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Le confinement a-t-il vraiment ravivé le clivage entre Paris et la province ?

Sur le littoral atlantique, l'arrivée de Franciliens à l'aube du confinement a cristallisé les angoisses des locaux. Franceinfo dresse le bilan de cette cohabitation, à l'heure du déconfinement.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Les Parisiens ont été nombreux à choisir de se confiner loin de la capitale, de préférence sur la côte atlantique où les résidents leur ont parfois réservé un accueil plutôt froid.  (AWA SANE / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Il y a le ciel, le soleil et la mer. Surtout, il n'y a pas le coronavirus. A l'heure où la France entame son déconfinement, lundi 11 mai, la carte publiée quotidiennement par Santé Publique France le confirme : les départements de la façade atlantique, comme ceux du Sud et du Centre, restent "verts". Le virus y circule peu. Il ne circule d'ailleurs encore activement qu'à Paris et dans le Val d'Oise, en ce qui concerne la métropole. C'est pourtant vers la capitale que rentrent désormais les "exilés du Covid-19", ces Franciliens qui avaient rejoint à la hâte familles et amis dès l'annonce du confinement le soir du 16 mars dernier. Voire plus tard, en bravant les interdits.

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Avec la reprise progressive du travail et de l'école, de nombreux "Parigots" lèvent l'ancre en ce long week-end du 8 mai. "Egoïstes, irresponsables, inconscients", contaminateurs en puissance au réflexe "presque criminel", importateurs peu scrupuleux de postillons dans des zones jusqu'alors épargnées par le coronavirus, ils sont devenus les boucs émissaires d'une France angoissée. Pourtant, à l'issue de presque huit semaines de confinement, la diffusion de l'épidémie sur le territoire laisse penser que cet "exode" n'a pas contribué à la propagation de la maladie. En revanche, il a mis en lumière de profondes inégalités territoriales et alimenté la redoutable machine à fantasmes en marche dans l'inconscient collectif français. 

"Je ne sais pas si les gens sont hostiles, puisque je n'en croise pas" 

"Non, je n'ai pas léché toutes les poignées de portes de Fouras". Au téléphone, Chloé rigole, mais au quotidien, cette Parisienne (née Finistérienne) de 36 ans fait profil bas. A l'annonce du confinement, elle a rejoint cette commune de Charente-Maritime avec sa compagne, habituée des lieux, dont les parents possèdent une maison de vacances face à l'océan. "A notre arrivée, on a halluciné de voir les images des plages bondées à l'île de Ré, juste en face. On s'est dit qu'on avait intérêt à ne pas trop se faire remarquer : on s'est enfermées pendant 15 jours. Depuis, on ne sort qu'une fois par semaine pour faire les courses au marché. Je ne sais pas si les gens sont hostiles, puisque je n'en croise pas." Dès le 16 mars, l'agacement s'est pourtant manifesté dans certaines stations balnéaires. Au Cap-Ferret (Gironde), un graffiti "Parigo home virus", apparaît dans la nuit, sur un mur. Sur les réseaux sociaux, d'autres invectives fusent alors que les médias s'attardent sur les images de la gare Montparnasse bondée, d'embouteillages sur l'autoroute, et de parcs parisiens noirs de monde.

A l'île de Ré, où "entre 4000 et 5000 personnes" sont arrivées en quelques heures, "le problème n'a pas tant été une question de nombre que de comportements",  acquiesce le président de la communauté de communes, Lionel Quillet. "Les personnes qui arrivaient tout juste des grandes villes ont retrouvé leurs réflexes. Elles sont allées sur les pistes cyclables, se sont promenées, ont profité du grand air. C'est humain. Il a fallu rappeler très rapidement les consignes du confinement. Et depuis le début, on gère la situation normalement."

