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Saisonnalité, transmission, immunité... Pourquoi il est impossible d'être catégorique sur l'évolution de l'épidémie de coronavirus

Alors que le directeur de l'Institut hospitalo-universitaire Méditerranée, Didier Raoult, a estimé "possible" qu'il n'y ait plus de cas de coronavirus d'ici un mois dans la plupart des pays tempérés, on vous explique pourquoi les prédictions sont délicates. 

Article rédigé par franceinfo - Emilie Gautreau
Radio France
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En Inde, lors d'une collecte de tests au coronavirus imposés à la population. (SAM PANTHAKY / AFP)

Lors de son audition devant la mission d'information parlementaire sur la gestion de l'épidémie de coronavirus, jeudi 23 avril, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a insisté sur le fait que de "nombreuses connaissances ne sont pas encore disponibles". L'avant-veille, le Pr Didier Raoult avait estimé possible que,"d'ici un mois, il n'y ait plus du tout de cas [de coronavirus] dans les pays tempérés". Cette phrase, extraite d'une vidéo mise en ligne sur Youtube, a fait l'objet de nombreux commentaires et extrapolations sur les réseaux sociaux. La cellule Vrai du Faux de franceinfo vous explique pourquoi il est impossible, à ce stade, de faire des prédictions catégoriques sur l'évolution de l'épidémie. 

Parce que la transmission saisonnière du virus est encore une hypothèse

Le débat sur le caractère saisonnier de ce nouveau coronavirus n'est pas nouveau. Donald Trump déclarait, lundi 10 février, que le virus pourrait prendre fin "d'ici avril ou au cours du mois d'avril". Les infectiologues, à l'époque, avaient appelé à faire preuve de prudence, indiquant que rien ne permet d’affirmer que le retour de températures plus clémentes aura raison de l’épidémie.

De fait, à la date du jeudi 23 avril, les États-Unis restaient le pays comptant le plus grand nombre de décès (46 785 décès pour 842 624 cas confirmés d'après les données de l'université Johns Hopkins qui font référence).

Sur l’aspect saisonnalité, Antoine Flahaut soulignait, dès février, que les virus respiratoires sous des latitudes tempérées sont en général sensibles aux saisons, avec une prédilection l’hiver. Mais, le directeur de l'Institut de santé globale à l'université de Genève faisait valoir que d’autres virus - notamment parmi les virus émergents - ont une circulation toute l’année avec des pics épidémiques ponctuels. "Il n'y a pas d'explication simple sur la saisonnalité", pointe quant à lui Didier Raoult. Le professeur de virologie au CHU de Lyon, Bruno Lina, ajoute que "beaucoup de virus respiratoires, une fois qu'ils sont installés chez l'homme, prennent une saisonnalité", mais pas nécessairement l’hiver.

Parce que de nombreuses incertitudes persistent sur le virus lui-même et la façon dont il évolue

"Il y a eu énormément d'incertitudes scientifiques à gérer autour de ce virus que personne ne connaissait et qui n'a été séquencé qu'en janvier ", a souligné jeudi 23 avril le Directeur général de la Santé Jérôme Salomon devant la mission d'information parlementaire sur la gestion de l'épidémie de coronavirus.

Des chercheurs, comme Qasim Bukhari et Yusuf Jameel du Massachusetts Institute of Technology (MIT), se sont par exemple intéressés au lien entre température, humidité et propagation du virus. Selon eux, l’évolution de l’épidémie pourrait être en partie freinée par des températures et un taux d’humidité élevés. Ils relèvent en effet que 90% des cas de Covid-19 enregistrés à ce stade - d'après les données qu'ils ont analysées - l'ont été dans des pays où les températures varient entre 3 et 17 degrés. Ils pondèrent néanmoins ces données en relevant que 83% des tests ont été menés dans des pays non tropicaux, et que le plus grand nombre de tests et la plus grande connectivité des pays tempérés du Nord peuvent en partie expliquer la différence de cas recensés dans les différentes zones.

Certains spécialistes, comme le professeur de virologie Bruno Lina, mettent en avant la possibilité d’un redémarrage épidémique en France, passée la phase de confinement. Ce redémarrage, indique le professeur de virologie, "est observé en Asie où il fait chaud. On voit aussi qu'il y a une épidémie très importante en Floride où il fait chaud".

