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"J'ai pris mon premier cappuccino en deux mois" : en Italie, les premiers jours d'un déconfinement très progressif

Le pays est entré lundi dans la "phase 2", autorisant les promenades et les visites aux proches, ainsi que la reprise du travail dans certains secteurs.

Article rédigé par franceinfo
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Des Italiens se baladent à vélo dans un parc à Rome, le 4 mai 2020, premier jour où les promenades sont autorisées et les parcs ouverts depuis le début du confinement. (REMO CASILLI / REUTERS)

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"Ce matin, j'ai pu amener mes filles au parc. Ça faisait deux mois qu'elles n'étaient pas sorties à part sur la terrasse." David, Français installé à Rome depuis près de huit ans, nous parle depuis la rue lundi 4 mai, et savoure d'avoir retrouvé un peu de liberté. "Avec ma femme, on a pris notre premier cappuccino à emporter depuis deux mois. C'est sûr que ça fait du bien." 

Le pays a en effet assoupli certaines règles imposées depuis le 9 mars face à l'avancée du coronavirus : environ 4,5 millions d'Italiens, employés notamment dans les industries non essentielles, peuvent reprendre le travail ; les cafés et bars peuvent vendre à emporter ; il est désormais possible de prendre du temps pour se promener mais toujours dans le cadre d'un déplacement nécessaire (sans limite d'un kilomètre), et les parcs ont rouvert ; et, surtout, les déplacements sont autorisés pour rendre visite à des proches.

Les rues se remplissent, mais la prudence règne

Mais cette "phase 2" d'un retour à la normale n'est pas perçue comme la véritable fin du confinement, contrairement à la perception du 11 mai pour beaucoup de Français. "Déconfinement, ça me semble être un grand mot", avertit Aurore, qui enseigne le Français à Bologne. "Ce n'est pas un retour à la normale, et on ne le perçoit comme ça. La normale ici, c'est vraiment la promiscuité, le fait de pouvoir être proches les uns des autres, ne pas réfléchir à ce qu'on fait ni porter un masque."

Ce tableau contrasté est décrit par tous les Français joints par franceinfo. "Là, je suis dans une rue très commerçante, et devant moi il y a quatre personnes", décrit David, en fin d'après-midi. "En temps normal, ce serait au moins cinq fois plus." Les bus qu'il voit passer sont quasiment vides. Lui qui tient une épicerie de produits français observe notamment la prudence des personnes âgées, "qui ne veulent pas entrer dans le magasin, et demandent que je laisse leur sac sur la porte". Dans les rues de Milan, les journalistes de France 2 constatent également que la prudence reste de mise.

A l'inverse, Lucie, journaliste indépendante, voit depuis sa fenêtre les habitants de Padoue recommencer à flâner, d'autant que la province de Vénétie a pris un peu d'avance sur les mesures nationales : "Ce week-end, j'ai revu pour la première fois des grappes d'ados ensemble, des familles avec les enfants déambuler avec leurs cônes de glace... Ils ont rouvert les glaciers, même si avec un masque, c'est un peu compliqué." Les Italiens ont également déjà commencé à profiter de l'autorisation de rendre visite à leurs proches : "J'ai pas mal d'élèves adultes qui ont leurs parents en Calabre, dans les Pouilles, en Campanie, et qui vont très prochainement leur rendre visite", explique Aurore.

En Italie, pas de polémique sur les masques

Mais alors que dans l'Hexagone les débats sont multiples à l'approche du 11 mai, les expatriés joints par franceinfo constatent une plus grande sérénité et davantage de consensus en Italie, où la gestion française est critiquée, notamment le temps qu'il a fallu pour imiter le confinement italien.

Quand je compare Macron et Conte, je trouve Conte parfois critiquable aussi, mais il parle de façon moins infantilisante et plus honnête. 

Lucie, journaliste française à Padoue

à franceinfo.fr

Depuis l'autre côté des Alpes, on suit ainsi avec étonnement la polémique française sur les masques. Non pas que l'approvisionnement soit forcément plus simple, mais "il n'y a pas de scandale de la même manière", explique Lucie. Son compagnon, employé d'une maison de retraite, est pourtant bien placé pour constater les manques, il a même fini par être contaminé. Pour Aurore, la différence tient à la communication : "Le gouvernement a très vite reconnu qu'il en manquait, et a fait en sorte de s'en doter. Il n'y a pas eu de déni de l'utilité du masque comme il y a eu en France de manière assez invraisemblable."

Tout n'est pas rose pour autant, et la gestion de l'épidémie de coronavirus a aussi ses accrocs. Comme en France, il existe parfois en Italie "une certaine forme de confusion par rapport à ce qu'on peut faire ou non", constate la professeure de Français. Ainsi, les Italiens ont désormais le droit de rendre visite à leurs proches, mais quels proches ? "D'abord, on a parlé d'affetti stabili, les relations affectives stables, mais il y a eu beaucoup de polémiques" sur le sens peu clair de l'expression, explique Lucie. Le gouvernement parle désormais de conguinti, mais "même après avoir regardé dans le dictionnaire, je ne suis pas sûre d'avoir bien compris", s'amuse la Française.

Lundi, les sites d'info italiens et le gouvernement se fendaient tous de leurs articles explicatifs – les petits amis c'est oui, les amis c'est non... Si cela vous rappelle nos interrogations françaises sur la notion de "motif familial impérieux", c'est normal.

Un avenir encore incertain

La situation économique est également au cœur des préoccupations. Si les cafés ont repris leur activité, ils restent fermés pour tout ce qui n'est pas de la vente à emporter, au même titre que les restaurants. Ces derniers "doivent rouvrir le 1er juin [tout en respectant la distanciation sociale], mais voient bien que certaines échéances ont été reportées", et restent donc méfiants, explique David. En tant que gérant d'épicerie et donc fournisseur de la restauration, il est aux premières loges pour constater les dégâts : "J'ai des clients qui me doivent de l'argent et ne commandent plus. Un manque à gagner que je reporte chez mon propriétaire, chez mes propres fournisseurs..." Et les dispositifs de soutien ne sont pas forcément aussi efficaces en Italie : son employée attend depuis deux mois le versement par l'Etat de son chômage partiel.

Autant de raisons qui expliquent que ces Français d'Italie ne se projettent pas encore dans l'après-Covid-19. "On est dans une phase dans laquelle on se pose beaucoup de questions", notamment sur le risque de reprise des contaminations, confie Aurore. "La prudence que montre le gouvernement, on la ressent aussi." 

J'ai reçu ces derniers jours des messages d'amis français qui me disaient 'Alors, bientôt la liberté ?'. Ce n'est pas du tout la sensation ici.

Lucie, journaliste française à Padoue

à franceinfo.fr

Lucie se reconnaît aussi dans l'attitude italienne, et le fait de ne pas parler de déconfinement. "Ce mot donne l'impression d'un avant et un après, où on pourrait faire ce qu'on veut. C'est trompeur."

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