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Epidémie de coronavirus : pourquoi est-il si difficile de connaître le nombre de personnes guéries en France ?

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Une femme portant un masque devant l'institut Pasteur à Paris, le 12 mars 2020. (MEHDI TAAMALLAH / NURPHOTO)

Le ministère de la Santé le répète en boucle : "98% des personnes guérissent" du coronavirus Covid-19. Mais alors, pourquoi les autorités ont-elles autant de mal à rendre public le nombre précis des malades sortis d'affaire ?

"Mesdames et messieurs, bonsoir." Le rituel est immuable : entre 19 heures et 20 heures, chaque soir, son visage rond apparaît sur nos écrans. Jérôme Salomon s'exprime en direct pour faire le point sur l'épidémie du coronavirus en France.

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Nombre de nouveaux cas, nombre de cas total, nombre de nouveaux décès, nombre de décès total… Le directeur général de la Santé n'oublie rien. Ou presque. Pas un mot sur le nombre de personnes guéries. Franceinfo a voulu savoir pourquoi.

Parce que les autorités ont arrêté de les compter

Jusqu'au 29 février, dans son point quotidien, Jérôme Salomon prenait de soin de préciser le nombre de personnes guéries. Depuis cette date, plus rien. A la Direction générale de la santé, on reconnaît ce changement. "Le nombre de personnes guéries n'est plus la priorité du moment. Nous sommes avant tout concentrés sur le suivi épidémique." Fin de l'histoire ? Pas vraiment. Il s'agit surtout de définir ce chiffre. Et là aussi, la DGS joue la carte de la transparence :

Au début de l'épidémie, il y avait très peu de cas avérés. Il était donc, de fait, facile de tracer les malades et d'annoncer quand ils étaient guéris.

La Direction générale de la santé

à franceinfo

"Désormais, c'est impossible au vu du nombre de cas qui ne cesse d'augmenter, on ne peut plus suivre chacun des malades. Les hôpitaux sont concentrés sur la prise en charge, et moins sur les remontées de chiffres aux Agences régionales de santé." Autrement dit, si les données ne remontent pas aux organismes compétents, difficile d'annoncer quoi que ce soit. 

Ce n'est pas qu'on ne veut pas donner le nombre de personnes guéries, c'est que nous ne sommes pas en mesure de le faire correctement.

La Direction générale de la santé

à franceinfo

Si la France a arrêté le décompte des personnes guéries fin février, ce n'est pas le cas de tous les pays. L'Italie, la Chine, la Corée du Sud ou encore l'Allemagne continuent de le communiquer.

Parce que ce chiffre n'a plus vraiment de sens 

"Vous me demandez si l'on peut connaître le nombre de personnes guéries en France ? Ma réponse va vous décevoir, c'est un non ferme." Olivier Bouchaud, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Avicenne, ne tourne pas autour du pot. "Pardon d'être aussi direct mais… quand on parle d'un malade guéri, on parle de qui au fait ?" Le professeur met ici le doigt sur une limite partagée par une très grande partie du corps médical.

Pour évaluer le nombre de personnes guéries, on peut uniquement se référer qu'aux personnes qui ont été testées. Or, ça ne représente plus grand-monde puisqu'on ne teste plus la grande majorité des patients.

Olivier Bouchaud

à franceinfo 

Concrétement, il y a les malades testés et les malades pas testés, ceux qui n'ont pas été hospitalisés en raison de symptômes très légers, "ceux qui n'ont connu qu'un petit rhume"... Ceux-là, s'interroge Olivier Bouchaud, "faut-il aussi les compter ? Et si oui, comment faire ?" Son collègue Alexandre Bleibtreu, médecin-infectiologue à la Pitié Salpêtrière à Paris, est d'ailleurs du même avis : "Comme il y a beaucoup de formes peu symptomatiques, il y a certainement beaucoup plus de personnes infectées par le coronavirus que celles annoncées. Je serais incapable de vous dire si c'est deux fois plus ou quatre fois plus. Mais ce sont des gens qui vont guérir naturellement et rapidement, à la maison. Ceux-là sont hors des radars."

Parce que le stade 3 va compliquer les choses

Presque deux mois après que le Covid-19 a toqué à la porte du pays, le ministère de la Santé est de nouveau enclin à communiquer sur le nombre de guérisons. Dans son point du 11 mars, Jérôme Salomon a ainsi demandé à Santé publique France de se retrousser les manches pour obtenir ces données-là. "Il est important que les Français voient et entendent des personnes guéries", a déclaré ce soir-là le directeur général de la Santé.

Reste à savoir quand ce comptage se fera. "Très bientôt", répond le ministère. Mais le passage imminent au stade 3 de l'épidémie devrait compliquer encore un peu plus la remontée des données. "Ça va être un travail de fou, prévient un médecin parisien. Déjà qu'on n'y arrive pas en stade 2, je ne vois pas comment on pourrait y arriver en stade 3."

Ça ne pourra être que des chiffres partiels. Ils ne seront pas faux, ils seront juste partiels. C'est déjà intéressant.

Alexandre Bleibtreu

à franceinfo

C'est aussi ce que pense Olivier Bouchaud : "Il n'y a pas de raison de prendre ce futur chiffre avec des pincettes, il aura le mérite d'exister. En revanche, il faudra mettre en garde les Français en leur précisant qu'il ne correspond pas à la réalité épidémiologique, qu'il correspond uniquement aux personnes ayant été testées. Ce qui veut dire qu'il y aura en fait beaucoup plus de personnes guéries du coronavirus", développe le chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Avicenne.

Certains spécialistes de la communication de crise estiment que cet effort aurait dû être fait bien avant. "Le nombre de personnes guéries est en effet un angle mort très préjudiciable", analyse par exemple Jean-Christophe Alquier.

J'ai tendance à croire que le passage au stade 3 va faire disparaître toute comptabilité statistique, et tout apparaîtra de fait moins transparent aux yeux de l'opinion publique. Gare aux 'fake news' et aux rumeurs.

Jean-Christophe Alquier

à franceinfo

Des professionnels de santé ne sont pas loin de penser la même chose. "C'est très bien de répéter à longueur de journée que la très grande majorité des personnes ont une forme très bénigne du coronavirus, conclut un médecin dans un hôpital parisien. Mais tant qu'on ne donne pas les chiffres des personnes qui en guérissent, on peut avoir du mal à le croire. C'est ce qui pourrait arriver si on tarde trop."

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