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Pourquoi faut-il se méfier du chiffre de 500 000 requins menacés par l’arrivée d’un vaccin contre le Covid-19 ?

De nombreux médias à travers le monde, y compris en France, ont relayé ces derniers jours un chiffre impressionnant : un demi-million de requins pourraient être sacrifiés dans le cadre de la campagne de vaccination contre le virus du Covid-19. Ce chiffre provient d’une estimation d’une ONG américaine sur la base de calculs contestables.

Article rédigé par franceinfo - Elsa de la Roche Saint André
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Une ONG américaine affirme qu'un demi-million de requins pourraient être sacrifiés pour obtenir un vaccin contre le Covid-19 (Capture d'écran d'une article du site Sptuniknews)

D'après l'ONG américaine de défense des squales Shark Allies, la quête d’un vaccin contre le nouveau coronavirus pourrait être synonyme d’hécatombe pour les requins. Leur foie contient du squalène, une huile parfois utilisée dans la composition des vaccins comme adjuvant, autrement dit comme accélérateur du pouvoir protecteur des vaccins. Selon Shark Allies, "si les vaccins Covid-19 contenant du squalène de requin se révèlent efficaces, de grandes quantités de requins des grands fonds seront tués". Jusqu’à un demi-million, avance l’ONG. On vous explique pourquoi il faut prendre ce chiffre impressionnant avec des pincettes.

Parce que le chiffre de 500 000 requins tués est issu d’une méthodologie contestable

S’il a été repris dans les médias et par d’autres associations, le chiffre de 500 000 requins tués provient exclusivement des données de Shark Allies. Pour effectuer ses calculs, l’ONG se base sur la quantité de squalène dans les adjuvants utilisés pour concevoir des vaccins qui existent déjà : plus ou moins 10 mg de squalène par dose. Par ailleurs, Shark Allies estime à 3 000 le nombre de requins nécessaires pour produire une tonne de squalène, sans sourcer ce chiffre. C'est sur la base de ces deux estimations que l'ONG arrive au chiffre de 250 000 requins tués pour parvenir administrer une dose de vaccin antiCovid-19 à l’ensemble de la population mondiale. Et si le futur vaccin nécessite deux doses pour être efficace, on arriverait donc, d'après Shark Allies, à un bilan de 500 000 requins tués. 

Sauf que parvenir à vacciner les 7,5 milliards d'habitants de la planète est loin d'être acquis. Sous l'égide de l'Organisation mondiale de la santé, 172 pays se sont engagés dans l'initiative Covax dont l'ambition est d'assurer une distribution équitable du futur vaccin à travers le monde. L'objectif est de fournir, d'ici la fin de l'année 2021, un milliard de doses de vaccin à 92 pays pauvres ou en développement, qui représentent la moitié de la population mondiale. Enfin, rien n'indique pour le moment que le prochain vaccin contre le Covid-19 nécessitera l'administration de deux doses pour être efficace. Sur les neuf candidats vaccins les plus avancés, deux ne prévoient qu'une seule dose. 

Parce qu'on ne sait pas encore si le futur vaccin contiendra du squalène ou un autre adjuvant

Le squalène est "un constituant de certains adjuvants que l’on rajoute aux vaccins pour renforcer la réponse immunitaire", explique l'OMS. On le retrouve notamment en émulsion dans certains vaccins contre le grippe saisonnière ou dans des vaccins expérimentaux ciblant des virus émergents, comme le H1N1 en 2009.

Mais à ce stade, rien n'indique que le vaccin qui sera le plus vendu ou le plus efficace contre le virus du Covid-19 contiendra du squalène ou un autre adjuvant. L'ONG Shark Allies indique d'ailleurs elle-même sur son site internet que sur "les 34 candidats vaccins en phase d'évaluation clinique et les 142 vaccins en phase pré-clinique, 17 utilisent des adjuvants dont 5 sont issus de squalène de requins". Il n'est donc ni assuré que le futur vaccin contienne un adjuvant ni qu'il contienne du squalène.

Parce que le squalène ne vient pas forcément du requin

Selon l’OMS, le squalène est une "substance que l’on trouve à l’état naturel chez les plantes, les animaux et l’homme (…) On le trouve également dans différents aliments, produits cosmétiques, médicaments en vente libre et compléments alimentaires. Lorsqu’il est utilisé dans des produits pharmaceutiques et des vaccins, le squalène est commercialement extrait de l’huile de poisson – en particulier de l’huile de foie de requin – et est ensuite purifié". Le requin reste donc la ressource en squalène la plus utilisée pour fabriquer des adjuvants aux vaccins. 

Mais comme le rappelle Shark Allies elle-même dans sa pétition, des alternatives  existent ou sont en cours de développement. Le groupe américain Amyris, qui fabrique du squalène issu de la fermentation, assure par exemple être en contact avec "un leader du secteur pharmaceutique" dans le cadre du développement d'un vaccin contre la grippe et le Covid-19.

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