De l'Antiquité grecque à nos jours... On vous raconte la (très) longue saga de l’homéopathie
La bataille de l’homéopathie fait rage : ses partisans veulent s’opposer au déremboursement de ces granules populaires mais dont l’efficacité n’a jamais été établie. Retour historique et politique.
À grand renfort de publicités, la campagne "Mon homéo, mon choix" bat son plein sur le Net. Et provoque l’ire de la grande majorité des scientifiques et des médecins qui souhaitent dénoncer ces traitements, très populaires en France mais dont on sait qu’ils ne sont pas des médicaments à l’efficacité établie. Alors que l’homéopathie est toujours remboursée dans notre pays, retour sur une longue histoire et une controverse actuelle qui s’avive.
Le mot homéopathie apparaît dans l’Antiquité, du grec ομοιωζ, semblable et παθοζ, affection, maladie. Aristote (380 av. J.-C.) le définissait comme l’"état d’une âme qui sent d’une façon semblable à la façon de sentir d’une autre âme, et qui, par cela, est plus disposée pour la véritable amitié". À titre d’exemple, on avait recours à la cochenille (Coccus cacti) pour traiter la strangurie, suite à l’observation de l’effet irritant de ces mêmes insectes.
Samuel Hahnemann, emblématique et déjà controversé
Parcourons les siècles pour retrouver Samuel Hahnemann, médecin allemand né au XVIIIe siècle à qui l’on attribue la découverte de l’homéopathie. Véritablement ? D’aucuns prétendent qu’il faudrait plutôt citer le médecin William Cüllen. Laissons cela de côté puisqu’il y a de quoi s’intéresser au Dr Hahnemann. Brillant, il l’est indubitablement. Curieux de nature… sûrement aussi. Ne réalise-t-il pas des études de chimie en parallèle de la préparation de son doctorat en médecine ? Après avoir formulé les deux principes de base sur lesquels reposent toujours aujourd’hui l’homéopathie, à savoir le principe de similitude (Similia similibus curentur) et le principe d’infinitésimalité (les remèdes utilisés sont dispensés d’une manière très très diluée au point qu’il ne reste plus trace des molécules de la substance de départ, en respect du nombre d’Avogadro), Hahnemann rédige, en 1810, son ouvrage majeur, L’Organon de l’Art rationnel de guérir. Mais ce praticien est peu regardant en matière de déontologie. Ne fabrique-t-il pas lui-même les "petites pilules" (devenues aujourd’hui granules et globules), pratiquant ainsi un exercice illégal de la pharmacie ? Ne donne-t-il pas des conseils médicaux par correspondance ?
À son arrivée en France, en 1835, l’octogénaire va pouvoir répandre sa théorie. Contre l’avis de l’Académie de Médecine (déjà !), Hahnemann est autorisé à exercer à Paris grâce au ministre François Guizot. Il faut dire que sa femme Mélanie est fort introduite dans les milieux politiques et artistiques parisiens de l’époque… Guizot déclare :
"Hahnemann est un savant de grand mérite. Si l’homéopathie est une chimère ou un système sans valeur utilitaire, elle tombera d’elle-même. Si elle est, au contraire, un progrès, elle se répandra en dépit de vos mesures de préservation, et l’Académie doit le désirer avant tout autre, elle, qui a mission de faire avancer la science et d’encourager les découvertes."
Le Tout-Paris de la Monarchie de Juillet se presse dans le cabinet du Dr Hahnemann qui, paraît-il, fait des miracles auprès de ses patients célèbres, parmi lesquels on retrouve des écrivains comme Honoré de Balzac et Ernest Legouvé, le sculpteur Pierre-Jean David dit David d’Angers (qui nous laissera un buste du médecin), des musiciens comme Niccolò Paganini… En 1843, Hahnemann contracte une mauvaise bronchite qui va entraîner sa mort le 2 juillet.