Ainsi, à Fouras, Chloé et sa compagne n'ont même pas rendu visite à leurs proches, d'autres "Parisiens" confinés dans le secteur. Les nouvelles qu'elles ont reçues par téléphone les ont un peu refroidies : "Des amis qui ont un accès privé à une plage isolée ont vu débarquer un hélicoptère de la police. Les enfants ont eu la trouille de leur vie. Chez d'autres potes, ils ont sonné à la porte pour leur demander des explications quant à leur plaque d'immatriculation [francilienne]. En repartant, ils nous ont prévenues : 'à la sortie de la ville, la police ne contrôle que les 75.' Et on leur a bien dit de ne pas remettre les pieds ici."

 "L'île de Ré, ça a été l'arbre qui a caché la forêt"

A Belle-Ile (Morbihan), "c'est en voyant que la situation épidémique n'évoluait pas et que les consignes étaient bien respectées que les tensions se sont progressivement apaisées", explique Thibault Grollemund, maire élu du Palais. Il concède toutefois, comme les autres élus locaux du littoral contactés par franceinfo, que la méfiance subsiste chez certains résidents. Leur crainte de voir le virus débarquer avec ces confinés s'est-elle vérifiée ? "Il n'y a aucune trace de cela dans les statistiques dont nous disposons", répond le géographe Hervé Le Bras, directeur d'études à l'Institut national de démographie (Ined). Et pour cause, les départements d'accueil des Franciliens montrés du doigt n'ont pas connu de hausse du nombre de cas après leur arrivée. Difficile également de savoir combien de cas confirmés correspondent à des personnes ne résidant pas habituellement dans le département où elles ont été testées. Seule l'agence régionale de santé de Bretagne communique ce chiffre dans un bilan daté du 4 mai : au moins 219, sur près de 2500 cas positifs dans toute région depuis le début de l'épidémie.

Impossible cependant de savoir s'il s'agit de résidents frontaliers, de non-Bretons contaminés dans la région ou de cas "importés" d'autres territoires. Pour connaître le rôle joué par ces exilés, "il nous faudrait des statistiques très locales, dans les stations balnéaires ou se concentrent ces résidences secondaires", assure Hervé Le Bras. Des chiffres récoltés par l'opérateur téléphonique Orange et décortiqués début avril par l'Insee, permettent toutefois de quantifier l'exode : près de 200 000 personnes ont fui la capitale avant le confinement "et à peu près autant dans les semaines qui ont suivi", précise le sociologue Jean-Didier Urbain.

Or, les zones de répartition de ces Franciliens ne se limitent pas au littoral, d'où émanent les critiques les plus vives. Le sociologue est, à plus d'un titre, bien placé pour le savoir. Spécialiste des mobilités, il est lui-même un habitant de Paris confiné dans l'Yonne, où il s'était rendu pour préparer le mariage de sa fille. "11% de ceux qui ont quitté Paris se sont rendus dans ce département, explique-t-ilLes 30% d'arrivants supplémentaires sur l'île de Ré, ça a été l'arbre qui a caché la forêt", analyse-t-il. Preuve que le gros des troupes s'est bien réparti ailleurs.

Le chercheur précise ainsi que les départs ont concerné toutes les grandes villes : les Bordelais ont migré vers le bassin d'Arcachon, les Lyonnais vers les Alpes et les Nantais vers le littoral atlantique. Et le spécialiste de rappeler que la possession d'un pied-à-terre en province "n'est pas un privilège de nantis, notamment en zone rurale". Ce qui tend à nuancer l'idée d'une fuite réservée à la grande bourgeoisie. 

La plage de La Baule (Loire-Atlantique), le 26 avril 2020.  (FRANCK DUBRAY / MAXPPP)

S'il est impossible de déterminer combien d'entre eux ont retrouvé une résidence secondaire ou simplement la maison d'un parent ou d'un ami, l'Insee relève que certains départements peu peuplés ont connu une hausse significative de population juste avant le confinement: "l'Yonne (+ 7%), le Lot (+ 6%), la Haute-Loire (+ 6%), le Gers (+ 6%) et l'Ardèche (+ 6%). Dans les autres départements concernés par des hausses de population, ces dernières ne dépassent pas 5%, mais elles peuvent avoir des effets locaux plus marqués", détaille l'Insee.

