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Covid-19 : pourquoi ne vaccine-t-on pas en priorité dans les territoires les plus touchés par l'épidémie ?

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un centre de vaccination dans une salle des fêtes à Denain (Nord) le jour de son ouverture, le 18 janvier 2021. (MAXPPP)

Depuis le début de la seconde vague, les régions et les départements où le nombre de morts est le plus élevé ne sont pas forcément ceux où la campagne de vaccination est la plus avancée. Les autorités sanitaires assument ce choix.

C'est un paradoxe qui se dessine au fil des chiffres de l'épidémie et de la campagne de vaccination contre le Covid-19. D'un côté, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) concentre les pires indicateurs du pays : un taux d'incidence au-dessus de 500 pour 100 000 habitants à Nice, frôlant les 400 à Marseille, et un taux d'occupation des services de réanimation par des patients touchés par le virus approchant les 100% dans la région, le plus élevé de l'Hexagone.

De l'autre, la campagne de vaccination en Paca avance timidement : la part de sa population ayant reçu au moins une injection place la région seulement en huitième position, avec à peine plus de 3% de sa population vaccinée, contre 4,3% en Bourgogne-Franche-Comté. En d'autres termes, la région Paca a beau être la plus touchée depuis la mi-janvier, elle accuse un certain retard sur la vaccination.

Pas de prime à la surmortalité

Au-delà de cet exemple, un constat se profile, un mois et demi après le début de la campagne de vaccination en France : on ne vaccine pas davantage dans les territoires les plus touchés par la pandémie. Pour s'en assurer, on peut mettre en regard, d'un côté, le nombre de personnes vaccinées dans un département rapporté à sa population, et de l'autre, la surmortalité par département calculée par l'Insee depuis le 1er septembre 2020, début de la seconde vague.

Comme l'ont confirmé des experts auprès de franceinfo, observer le surplus de décès sur cette période longue est plus pertinent pour déterminer les territoires les plus touchés que si l'on analysait uniquement les données d'incidence ou hospitalières, davantage sujettes à des variations d'une semaine sur l'autre. C'est donc ce que montre ce graphique, où chaque point représente un département (pour avoir le nom du département et les indicateurs qui y sont liés, pointez le curseur de la souris sur les points).

Si les autorités sanitaires avaient vacciné en priorité dans les territoires les plus touchés, les points de ce graphique auraient été davantage alignés, formant une diagonale : plus un département aurait connu une surmortalité lors de la seconde vague, plus son pourcentage de vaccination aurait été élevé. Ici, les points ne semblent dessiner aucune corrélation. Au contraire : la Haute-Loire ou la Savoie, à droite, qui connaissent les chiffres de surmortalité les plus élevés de France, proches de 50%, sont loin d'avoir la plus grande part de leur population déjà vaccinée. 

Un intérêt sanitaire discuté

Vacciner en priorité dans les territoires où le virus circule le plus était pourtant une proposition émanant de plusieurs spécialistes. Le 21 janvier, Odile Launay, infectiologue et membre du Conseil scientifique sur les vaccins contre le Covid-19, estimait qu'il était "tout à fait logique" de vacciner d'abord "dans les régions qui aujourd'hui ont une circulation du virus intense". "On sait que l'ouest de la France est beaucoup moins touché, est-ce qu'il ne faut pas privilégier la vaccination dans l'est de la France ?" se demandait-elle face à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV. 

L'épidémiologiste et enseignant-chercheur à l'École des hautes études en santé publique de Rennes (EHESP) Pascal Crépey abonde en ce sens.

"De façon très pragmatique, si l'objectif est d'éviter des cas, des hospitalisations et des décès, on en évitera davantage en vaccinant les territoires où l'incidence est plus élevée que dans un territoire où l'incidence est faible."

Pascal Crépey

à franceinfo

Assez tôt, cette démarche a aussi été suggérée par les responsables politiques. Le 6 janvier, les présidents de régions émettaient neuf recommandations sur la politique de vaccination, la deuxième visait à "différencier la stratégie de vaccination en priorisant les départements ayant dépassé la cote d'alerte maximale (taux d'incidence supérieur à 250)". Une stratégie qui pose d'importantes questions "d'ordre éthique, d'égalité des Français à l'accès au vaccin quel que soit l'endroit où ils habitent", nuance Pascal Crépey.

