Covid-19 : comment les inquiétudes autour du vaccin AstraZeneca pourraient laisser des traces dans l'opinion publique
Jocelyn Raude, chercheur et spécialiste en psychologie de la santé, décrypte pour franceinfo l'impact de la dernière polémique autour d'AstraZeneca sur la confiance des Français dans la campagne vaccinale.
Une polémique de plus liée au vaccin AstraZeneca contre le Covid-19. Plusieurs pays européens, dont le Danemark, ont décidé jeudi 11 mars de mettre en pause la distribution du vaccin développé au Royaume-Uni avec l'université d'Oxford. En cause : un lien possible avec la formation de caillots sanguins chez certains patients.
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Si la France n'a pour l'instant pas décidé d'emboîter le pas à ses voisins européens, le vaccin est déjà perçu par certains Français comme moins efficace que ses concurrents. Une tendance qui pourrait se renforcer, selon Jocelyn Raude, spécialiste du sujet et chercheur à l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) située à Rennes.
Franceinfo : Cette dernière controverse autour du vaccin AstraZeneca risque-t-elle de favoriser une sorte de scepticisme vaccinal en France ?
Jocelyn Raude : On sait que d'une manière générale, il y a une hypersensibilité de la population française aux signaux de risques autour des vaccins. Avant même cette alerte, il y avait déjà des controverses qui avaient émergé même si elles n'étaient pas forcément fondées sur des preuves très solides. Je pense notamment aux soignants, qui s'étaient plaints de syndromes grippaux après avoir été vaccinés.
On avait déjà observé certaines réticences par rapport à ce vaccin en particulier chez une partie de la population. On peut donc s'attendre, chez les gens qui sont déjà un peu réticents, à ce qu'il y ait une baisse de l'intention vaccinale, au moins temporairement.
Vous parlez des gens sceptiques face aux vaccins, mais y a-t-il un risque que ces controverses refroidissent des personnes qui souhaitaient se faire vacciner ?
Si on catégorise les intentions des Français, on voit que 15% des gens ne veulent en aucun cas se faire vacciner, alors que 15 à 20% sont très motivés et ne remettront pas en cause cette volonté. Ensuite, il y a une palette d'hésitants : ceux qui envisagent avec méfiance de se faire vacciner, mais aussi ceux qui sont inquiets par rapport aux effets secondaires potentiels et qui sont très vigilants.
"On peut se dire que cette enquête au sujet du lien entre le vaccin et des thromboses va favoriser l'abstention prudentielle chez les hésitants, qui représentent une majorité de la population."
Jocelyn Raude, chercheur en psychologie socialeà franceinfo
Convaincre est un défi majeur pour les pouvoirs publics. Il va forcément y avoir des réticences, mais je pense que cela va d'abord dépendre de l'issue des enquêtes qui ont été lancées. Pour l'instant, les experts sont plutôt dubitatifs quant au lien entre les thromboses et le vaccin. Ce qui est probable, c'est que si jamais les enquêtes aboutissent à une conclusion d'absence de lien, il y aura probablement une baisse de scepticisme par rapport à ce vaccin.
Cette affaire risque toutefois de laisser des traces, on l'a vu dans d'autres événements passés, notamment en 2009 et 2010 : des controverses sur la sécurité du vaccin contre le H1N1 avaient généré une baisse de l'intention vaccinale globale qui avait été durable.
Le scepticisme semble se concentrer plutôt sur le vaccin AstraZeneca. Sait-on si la confiance dans les autres vaccins est atteinte elle aussi par ces polémiques ?
Cela dépend du degré de familiarité du sujet. On a vu, notamment parmi les soignants, que ceux qui connaissent bien le sujet demandent plutôt à se faire vacciner par autre chose que de l'AstraZeneca. On va probablement voir un renforcement de cette attitude dans les prochaines semaines, mais qui ne se traduira pas forcément par un rejet de la vaccination en général, et en particulier des vaccins à ARN messager.
C'est d'ailleurs étonnant puisqu'au départ, ces vaccins causaient plus de suspicion que les "classiques". On voit qu'il y a un retournement de situation aujourd'hui, ceux-ci sont largement mieux perçus que les vaccins qui utilisent des techniques anciennes. Il est donc probable que certains Français refusent un vaccin et pas les autres.
Les interrogations face au vaccin d'AstraZeneca semblent avoir trouvé un écho dans la plupart des pays européens, sauf au Royaume-Uni. Comment l'expliquer ?
Il y a une relation très particulière des Britanniques à ce vaccin, qui a notamment été développé avec l'université d'Oxford. Le fait que le Royaume-Uni ait été l'un des premiers pays à livrer un vaccin reconnu pour son efficacité, c'est une forme de gloire nationale. Ça a été le cas à la fin du XIXe siècle en France, lorsque Pasteur a développé les premiers vaccins.
"On avait alors en France une bonne adhésion à ces techniques, ce qui n'était pas le cas dans d'autres pays. Ce rapport à la vaccination peut lui aussi être empreint de nationalisme, ou du moins de fierté nationale."
Jocelyn Raudeà franceinfo
Comment faire pour que le public ne se concentre pas sur les informations négatives ?
Il y a toujours le même souci avec le traitement de l'information vaccinale : il existe une asymétrie entre les informations négatives et positives. Dans cette économie de l'attention, les informations anxiogènes suscitent beaucoup plus d'intérêt de la part des médias et du public. Donc on a, finalement, une impression qu'il y a davantage d'informations négatives qui circulent que d'informations positives, notamment sur les bénéfices en termes de protection des vaccins.
Cela créé, dans l'imaginaire collectif, l'idée que les bénéfices de ce vaccin ne sont pas supérieurs aux risques. Ce qui n'est pas du tout le cas, même si l'augmentation du risque lié aux thromboses était avérée. Les médias ont un rôle très important à jouer. C'est aussi le cas des réseaux sociaux, qui fonctionnent comme une caisse de résonance pour les signaux de risque ou d'incertitude sur les produits de santé.
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