"Les gens ont l'habitude de cette vie autarcique" : comment la Lozère a réussi à être épargnée par l'épidémie de coronavirus
Le département n'a enregistré à ce jour aucun mort officiel dû au Covid-19. Seules quatre personnes ont dû être hospitalisées. Une situation en partie due à la faible densité de population.
"J'ai un terrain de 2 000 m2 à l'entrée d'un vieux village, je peux voir les arbres et les collines, le clocher de l'église au loin et les champs de blé en train de pousser..." Pour Gilles Sieutat, habitant de La Canourgue, en Lozère, les mesures de confinement instaurées le 17 mars n'a pas provoqué de chamboulement dans son quotidien. La vie suit son cours, paisiblement. "Je me déplace deux fois par semaine pour faire des courses, acheter des journaux, etc. Le reste du temps, je bricole, je jardine, je passe du temps sur internet... raconte-t-il au téléphone. C'est un univers très agréable, incontestablement."
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Depuis le début de l'épidémie de coronavirus, le département fait en effet figure d'exception. Selon l'Agence régionale de santé d'Occitanie, la Lozère ne compte, jeudi 23 avril, aucun décès lié au Covid-19 et seulement quatre hospitalisations. Deux personnes sont mortes dans des Ehpad, peut-être à cause du virus, mais elles n'ont pas été testées et n'entrent pas dans les statistiques nationales. "Les gens ont de l'espace et une vie saine ici, remarque Gilles Sieutat. Il n'y a quasiment aucun endroit où l'on peut se croiser."
Une faible densité de population
Etalé entre les parcs nationaux des Cévennes, des Grands Causses, de l'Aubrac et de l'Ardèche, la Lozère est le département le moins peuplé de France métropolitaine. Elle comptait 76 422 habitants en 2016, selon le décompte de l'Insee, pour une densité moyenne de population de 15 habitants par km2 (contre 105 habitants par km2 au niveau national). "Dans les Causses, nous sommes mêmes à 2 habitants au km2", précise le député Pierre Morel-A-L'Huissier, unique élu lozérien de l'Assemblée.
Il n'y a pas de concentration humaine ce qui explique en partie la faible contagion.
Pierre Morel-A-L'Huissierà franceinfo
Si le département est peu peuplé, la population est pourtant âgée. La part des habitants ayant 60 ans et plus représente 28% de la population, une classe d'âge particulièrement à risque face au coronavirus. "Mais les personnes âgées se déplacent moins, du fait de la géographie, mais aussi parce que la plupart sont issues du milieu agricole. Elles ont l'habitude de cette vie autarcique, d'avoir des congélateurs et de ne pas multiplier les courses", décrit le député.
Dans les communes, les gens se connaissent. Si une personne âgée est en difficulté, qu'on s'aperçoit qu'elle ne sort pas, que sa fenêtre reste fermée, on va réagir.
Pierre Morel-A-L'Huissierà franceinfo
Arrivé il y a un an et demi dans le département, le colonel Philippe Trinckquel, qui dirige le groupement de gendarmerie de Lozère, fait également un lien entre le profil de la population et la faible contagion. "Ici, on voit la gendarmerie d'une manière plus bienveillante qu'ailleurs, les règles sont appliquées sans trop de difficultés. On a profité dans la gestion de la crise d'une population sans problème", estime-t-il, interrogé par franceinfo.
Seul 1% des personnes contrôlées ont été verbalisées depuis le début du confinement, selon la gendarmerie, qui applique des contrôles "raisonnés". "La semaine dernière, on a trouvé quelqu'un qui était descendu de Paris avec son fils et qui se promenait dans la forêt. On l'a verbalisé et encouragé à retourner à Paris, explique Philippe Trinckquel. Mais des gens qui vivent à l'orée d'un bois, on ne va pas contrôler s'ils sont à 1,5 km ou 1,6 km de chez eux."
Des masques en stock
Bien avant l'instauration du confinement, le département s'est préparé à une éventuelle vague de contaminations. "On avait un stock d'environ 6 000 masques chirurgicaux et FFP2 qui dataient de l'épidémie de H1N1 qu'on a distribués aux personnels soignants, aux médecins, aux infirmiers, explique Laurent Suau, le maire PS de Mende, la préfecture du département. Ils étaient périmés, mais on a été autorisés à les utiliser et ça a bien dépanné."
On a eu de la chance avec la date du confinement [le 17 mars] car à ce moment-là, le virus ne s'était pas encore beaucoup propagé dans le Sud, ça nous a bien aidé.