L'intérêt sanitaire d'une telle démarche fait débat. "C'est un sujet qui n'a jamais été évoqué chez nous, commente Daniel Floret, vice-président de la commission technique des vaccins de la Haute Autorité de santé (HAS). Nous considérons que le virus circule sur la totalité du territoire. Et il y aurait peut-être même plus d'intérêt à vacciner d'abord là où il circule peu, car c'est là où cela peut exploser plus tard."

Résultat, les recommandations de la HAS ne mentionnent pas cette option géographique. "La phase 1 de la campagne de vaccination cible en priorité les populations exposées à deux facteurs de risque : la vulnérabilité liée à l’âge élevé et l’exposition accrue au virus (résidents d’hébergements collectifs ou professionnels du secteur de la santé, du médico-social et du transport sanitaire)", indique l'autorité.

Un principe d'égalité territoriale

C'est aussi la logique adoptée par le gouvernement. Contacté par franceinfo, l'entourage du ministre de la Santé confirme que la stratégie vaccinale a visé ces publics prioritaires selon un principe d'égalité territoriale.

"Comme l'épidémie est par nature sujette à évolution, on n'aurait pas pu adapter notre stratégie par rapport à des données qui ne cessent d'évoluer. La règle, c'est l'égalité entre les territoires."

Le ministère de la Santé

à franceinfo

Et le cabinet du ministre de noter, néanmoins, deux exceptions à cette règle. La première, le 10 janvier, lorsque le ministère annonce distribuer les 50 000 premières doses du vaccin Moderna en priorité dans les régions "dans lesquelles l’épidémie est la plus active : Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes, et Provence-Alpes-Côte d’Azur." Des livraisons qui ne pèsent cependant pas lourd, au regard des 1,53 million de doses Pfizer-BioNTech déjà livrées à ce moment-là.

La seconde exception, mentionnée par Olivier Véran sur franceinfo le 9 janvier : en outre-mer, la plus forte circulation des variants pourrait conduire le gouvernement à accélérer l'envoi de vaccins Pfizer-BioNTech, vers Mayotte notamment.

D'un point de vue logistique, la répartition des doses sur le territoire est donc réalisée en fonction du nombre de personnes prioritaires pour la vaccination. Ainsi, lorsqu'on observe le nombre de doses livrées par région, rapporté au nombre d'habitants de plus de 75 ans, on note que les régions les mieux dotées, comme la Guyane ou la Bourgogne-Franche-Comté, ne sont pas nécessairement celles où le virus circule le plus, ou a causé le plus de décès depuis le début de la seconde vague.

La répartition des doses par les Agences régionales de santé (ARS) vers leurs départements s'est donc faite en fonction de critères précis, expliquent les autorités sanitaires : le nombre de personnes de plus de 75 ans et le nombre de professionnels de santé de plus de 50 ans. 

Mais là encore, il existe des exceptions à la règle. L'ARS Ile-de-France explique ainsi qu'en plus de suivre ces critères, "intervenir plus fortement dans les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise, départements où la surmortalité a été majeure et où les facteurs de fragilité sont considérables, est une ligne de force de l’agence depuis le début". Concrètement, elle indique mettre en place des mesures pour renforcer l’accès à la vaccination des personnes fragiles, isolées, en difficultés sociales, via par exemple la facilitation de prise de rendez-vous pour la vaccination. 

Dans le Grand Est, l'ARS considère que le virus circule à un niveau comparable dans tous les départements de la région, et les variations des taux d'incidence empêchent toute priorisation. "Prendre la décision de vacciner en priorité un territoire à un instant T pourrait s’avérer, au bout de quelques semaines, une mauvaise décision si la pandémie gagne du terrain dans un département qui n’aurait pas été ciblé", indique l'agence.

"La vaccination au même rythme de tous les territoires, en commençant par les publics les plus fragiles, est la meilleure garantie de protection collective à terme."

ARS Grand Est

à franceinfo

Mais quand les publics prioritaires auront été majoritairement vaccinés, sera-t-il question d'accélérer davantage la vaccination dans les territoires les plus touchés par l'épidémie ? La Direction générale de la santé n'écarte aucune éventualité. "A terme, une fois que l’ensemble des populations prioritaires auront été vaccinées, des adaptations de la stratégie d’allocation de doses pourront être envisagées", indique-t-elle, sans plus de précisions.

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