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Covid-19 : s'il faut trier les patients, "ce sont les gens jeunes qu'on va bien évidemment privilégier", prévient un infectiologue

Benjamin Davido défend la mise en place d'un confinement strict national pour limiter les interactions au maximum. "Il n'y a que ça qui permettra d'infléchir la réanimation et d'avoir des jours meilleurs", défend-il.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une infirmière s'occupe d'un patient atteint du Covid-19 dans le service de réanimation du Centre hospitalier de l'Europe à Port-Marly(Yvelines), le 25 mars 2021. (MARTIN BUREAU / AFP)

Face à la flambée de l'épidémie de Covid-19, si les hopitaux devaient trier les patients, "ce sont les gens jeunes qu'on va bien évidemment privilégier", a indiqué dimanche 28 mars sur franceinfo Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches dans les Hauts-de-Seine. Il est l'un des signataires de la tribune parue dans le Journal du dimanche, dans laquelle des médecins de l'AP-HP indiquent se préparer à faire un "tri des patients" atteints du Covid-19.

franceinfo : Quand on entend parler de "tri des patients", on se demande comment va se faire ce tri. Est-ce que vous savez sur quels critères vous allez devoir prendre ces décisions très difficiles ?

Benjamin Davido : D'abord il faut rassurer les auditeurs : le choix en médecine, c'est notre quotidien. On a l'habitude des choix, selon un critère d'âge on sait qu'il y a des gens qui ont plus ou moins de bénéfice à la réanimation. On a observé des gens de plus en plus jeunes arriver à l'hôpital et ce sont ces gens jeunes qu'on va bien évidemment privilégier. Mais on n'aimerait pas se retrouver dans une situation où, par manque de place et saturation des hôpitaux, on soit dans une qualité des soins qui soit dégradée.

La grande différence par rapport à mars dernier, c'est que l'hôpital est aujourd'hui rempli de malades du Covid, mais également de patients non-Covid. Aujourd'hui, les lits d'hospitalisation se comptent sur les doigts de la main.

Benjamin Davido, infectiologue

à franceinfo

On se demande comment on va faire lorsqu'il reste des malades le matin dans le service des urgences pour lesquels on n'a pas pu trouver de lits d'hospitalisation. À un moment donné, il va y avoir une situation extrêmement compliquée lorsqu'il y aura des urgences vitales à gérer et qu'on n'aura plus de place dans les services d'hospitalisation.

Ca veut dire qu'il est encore possible d'éviter cette situation ?

Je pense que tout ce qui peut être fait pour diminuer les contaminations aujourd'hui est nécessaire. On voit bien que, du côté des politiques, certains s'activent pour ouvrir en urgence des lits d'hospitalisation en réanimation, notamment en Ile-de-France. Mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'on ne pourra pas étendre à l'infini ces lits d'hospitalisation.

L'exemple de l'Allemagne a montré qu'avec trois fois plus de lits de réanimation, on ne sauvait pas plus de gens et qu'à un moment donné, ce qu'il faut surtout c'est freiner les contaminations.

Benjamin Davido

à franceinfo

Ce qu'on voudrait, globalement, c'est trouver une solution d'un coup de baguette magique et que tout le monde arrête de se contaminer. On sait que les choix sont extrêmement difficiles au niveau politique, le confinement est une décision politique, et qu'il y a un impact à la fois économique, psychologique et sociétal. Mais très clairement, on arrive à un taux de contamination très insolent de plus de 40 000 contaminations et ça nous rappelle de mauvais souvenirs. La gravité et le volume de patients qui arrivent aujourd'hui à l'hôpital ressemblent étrangement à ce qui se passait au printemps dernier.

N'est-il pas encore trop tôt pour évaluer l'impact des mesures de confinement actuelles ? Vous avez le sentiment que ça ne va pas changer grand-chose ?

Dès mercredi, on devrait être capable de voir ou pas si les mesures de confinement extérieur ont été efficaces. Je pense que l'idée du confinement extérieur était bonne. Simplement, la communication autour n'a pas été assez claire. On a vu massivement des gens le week-end dernier partir notamment de la région Ile-de-France, alors même que les déplacements entre les régions étaient interdits.

Moi j'avais plaidé contre ce confinement régionalisé, puisque la réalité c'est qu'un confinement n'a de sens que lorsqu'il est national, pour que les mesures s'appliquent à tout le monde.

Benjamin Davido

à franceinfo

Quand il fait meilleur vivre dans un endroit plutôt qu'un autre en France vous créez de facto des mouvements de population. Les prochaines vacances de Pâques pointent le bout de leur nez. Donc il y a beaucoup de décisions à prendre aujourd'hui dans l'urgence qui vont impacter les hospitalisations dans les 15 prochains jours. Et donc, il va falloir avoir des décisions qui à la fois permettent de libérer des lits à l'hôpital et permettent de vivre avec le virus.

Cette tribune alerte aussi sur les conséquences des déprogrammations des opérations non urgentes, ça peut conduire à la mort de patients à moyen terme ?

Exactement. Dans l'hôpital Raymond Poincaré où je travaille, il y a de la chirurgie plastique de haute voltige. Les patients sont sur des listes d'attente depuis plusieurs mois et viennent parfois de la France entière. Décaler ces opérations programmées qui sont déjà dans une certaine urgence peut impacter le pronostic vital des malades. Et je ne parle même pas de la chirurgie oncologique ! C'est extrêmement difficile d'évaluer de manière précise les pertes de chance pour les patients. Mais ce qu'on veut, c'est ne pas avoir à rattraper au mois d'août toutes les complications qui découleraient de cette saturation hospitalière. La réalité c'est qu'il faut limiter les interactions entre les individus pour diminuer les contaminations. Il n'y a que ça qui permettra d'infléchir la réanimation et d'avoir des jours meilleurs en attendant que la campagne de vaccination fasse effet. Pour ça on sait qu'il faudra encore deux à trois mois pour ressentir une amélioration sur les hospitalisations.

Vous avez le sentiment que ces décisions de déprogrammation sont prises à la légère par l'exécutif ?

Non je ne crois pas, je pense qu'il y a un choix qui s'opère entre des malades de réanimation qui arrivent pour des raisons de vie ou de mort et un malade qui est programmé. Il y a une urgence qui est immédiate et une urgence qui est relative. Je suis extrêmement inquiet parce qu'on est en train de revivre le scenario de mars dernier, ce qui est un aveu d'échec à la fois politique mais aussi du sanitaire. Beaucoup de mes collègues avaient vanté l'amélioration de la qualité des soins. La réalité c'est que le virus a le pas sur nous et que même avec la meilleure des volontés, la meilleure des énergies on voit qu'on arrive dans la même situation que l'an dernier et c'est démoralisant. On va arriver à un moment où on n'aura plus d'autre choix que reconfiner.

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