Laurent Suauà franceinfo
Le maire de Mende a aussi lancé un appel aux dons auprès des commerçants, particuliers, professionnels, pour qu'ils regroupent les masques dont ils n'ont pas besoin et les réservent aux soignants. Il a réorganisé les services de sa mairie pour qu'ils puissent accueillir les enfants des soignants tous les jours de 7 heures à 19 heures, dans un bâtiment de l'école. Un service téléphonique a été mis en place pour les personnes isolées ou vulnérables afin de "garder un lien".
Dans les jours qui suivent le confinement, la mairie s'est adaptée. "Les médecins généralistes nous ont signalé que les gens ne consultaient plus pour les maladies chroniques par peur d'attraper le virus, explique Laurent Suau. On a donc créé en 24 heures une salle spéciale Covid-19 dans le centre-ville, où des infirmiers, des médecins, se relayaient pour examiner les patients qui présenteraient des symptômes." Le centre a finalement peu servi et est désormais fermé. "Il y a très peu de besoin, mais on peut toujours le rouvrir", glisse l'édile.
Des lits ouverts mais pas de patients
Selon les élus lozériens interrogés par franceinfo, la petite taille du département a également compté dans la réponse à la crise. "Les décideurs ne sont pas nombreux, ils se connaissent tous – mairie, préfecture, ARS... – et peuvent donc être très réactifs, assure Laurent Suau. Les décisions se prennent vite et sont appliquées rapidement." L'hôpital Lozère, situé à Mende, a été désigné "hôpital pivot" pour tout le département et chapeaute 17 établissements.
"Fin février, on s'est tous mis autour de la table pour réfléchir à une organisation en anticipation de ce qu'on voyait chez nos collègues de l'Est", raconte Jean-Claude Luceno, directeur de l'hôpital Lozère. Avec son équipe, il a mis en place une cellule de crise à partir du 24 février et ouvert début mars un service de 9 lits dédiés aux patients atteints du Covid-19. "On a ouvert un deuxième service de 19 lits puis de 23 lits, pour distinguer les cas confirmés et les cas suspects", raconte-t-il.
A ce jour, on a fermé le service de 23 lits réservés au coronavirus car il n'y a plus de patients.
Jean-Luc Lucenoà franceinfo
Le service de réanimation a été renforcé, passant de 6 lits à 17 et un poste médical spécial créé aux urgences. L'hôpital a noué un partenariat avec une usine de fabrication de tissu dans les Cévennes lozériennes qui fait livrer 17 000 blouses aux soignants. Finalement, "nous n'avons pas eu d'afflux massif, peu de cas, donc nous serons disponibles en cas de besoin", reprend Jean-Luc Luceno. Le département s'est porté volontaire pour accueillir des malades des autres régions, mais n'a pas été sollicité. "On était pourtant sur le tarmac, on était prêts !" assure le directeur.
Une sortie de confinement appréhendée
Peu de cas de contaminations, aucun mort... La Lozère reste épargnée à ce jour mais les élus et soignants anticipent déjà l'après. "Comme nous avons très peu de cas, et donc très peu d'immunisation, il faudra faire attention au déconfinement à ce qu'il n'y ait pas de rebond, met en garde le député Pierre Morel-A-L'Huissier. Si on arrive en été, comme nous sommes un territoire touristique, il faudra faire attention aux déplacements de populations."
Notre département montrera peut-être au gouvernement que la ruralité a beaucoup d'atouts. Les problèmes sociaux et de santé peuvent être gérés différemment.
Pierre Morel-A-L'Huissierà franceinfo
Des tests quotidiens sont déjà effectués par une équipe mobile. "On forme des équipes avec des infirmiers, des médecins, pour qu'elle puisse se mobiliser si un cas se présente dans un établissement, décrit Jean-Luc Luceno. Le Covid-19 va durer plusieurs mois, on l'a bien intégré."
En attendant, les Lozériens ont déjà obtenu quelques autorisations. Les habitants ont notamment le droit de se rendre seuls à leur potager, même si celui-ci se trouve à plusieurs kilomètres de leur domicile. Les règles de distanciation sociale ne devraient pas être plus difficiles à respecter pour autant. "Sur les terrains de 150 jardins ouvriers, les parcelles sont relativement grandes, il n'y a pas vraiment de contact. C'est la saison de planter et ça permet de s'aérer aussi", glisse Laurent Suau.
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