Parce qu'il existe encore des incertitudes sur la façon dont notre organisme réagit à la contagion

C’est une incertitude cruciale pour la suite de l’épidémie : peut-on être infecté à plusieurs reprises par ce nouveau coronavirus ? Les chercheurs n'ont pas, à ce stade, de certitudes. "On ne sait pas si les anticorps produits après l'infection sont protecteurs. On a quelques raisons de le penser, mais on ne sait pas combien de temps et on ne sait pas où, quand, comment, le virus va muter ", a indiqué William Dab, ancien directeur général de la Santé, à franceinfo. En Corée du Sud et en Chine, premiers pays touchés par l'épidémie, des patients considérés comme guéris ont développé à nouveau des symptômes. 

Une nouvelle vague d'épidémie n'est donc pas exclue, d'autant que d’après des estimations présentées dans une prépublication de l’Institut Pasteur, seuls 5,7% des Français, auront été infectés par le nouveau coronavirus au 11 mai, jour annoncé du début du déconfinement. Très loin donc de la proportion de 60 à 70% de personnes immunisées jugée nécessaire pour interrompre la circulation du virus. "Ce virus continuera à circuler tant que nous n'aurons pas une immunité collective importante, et nous en sommes très loin, ou un vaccin", a insisté le directeur général de la santé jeudi 23 avril. "L'objectif, a t-il ajouté, est d'empêcher la circulation du virus et d'avoir des conditions favorables pour gagner du temps par rapport à l'arrivée de médicaments efficaces ou de vaccins ».

Les médecins s’inquiètent aussi des incertitudes concernant la façon variable dont nos organismes réagissent à la contagionAinsi, si dans la majorité des cas les malades guérissent sans difficulté, "il est encore très difficile d'anticiper les patients qui vont développer des formes graves", a pointé dimanche 19 avril le Pr Florence Ader, infectiologue qui pilote le programme d’essai clinique européen Discovery. Elle a, lors de son exposé aux côtés du Premier ministre Edouard Philippe, souligné les progrès réalisés en moins de quatre mois en matière de connaissance du virus dans ce domaine, mais elle a également relevé les zones d'ombre qui persistent autour de la disparité homme/femme, de l'impact plus faible du virus sur les enfants, ou encore de l'immunité des malades.

Parce que l'épidémie semble loin d'être enrayée à l'échelle mondiale

Pour pouvoir parfaitement prédire l'évolution de la pandémie dans le mois qui vient, il faudrait que l'épidémie ait évolué et continue à évoluer dans le monde entier de la même façon, que les cas soient recensés de manière identique et que les mesures prises aient été et continuent d'être similaires. Or, cela n'est pas le cas, aussi bien à l'échelle des continents qu'au sein même de certains Etats. Ainsi, le nombre de nouveaux cas et de nouveaux décès reste à l'heure actuelle très élevé aux Etats-UnisPar ailleurs dans ce pays, l'épidémie ne semble pas avoir progressé partout de la même façon. L'Etat de New York reste le plus touché avec plus de 15 000 morts, un tiers du bilan total.

Cette disparité régionale s'observe aussi en France, où le bilan est de 21 340 morts et où de nouveaux cas continuent, pour différentes raisons, d'apparaître. Jérôme Salomon a, devant la mission parlementaire jeudi 23 avril, mis en avant la "situation très hétérogène" à l'échelle nationale, "avec des territoires très touchés comme le Haut-Rhin" alors que "d'autres départements n'ont quasiment pas vu circuler ce virus", ajoutant que la situation des semaines à venir dépendrait de "la circulation du virus et de la situation épidémiologique en temps réel".

La Chine, premier pays touché par le coronavirus, a aussi été le premier Etat à avoir été confronté à de nouveaux cas post déconfinement. Après un long confinement de plus de deux mois, la ville de Wuhan, berceau de l'épidémie a commencé à revivre tout en replaçant en confinement plusieurs dizaines de quartiers après la découverte de porteurs asymptomatiques.

Il semble donc à ce stade impossible de faire des prédictions catégoriques. De fait, les décisions politiques sont et seront sans doute encore dans les mois qui viennent, ajustées progressivement, au fil des retours de terrain, de l'analyse des données et de l'amélioration des connaissances sur le virus.

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