Comment enrayer la pénurie de médicaments dans les pharmacies ? Les propositions d'un médecin, d'un pharmacien et de patients
Chaque année désormais, plus de 500 médicaments sont provisoirement ou totalement indisponibles dans les pharmacies. C’est vingt fois plus qu’il y a dix ans. franceinfo a demandé à un médecin, un pharmacien et au chargé de mission d'une association de patients quelles étaient leurs pistes pour résoudre ce problème.
Les pénuries de médicaments, les ruptures d'approvisionnement, se multiplient et s'aggravent. Cette année, après les corticoïdes, ce sont notamment les anticancéreux, antiépileptiques, traitements de l’hypertension qui viennent à manquer dans les pharmacies. La ministre de la Santé a dévoilé lundi 8 juillet les pistes du gouvernement pour améliorer l'accès aux médicaments. Parmi ces mesures, il s'agit de mieux gérer la circulation du médicament, ou encore de donner la possibilité au pharmacien de remplacer un médicament indisponible.
"Agnès Buzyn prend le dossier enfin au sérieux, elle décide de siffler la fin de la partie et de mettre tous les acteurs en responsabilité", s'est réjoui sur franceinfo Gilles Bonnefond, président de l’Union syndicale des pharmaciens d'officine (USPO). Mais certaines associations regrettent le peu de mesures "concrètes" annoncées par la ministre, à l'instar de Yann Mazens, du collectif France Assos Santé, qui réunit des associations de patients, qui insiste "sur la question des sanctions financières".
Sanctionner les labos
"Ces pénuries au long cours sont dues à des stratégies industrielles contestables," explique Yann Mazens sur franceinfo. "Nous insistons beaucoup sur la question des sanctions financières, notamment au regard des industriels, pour les obliger à approvisionner le territoire français, affirme-t-il. Ils ont une obligation d’approvisionnement, mais qui n’est pas soumis à un régime de sanctions. De facto, les responsabilités ne sont pas clairement établies. Nous réclamons donc qu’il y ait un régime d’obligation soumis à des sanctions."
L’industrie pharmaceutique est une industrie très rentable, on a quand même de bonnes raisons d’avancer.
Yann Mazens, collectif France Assos Santé
Les laboratoires rationnent les grossistes que l'on soupçonne "d'exporter des médicaments en Allemagne ou en Italie et de faire du profit à la place des laboratoires", explique Gilles Bonnefond, qui plaide pour plus de "transparence".
Produire en Europe
Un autre facteur qui explique ces pénuries, c'est la fabrication, pour des raisons économiques, des matières premières en Asie. "Il y a un autre problème, est celui du manque de fabrication de la matière première en Europe, regrette Gilles Bonnefond. C’est un secteur stratégique, on ne peut pas se permettre d'être dépendant de certains sites de fabrication à l'étranger." Une des solutions serait donc de proposer des incitations fiscales et financières pour aider au maintien ou à la relocalisation des usines en France ou en Europe.
Mais la production à l'étranger n'est pas seule responsable de l'indisponibilité de certains médicaments, prévient le professeur Francis Berenbaum, chef du service rhumatologie de l’Hôpital Saint-Antoine à Paris, qui avait lancé fin mai une pétition adressée à la ministre de la Santé pour alerter sur la pénurie nationale en corticoïdes. "Pour la cortisone, explique-t-il, le problème n’est pas venu de la matière première mais il est venu sur une chaîne de fabrication d’une usine française. La communication a été tellement médiocre que, pour que ça remonte ensuite au niveau des agences, on a perdu du temps."
Améliorer la circulation des médicaments
"Nous fonctionnons en flux tendu et à partir du moment où il y a un grain de sable dans la chaîne, depuis la fabrication jusqu’à la vente en pharmacie, ça déstabilise l’ensemble du système," détaille le rhumatologue.
Un certain nombre d'acteurs ne se rendent pas compte qu'au bout de la chaîne il y a des patients qui ont besoin de leur traitement.
Gilles Bonnefond,président de l’Union syndicale des pharmaciens d'officine
"La chaîne aujourd'hui n'est pas fluide, explique le pharmacien. Déjà, le fait de dire où sont les stocks - chez le laboratoire, chez le grossiste, stockés dans d'autres pharmacies -, de connaître les incidents et de chercher des solutions pour régler les problèmes d'approvisionnement, résoudra à peu près 40% des incidents." Le premier axe du plan proposé par Agnès Buzyn vise d'ailleurs à "promouvoir la transparence et la qualité de l'information", en généralisant par exemple la plateforme qui permet aux pharmaciens de signaler les ruptures d'approvisionnement au laboratoire concerné.
Cibler certains médicaments
La feuille de route du gouvernement propose aussi "des actions ciblées et adaptées", telle que la possibilité pour le pharmacien de "remplacer le médicament indisponible initialement prescrit par un autre médicament", lorsque la pénurie concerne un "médicament d'intérêt thérapeutique majeur". Mais tous les acteurs concernés ne sont pas d'accord sur le nombre de médicaments qu'il faudrait inscrire sur cette liste.
"Cette liste est tellement importante, regrette Francis Berenbaum, c’est quasiment la moitié de tous les médicaments qui sont à notre disposition, que finalement on n’arrive pas à imposer des mesures strictes." Le rhumatologue regrette pourtant que la cortisone par voie injectable ne soit pas dans cette liste "alors que c'est indispensable pour de nombreux patients, pour éviter de prendre de la morphine ou des opioïdes".
Selon les projections de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), plus de 1.200 traitements ou vaccins seront concernés par des situations de rupture ou tensions d'approvisionnement sur l'ensemble de l'année 2019.
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