Au XXe siècle, l’affaire de la mémoire de l’eau
En Allemagne, entre 1936 et 1939, des expérimentations seront réalisées pour le compte du IIIe Reich, par le Dr Fritz Donner. Conclusion sans appel : aucun résultat positif pouvant être porté au crédit de l’homéopathie n’a pu être obtenu. Rien de notable par la suite et il faut attendre les années 1980 pour que l’on reparle de l’homéopathie en raison de l’"affaire Benveniste". Médecin et immunologiste français, Jacques Benveniste est un chercheur reconnu. Sous contrat avec les laboratoires Boiron, il dit avoir observé la dégranulation de basophiles à l’aide de solutions aqueuses d’IgE fortement diluées, phénomène qu’il décrit et publie dans la prestigieuse revue Nature en 1988. La réponse biologique observée est interprétée par lui comme la démonstration que l’eau était capable de conserver les propriétés d’un soluté qui ne s’y trouvait plus, d’où la notion de "mémoire de l’eau". Cela peut être vu comme une piste à explorer afin d’envisager un mécanisme rationnel à l’homéopathie. Toutefois, il s’agit en fait d’une belle idée poétique, reprise comme titre de l’un de ses recueils par le poète Hélène Cadou et non d’une réalité scientifique.
Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, de 1984 à 1986, apporte son soutien aux médecines dites non conventionnelles. On lui doit un arrêté autorisant le remboursement des préparations homéopathiques par la Sécurité sociale. Le 13 décembre 1985, elle déclarait vouloir organiser une étude randomisée en double aveugle sur deux produits homéopathiques, et également favoriser l’enseignement de l’homéopathie et de l’acupuncture. Les urnes en décideront autrement en raison de la victoire du RPR aux élections législatives de mars 1986.
Un tournant, la "tribune des 124"
Après des demandes récurrentes de déremboursement de l’homéopathie, tout semble s’accélérer au décours des années 2010. En 2014, le National Health and Medical Research Council (NHMRC) australien conclut, dans un rapport, qu’il n’existe pas de preuves fiables concernant l’efficacité de l’homéopathie. En France, en novembre 2016, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé lance un avertissement clair :
"Les médicaments homéopathiques ne peuvent être considérés comme des vaccins et se prévaloir de la désignation de vaccins homéopathiques."
Pas d’efficacité scientifiquement prouvée, c’est clair. Mais qu’en est-il de la sécurité d’emploi ? Un cas dramatique survenu en Italie, en mai 2017, nous interpelle : il s’agit de la mort d’un enfant de 7 ans traité par homéopathie pour une otite qui nécessitait une antibiothérapie.
L’année dernière, un tournant se produit véritablement avec la "tribune des 124", parue dans Le Figaro, en mars 2018. Qui sont ces 124 ? Essentiellement des médecins, plutôt jeunes. Que veulent-ils ? Alerter sur l’absence de preuves d’efficacité de l’homéopathie et sur son caractère coûteux pour les finances publiques. La conséquence pratique de cette tribune est la fermeture définitive, à la rentrée 2018, de deux diplômes universitaires dispensés dans les facultés de pharmacie de Lille et d’Angers.
La controverse s’envenime. À la rentrée 2018, le syndicat national des médecins homéopathes français (SNMHF), en la personne du Dr Charles Bentz, porte plainte contre les 124 professionnels de santé signataires d’une tribune contre les "médecines alternatives" pour "non-confraternité". Mais les 124 sont soutenus : en décembre 2018, une tribune de 131 membres des Académies des Sciences, de Médecine et de Pharmacie est publiée. Elle affirme que :
-
Non, l’homéopathie n’est pas un médicament actif ;
-
Non, les produits homéopathiques ne peuvent plus continuer à entretenir le flou sur leur composition ;
-
Non, l’homéopathie n’est pas plus efficace qu’un autre placebo ;
-
Non, l’homéopathie n’est pas forcément inoffensive ;
-
Non, l’homéopathie ne saurait invoquer un effet thérapeutique ;
-
Non, l’homéopathie ne doit plus être enseignée dans les facultés de médecine et de pharmacie ;
-
Non, l’homéopathie ne coûte pas moins cher à la collectivité que la médecine conventionnelle.
Et maintenant ? Peu de politiques se manifestent en faveur en l’homéopathie, à l’exception de Xavier Bertrand, actuel président de la région des Hauts-de-France, signataire de la pétition en faveur du maintien du remboursement de l’homéopathie. On se rappellera qu’alors qu’il était ministre de la santé, il avait déclaré, en 2005, "Tant que je serai ministre, on ne touchera pas à l’homéopathie". Désormais, reste à attendre la décision de la Haute Autorité de Santé… Et celle de nos dirigeants.
Céline Couteau, Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes, Auteurs fondateurs The Conversation France et Laurence Coiffard, Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes, Auteurs fondateurs The Conversation France
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.