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Vaccin contre le coronavirus : "Il n'y a pas de coordination, malheureusement, c'est du chacun pour soi", s'inquiète le président de l'Institut Santé

Frédéric Bizard, président de l'Institut Santé et professeur à Sciences-Po, était invité sur franceinfo alors qu'Emmanuel Macron visite ce mardi dans le Rhône sur un site de Sanofi, engagé dans la recherche d'un vaccin contre le coronavirus.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Une ingénieure dans un laboratoire chinois, à Pékin. (NICOLAS ASFOURI / AFP)

"Vous avez une course contre la montre entre les pays. On voit qu'il n'y a pas de coordination. Malheureusement, c'est du chacun pour soi", regrette sur franceinfo Frédéric Bizard, président de l'Institut Santé et professeur à Sciences-Po, alors qu'Emmanuel Macron visite mardi 16 juin dans le Rhône sur un site de Sanofi, engagé dans la recherche d'un vaccin contre le coronavirus.

franceinfo : Où en est la recherche médicale en France ?

Frédéric Bizard : La recherche en France est en retard, principalement sur les biotechnologies. La France a raté le virage de la biotechnologie. Aujourd'hui, l'essentiel des médicaments innovants va se trouver dans ce secteur des biotechnologies et non plus dans les médicaments à base chimique, même si vous avez une cohabitation des deux mondes. On a une base de recherche qui s'est effritée, ce qui s'est accompagné d'ailleurs d'un effritement de notre base de production. La France, qui était le premier producteur en Europe jusqu'aux années 2010, est devenu aujourd'hui le numéro 4. Nous avons perdu énormément de terrain. Il y a une dépendance à 90% de tous les médicaments qui sont sortis sur le marché depuis 2010. Nous produisons des vieux médicaments. Si vous prenez des médicaments qui sont sortis avant les années 1990, nous produisons 50% sur notre territoire. Et si vous prenez tous les médicaments qui sont sortis ces dix dernières années, nous avons un taux de dépendance qui est de l'ordre de 90%. On a rajouté à cette forte dépendance sur les médicaments innovants, une très forte dépendance, qui n'est pas spécifique à la France, vis à vis des médicaments génériques, puisque tous ces médicaments sont essentiellement produits en Chine et en Inde pour des raisons de coûts.

Quel est le but de la visite d'Emmanuel Macron chez Sanofi ?

Je pense qu'il y a un message politique pour essayer de rééquilibrer un peu la communication, assez catastrophique d'il y a un mois. Les Américains ont fait, il y a déjà plus de quatre mois, un accord entre Sanofi et la Barda, qui est l'agence du ministère de la Santé américaine : en contrepartie d'un cofinancement de la recherche sur le vaccin, il y aura un engagement du laboratoire Sanofi à produire dans ses usines américaines en priorité pour les Américains. Il faut rééquilibrer. On a une grande entreprise française, c'est quand même la moindre des choses qu'on puisse avoir le même type d'accord avec une production dans les sites français et en priorité pour la France et pour l'Europe.

Compte-tenu des sommes engagées, comment être certain que l'accès au vaccin sera bel et bien mondial ?

C'est une nécessité pour des raisons de santé publique, puisque vous avez une pandémie qui touche plus 200 pays et territoires. Si vous voulez vraiment sortir définitivement de cette pandémie, il va falloir que vous ayez une partie de la population mondiale vaccinée pour arriver à cette fameuse immunité de groupe. Un bien public, cela veut dire qu'il faut un accès pour tous. Il faut qu'il y ait une production suffisante, probablement de l'ordre d'un à deux milliards de doses, avec un prix accessible à tous, qui sera probablement cofinancé puisque ce sont les pays riches qui vont financer pour les pays en voie de développement. Vous avez une course contre la montre entre les pays. On voit qu'il n'y a pas de coordination. Malheureusement, c'est du chacun pour soi ou au mieux, deux ou trois ou quatre pays s'associent, comme cela a été le cas avec AstraZeneca. On voit qu'il n'y a pas d'Europe de la santé, et encore moins une gouvernance mondiale de la santé. Cette pandémie (…) est un rappel que l'investissement dans la santé est un investissement pour un bien public mondial, chose qui avait été oubliée. On donne des leçons aux Américains alors que l'Europe de la santé est absolument absente puisque vous savez que la santé ne fait pas partie des compétences européennes. Si l'on veut rebondir par le haut, ce serait peut-être intéressant de se dire que ce bien public, il faut le construire aussi à l'échelle de l'Europe, ce qui n'empêche pas la responsabilité des Etats.

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