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Etude sur l'hydroxychloroquine : The Lancet est "le tabloïd de la presse médicale" et "a eu la volonté de faire le buzz", estime un professeur de médecine

Selon Philippe Froguel, The Lancet n'a pas respecté ses propres principes de relecture avant de publier la recherche mettant en cause l'efficacité de la molécule contre le coronavirus.

Article rédigé par franceinfo
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"The Lancet" a publié une étude sur l'hydroxychloroquine sans respecter "ses propres règles", affirme le professeur de médecine Philippe Froguel. (LOIC VENANCE / AFP)

Trois des auteurs d'une étude de la revue médicale The Lancet qui concluait à l'inefficacité de l'hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 ont décidé de se rétracter jeudi 4 juin, à cause de doutes sur la véracité des sources des données primaires étudiées. Philippe Froguel, chercheur en endocrinologie, biologie moléculaire et génétique et professeur au CHRU de Lille, a estimé, vendredi 5 juin, sur franceinfo que The Lancet est "le tabloïd de la presse médicale". Pour lui, le titre "a eu la volonté de faire le buzz" et d'ailleurs "ils sont coutumiers du fait, de temps en temps, de s'asseoir sur la déontologie".

franceinfo : Vous aviez critiqué l'étude problématique de The Lancet dès sa parution. Pensez-vous que la revue scientifique a manqué de prudence ?

Philippe Froguel : Oui. Je pense que The Lancet n'a pas respecté ses propres règles. Elles sont très simples : quand on est l'auteur d'une étude, il faut absolument avoir la preuve qu'on a accès aux données de base et c'est justement ça qui n'a pas fonctionné. On doit signer un engagement sur l'honneur disant qu'on a accès à tout ça et donc très probablement les quatre auteurs, ou en tout cas celui qui était le principal auteur, a dû mentir là-dessus et personne ne s'est interrogé à The Lancet.

Les données ont été obtenues en avril et l'article a été publié il y a quinze jours, donc le processus normal de ce qu'on appelle la relecture par les pairs ne s'est pas fait.

Philippe Froguel

professeur au CHRU de Lille

C'est quelque chose que je connais très, très bien. J'écris dans ces journaux-là, je suis un relecteur pour eux et il m'arrive régulièrement de recevoir un email me disant "on veut publier ça, on vous l'envoie, mais on veut la réponse dans trois jours, et de toute façon, on va le publier". C'est ce qu'on appelle les "reviews-proofs", comme on dit waterproof pour quelque chose qu'on peut mettre dans l'eau, c'est-à-dire que, quoi qu'on dise, de toute façon, ils le publieront.

The Lancet aurait-il cédé à la pression médiatique et politique ?

Je pense que pour The Lancet, il y a eu la volonté de faire le buzz, comme on dit maintenant. Mais ce n'est pas nouveau. Je les ai toujours appelés le tabloïd de la presse médicale. Leur plus gros scandale a été quand même l'article sur l'autisme [qui serait causé par] la vaccination contre l'hépatite C. C'était complètement faux et ça a entraîné l'arrêt des vaccinations en France contre l'hépatite C. Ils sont coutumiers du fait, de temps en temps, de s'asseoir sur la déontologie.

Si The Lancet a cette réputation, pourquoi l'Organisation mondiale de la Santé et le gouvernement français ont-ils immédiatement suspendu les tests d'hydroxychloroquine ?

Je pense qu'on a une trop grande déférence pour la presse médicale anglo-saxonne. Il faut vraiment qu'on se pose une question en Europe - sans les Anglais - et en France, sur notre souveraineté dans l'édition médicale. C'est quelque chose de très important parce qu'il y a de très gros enjeux financiers de laboratoires pharmaceutiques, de sociétés comme Servier.

Aujourd'hui, on est pieds et poings liés avec ces gens qui sont souvent honnêtes et parfois ne le sont pas du tout.

Philippe Froguel

chercheur en endocrinologie, biologie moléculaire et génétique

Il y a un petit côté aussi malicieux contre la France. The Lancet s'est illustré il y a deux ans par un éditorial contre le gouvernement français et ça leur a bien plu de se moquer de la recherche française, je pense. (…) La vérité scientifique aujourd'hui, c'est qu'on n'a pas véritablement de preuve de l'efficacité de l'hydroxychloroquine, mais qu'elle n'est pas non plus dangereuse. C'est ni un ange ni un démon. Donc, il faut continuer ces études. Finalement, la seule bonne nouvelle c'est que l'Organisation mondiale de la santé, les études internationales, anglaises, françaises, canadiennes vont continuer et à la fin des fins, on saura si l'hydroxychloroquine sert à quelque chose ou ne sert absolument à rien.

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