: Document franceinfo "On ne pensait pas pouvoir le faire, maintenant il va falloir tenir" : immersion dans un hôpital parisien à l'heure du Covid-19
Depuis plusieurs semaines, les soignants de l'hôpital Bichat, dans le nord de Paris, se surpassent face à l'afflux de malades du Covid-19, pour qui ils font le maximum. Mais parfois, ce n'est pas suffisant. Franceinfo a pu les suivre pendant 24 heures.
C'est dans les murs de l'hôpital Bichat, dans le nord de Paris, qu'est décédé le premier mort du Covid-19 sur le sol français, un touriste chinois de 80 ans, samedi 15 février 2020. Depuis, les soignants de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ont été confrontés à la vague de l'épidémie qui a touché le pays, et plus particulièrement l'Île-de-France.
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L'hôpital Bichat a ouvert ses portes à franceinfo pendant plus de 24 heures. Après l'afflux de malades du Covid-19 auquel ils ont fait face, voici le portrait aujourd’hui d'un hôpital et de ses soignants : leur fatigue, leurs doutes, leurs peines, leurs colères, mais aussi, derrière leurs masques, leurs sourires et leurs rires.
Ces soignants, franceinfo les avait rencontrés il y a un mois pour un reportage dans le service de réanimation, le cœur de l’hôpital. Il accueillait alors les premiers malades français du Covid-19. Dans ce long couloir aux 36 chambres occupées par des patients très gravement atteints, on retrouve une figure familière, le Pr Lila Bouadma, le visage marqué.
Je pense que comme tous les réanimateurs français, on est sous le choc, car on n'a jamais vécu quelque chose comme ça.
Pr Lila Bouadma, médecin réanimatriceà franceinfo
"C'est beaucoup de travail : 7 000 malades en réanimation (dans tout le pays), c'est quelque chose qu'on ne pensait pas pouvoir faire, on y est arrivé mais ça a des conséquences sur la fatigue, etc. Maintenant, il va falloir essayer de tenir sur la durée, donc fatigués", poursuit le Pr Lila Bouadma.
Des soignants sans cesse confrontés à la mort
Et lorsqu'on interroge le Pr Bouadma sur le nombre de morts que déplore son service, elle explique : "Je n'ai pas compté, mais beaucoup. Beaucoup. Il y a plein de patients qui sont dans un état très graves et qui vont possiblement décéder."
Alors que l'on discute avec la réanimatrice, des infirmiers et aide-soignants s’agitent à côté de nous. Un patient vient de mourir. Le travail se fait en silence. Le corps peut être contagieux, il faut immédiatement le mettre dans une housse. Charlène et Marie, infirmières, se sont occupées de cet homme dans ses derniers instants.
On s'y attendait, on savait qu'il n'allait pas s'en sortir. Il est parti doucement.
Charlène, infirmièreà franceinfo
De quoi décourager. "Au début il y en avait beaucoup, on en a de moins en moins heureusement. Mais on prend l'habitude et c'est un peu triste", se désole Marie. Ce décès, c’est une terrible nouvelle, mais ce sera aussi une place de libre en réanimation, pour accueillir très vite un nouveau malade.
Des brancards et des morts partout
Ce patient décédé, c’est désormais Yannick Tolila-Huet, la responsable de la chambre mortuaire de l’hôpital, qui va s’en occuper. La petite femme aux cheveux grisonnants pensait en avoir vu d’autres. "C'est une pièce commune, à basse température, où tous les brancards sont disposés les uns à côté des autres. Normalement ils sont numérotés. Là il n'y a plus de numéros, il y a des brancards partout, partout, partout", dit-elle.
J'ai pris 10 ans là. Le Sida m'avait marquée définitivement, je ne pensais pas revivre un truc comme ça qui pourrait marquer ma carrière de soignante. Ça reste des épidémies que l'on n'oubliera pas.
Yannick Tolila-Huet, responsable de la chambre mortuaireà franceinfo
Et quand il n'y a plus de place... Il faut en trouver. "On l'a faite la place, on a été pas mal aidés. On a un semi-remorque réfrigéré sur le parking de la chambre mortuaire", explique Yannick Tolila-Huet. Des morts dans un camion, le procédé peut choquer, pourtant c'est la seule solution qui a été trouvée. "La seule façon de les conserver dignement pour ne pas que l'évolution du corps continue à se faire à vitesse grand V, la seule chose que l'on a, c'est le camion réfrigéré, poursuit-elle. Oui on va les mettre dans un camion réfrigéré, vous savez quand on n'a pas le choix, entre la peste et le choléra, il faut choisir."
L'hôpital, un lieu de vie avant tout
Plus loin, quelques notes de musique. Timothée joue du piano debout, au milieu d’un couloir de l’hôpital. Quand cet interne a une minute, il joue quelques notes pour ses patients. Car il y a aussi de la vie dans cet hôpital : des équipes soudées, couvertes de cadeaux, de dons, de chocolats. Un hôpital qui souffle un peu, à nouveau, en attendant que la prochaine vague de malades ne l’emporte peut-être.
Un hôpital qui rigole, même, derrière les masques. Au 8e étage de la tour principale, à l’accueil du service de pneumologie, Leila, Audrey et Séverine décompressent. Il y a de quoi avoir le sourire. Sur une chaise à côté, Nathalie Linon attend d’être reçue par le médecin. Elle se qualifie de survivante. Admise en réanimation, placée dans le coma, finalement, elle sortira de l’hôpital dans deux jours. "J'étais en pronostic vital engagé. Ils ont appelé mes filles et mon mari, il me restait trois mois à vivre. Et il s'est avéré que je m'en suis sortie."
Patients et des soignants profondément marqués
"J'ai eu des gens magnifiques", raconte Nathalie Linon, qui a passé presque deux mois à l'hôpital. "Nicolas, kiné respiratoire, c'est un jeune homme de 36 ans, et c'est lui qui m'a fait respirer. C'est peut-être grâce à lui que je suis encore en vie. Je ne sais même pas comment le remercier, je ne saurai jamais le remercier. Je pense que je n'ai pas assez de souffle dans ma vie, maintenant que j'ai du souffle, pour le remercier." C'est envers toute une équipe que Nathalie Lindon exprime sa gratitude : "Remercier aussi toutes les petites mains, même les femmes de ménage qui vous donnent leur sourire."
Tout a changé, toute notre vie, complètement. Ça ne sera plus comme avant je crois.
Pr Camille Taillé, pneumologueà franceinfo
Pour le Pr Camille Taillé, pneumologue, il y aura un avant et un après Covid-19 à l’hôpital : "On a vu des gens se révéler, prendre plein d'initiatives. On a vu des étudiants en médecine se transformer en infirmière, on a vu des chirurgiens aller faire l'aide-soignante en réanimation, on a vu des trucs extraordinaires, plein de gens super motivés. Donc ça aussi c'est beau de voir cet esprit de soignant qui se révèle dans la diversité. Il y a plein de belles choses."
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