit, qui envoie de gros volumes d'air dans le nez du patient via de petits embouts. "En mars, 95 à 100% des malades dans mon service étaient intubés et ventilés en coma artificiel. Depuis quelques semaines, c'est un tiers seulement", évalue le médecin réanimateur de Garches.

Le docteur Pierre-François Dequin, chef du service de réanimation du CHU de Tours (Indre-et-Loire), effectue une intubation sur un mannequin le 31 mars 2020, au 15e jour du confinement sanitaire pour lutter contre l'épidémie de coronavirus. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

L'une des complications graves du Covid-19, la formation de caillots sanguins, est également mieux combattue, grâce aux anticoagulants, relève Yves Le Tulzo, qui prévient toutefois : "Ce ne sont pas des progrès gigantesques. Il n'y a toujours pas de traitement spécifique ni de vaccin."

Des hôpitaux qui sont capables de s'entraider

Les hôpitaux ont aussi tiré les leçons de la crise. Au début de l'épidémie, les autorités sanitaires avaient fait le choix, pour la région Ile-de-France, de concentrer les malades dans deux services de référence : à Bichat et à la Pitié-Salpêtrière, rappelle Djillali Annane. "Pour beaucoup d'entre nous, c'était une stupidité. Imaginer concentrer un torrent sur deux bassins était la meilleure façon d'obtenir rapidement le débordement et la perte de contrôle. C'est ce qui s'est passé."

Aujourd'hui, on s'organise collectivement en réseau de réanimateurs. On partage l'information, on s'entraide pour, par exemple, voir combien chacun d'entre nous peut prendre de malades atteints du Covid-19 sans impacter la prise en charge des autres malades

Djillali Annane

à franceinfo

La douloureuse expérience acquise pourrait à l'avenir faciliter la coopération entre les différents établissements de santé. "Il y aura moins d'hésitation à transférer des patients d'une région à une autre. Cette répartition territoriale entre les ARS est mieux rodée", veut croire Yves Le Tulzo. Idem pour le recours aux cliniques privées en cas de besoin. "Les malades Covid vont rester au CHU. En revanche, tout ce qui pourra être transféré vers les cliniques privées le sera. La chirurgie digestive ou orthopédique, les problèmes médicaux plus simples", prédit le médecin rennais.

Une accalmie réparatrice pour les services

L'été a également permis aux hôpitaux et aux soignants de souffler un peu. "On a pu profiter de l'accalmie pour refaire les stocks de certains matériels : les masques, les tenues de protection, etc.", remarque Pierre-Francois Dequin. Et même s'il y a "toujours des médicaments pour lesquels on est sur des flux tendus", admet-il, "des parades" ont pu être trouvées "à chaque fois".

Les hôpitaux n'ont pas baissé la garde pour autant. "Les cellules de crise continuent de se tenir. Mais au plus fort de l'épidémie, on en avait tous les jours, week-ends compris. Là on en tient une par semaine", se félicite Pierre-Francois Dequin.

On n'est pas à l'abri d'un débordement, mais on est beaucoup mieux préparé.

Yves Le Tulzo

à franceinfo

Pour ne pas être submergés par la première vague de l'épidémie, les hôpitaux avaient dû faire un choix douloureux : arrêter la plupart des soins non urgents pour se concentrer sur les malades du Covid-19.  "On considère qu'on ne peut pas déprogrammer des malades, comme la première fois, parce qu'on a vu les effets que ça avait en terme de retards de soins pour beaucoup de patients, que ce soit des soins médicaux ou des interventions chirurgicales, note Yves Le Tulzo. Tous les hôpitaux de France ont éclusé ce retard à partir du mois de mai. On ne veut pas que ça se reproduise."

Tout dépendra de l'ampleur de la vague

Ce choix n'est pas sans conséquences. "Le potentiel de lits qu'on pourrait consacrer au Covid est donc réduit", pointe Bruno Mégarbane. Conserver cette stratégie "ne sera possible que si les cas de Covid ne flambent pas comme en mars-avril", avertit Pierre-Francois Dequin.

Si on a un gros afflux de malades, ça va être compliqué. Si c'est nécessaire, on dédiera de nouveau des services à ça, mais on n'en est pas là.

Yves Le Tulzo

à franceinfo

Si besoin, "le nombre de lits pourra toujours être augmenté, si on arrête d'autres activités. Mais pour le personnel soignant, c'est plus compliqué", prévient Bruno Mégarbane. "Quand on dit qu'on a doublé le nombre de lits de réanimation, c'est faux. On a doublé le nombre de lits avec respirateur. Mais la réanimation, c'est des machines et des hommes", dénonce Pierre-Francois Dequin.

S'il y a un doublement, un triplement voire un décuplement des admissions en réanimation dans les prochaines semaines, nous ne serons pas suffisamment nombreux pour prendre en charge les patients.

Djillali Annane

à franceinfo

A l'hôpital Lariboisière, Bruno Mégarbane a aussi sorti a calculette : "Si on calculait le nombre de contaminations par jour qui auraient dû être constatées pendant le pic épidémique [en février et en mars] on serait plutôt au-delà de 50 000 par jour, détaille-t-il. A ces niveaux, on serait donc à saturation de tous les côtés. Là actuellement, à 9 000 on est en pré-saturation. Tout dépend du niveau de stabilisation."

Il redoute aussi que les renforts venus prêter main forte lors du pic épidémique ne répondent plus à l'appel. "Les gens sont moins motivés. Même à Paris, ça se voit. Ils sont plus fatigués. La dernière fois, il n'y avait que deux régions vraiment atteintes. Les médecins d'Occitanie et de Paca sont venus aider à Paris. Là, ça sera moins le cas. Ils ont leur propres problèmes sur place." remarque le réanimateur.

Si une région arrive à saturation, elle devra se débrouiller plus ou moins seule.

Bruno Mégarbane

à franceinfo

Le démarrage de l'épidémie de grippe saisonnière pourrait rendre la tâche des soignants encore plus ardue. "Il n'y aurait rien de pire pour nous, car on serait obligés de considérer que tous les patients sont Covid et on devrait les séparer les uns des autres. Il faut se vacciner contre la grippe, c'est fondamental", insiste Jean-Michel Constantin, chef du service de réanimation de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

Tout va donc dépendre de l'ampleur de cette reprise épidémique. "Si les contaminations concernent un peu plus les sujets à risques, on peut passer d'une situation un peu cool pour les réanimations à quelque chose de beaucoup plus critique", prédit Bruno Mégarbane. "Le facteur essentiel, c'est de faire en sorte que la population se contamine moins et notamment les gens à risques, estime Yves Le Tulzo. Tout dépend de la capacité qu'auront les institutions à maintenir la population dans un état d'esprit tel que les mesures barrières seront respectées."

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