"On me dit que j'ai bien fait de ne pas me confiner à Paris"

Quand franceinfo avait interrogé Thomas, Parisien confiné dans le Cher chez ses parents, l'interdiction de déplacement venait d'être ordonnée. Le trentenaire nous faisait part de sa culpabilité, convaincu que sa décision de lâcher son 24 m2 pour retrouver sa chambre d'ado, relevait de l'égoïsme. Mais sept semaines plus tard, il n'affiche ni regret ni remords : "Les personnes que je rencontre au marché en faisant mes courses hebdomadaires me disent toutes que j'ai bien fait de ne pas me confiner à Paris", explique-t-il. Aucune vague d'hostilité à l'horizon. "Je soupçonne les gens de dire sur les réseaux sociaux que les Parisiens font n'importe quoi, mais quand ils en connaissent un, ils lui disent qu'il a bien fait de ne pas quitter la capitale. C'est un grand classique", sourit-il. 

Et pour cause, vilipender le "bobo parisien", c'est oublier "que beaucoup d'entre eux sont en réalité des provinciaux", abonde Jean-Didier Urbain. "Le Parisien ne correspond pas à un profil homogène. Il est ultra composite : natif, migrant, de passage... C'est un concept extrêmement flou", poursuit le chercheur pour qui la crise exacerbe les fantasmes. Ainsi, le mythe de la famille privilégiée, au vert à La Baule (Loire-Atlantique), a hanté la France confinée comme le rappelait récemment France 3 Normandie dans un article délicieusement titré "Non, tous les Parisiens ne sont pas sur la plage en train de faire des selfies".

 

Pour Jean-Didier Urbain, ce mythe, entretenu par des locaux en colère, ne survit pas longtemps à l'observation de terrain. "De ce que je vois, ils [Les Parisiens] se conforment parfaitement au confinement et il n'y a pas véritablement d'hostilité. Il peut y en avoir à l'entrée des supermarchés lors des filtrages, où ils peuvent être perçus comme ceux qui allongent les queues, c'est certain, mais ça ne va pas beaucoup plus loin."

"Avec le confinement, nous sommes à cran"

"J'ai entendu énormément de choses sur les Parisiens. Cela en a énervé certains qui auraient aimé faire sauter le pont !", déplore Fabienne, une habitante de l'île d'Oléron. "Mais il suffit de se demander ce qu'on aurait fait à leur place pour les comprendre". Interrogée par franceinfo en mars, elle dénonçait le manque de civisme des nouveaux arrivants. Presque deux mois plus tard, "on sait qu'ils n'ont pas apporté le virus et on a constaté qu'ils n'étaient pas ici pour braver les interdits, mais pour se protéger."  Pourtant, "tout le monde est sur les nerfs. Mon mari, qui travaille dans une jardinerie, se fait 'agresser' tous les jours, par tout le monde, résidents secondaires ou non : avec le confinement, nous sommes tous à cran". La peur d'un avenir pollué par le coronavirus, le deuil de sa vie d'avant, la tristesse, pour cette insulaire, de ne pas avoir pu accéder à la plage... Elle dresse la longue liste de ses contrariétés, en tentant de se projeter vers un avenir moins sombre.

L'avenir, justement. Le maire de La Baule ne l'envisage pas sans une relance économique portée par les touristes et les résidents secondaires : "On a 7 500 résidences principales et 14 000 résidences secondaires," explique Yves Métaireau. "Alors il ne faut surtout pas ostraciser." Car finalement, Parisiens et locaux ont un but commun : sortir la tête haute de ce confinement. 

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