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Obama a-t-il raison d'affirmer que le cannabis n'est "pas plus dangereux" que l'alcool ?

Le président américain l'a déclaré dans une interview au magazine "The New Yorker". Francetv info démêle le vrai du faux.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le président américain, Barack Obama, lors d'un discours à Washington, le 16 janvier 2014. (MANDEL NGAN / AFP)

Alors que l'usage récréatif du cannabis est autorisé dans l'Etat américain du Colorado depuis le 1er janvier, Barack Obama a déclaré que ce produit n'était "pas plus dangereux que l'alcool", dans un entretien au magazine The New Yorker, publié dimanche 19 janvier. Le président américain y détaille sa position : "Je considère [le fait de fumer de l'herbe] comme une mauvaise idée, et un vice pas très différent de celui des cigarettes que j'ai fumées lorsque j'étais jeune et jusqu'à un âge avancé de mon existence d'adulte."

Barack Obama a-t-il raison d'affirmer que le cannabis n'est pas plus nocif que l'alcool, comme l'ont déjà fait le chanteur Francis Cabrel, la ministre du Logement, Cécile Duflot, ou encore l'ancien Premier ministre Lionel Jospin ? Éléments de réponse.

Oui, le cannabis fait moins de morts

"Le cannabis est considérablement moins nocif que l'alcool ou le tabac." C'est ce qu'a écrit, dans un rapport (PDF en anglais) de 2008, la Fondation Beckley, une institution britannique qui milite pour une légalisation contrôlée du cannabis. L'organisme caritatif affirme ainsi que seuls deux décès dans le monde ont été directement attribués à la consommation de cannabis, sans en préciser les causes exactes. Ces morts sont difficiles à expliquer car il est impossible d'atteindre une dose létale de cannabis, même avec une consommation traditionnelle extrêmement élevée, commente auprès de francetv info Bruno Verebelyi, addictologue à Paris. En face, la fondation indique que l'alcool et le tabac causent la mort d'environ 150 000 personnes par an, rien qu'au Royaume-Uni.

En 2012, une étude (en anglais) d'un psychiatre de l'université de Yale (Etats-Unis) établissait que, sur la route, l'alcool était responsable de davantage d'accidents mortels que le cannabis. Conduire après avoir fumé de la marijuana double le risque d'avoir un accident mortel. Avec l'alcool, il est multiplié par 8,5, selon un rapport français de 2005, cité dans ces travaux.

Concrètement, la consommation d'alcool favorise les comportements à risques : les personnes qui conduisent après avoir bu au-delà d'un certain seuil roulent vite, et ne respectent pas les distances de sécurité. D'un autre côté, celles qui ont consommé de la marijuana ont tendance à rouler moins vite, et à maintenir les distances avec les autres véhicules. Les spécialistes peinent à expliquer cette observation, mais nombre d'entre eux pensent que le fumeur de joints a davantage conscience de son état que la personne en état d'ébriété.

Non, les deux sont toxiques

Bruno Verebelyi indique que l'alcool, à long terme, a des effets néfastes sur le foie et le système nerveux central, évoquant des risques de cirrhose pour le premier organe, et de polynévrite pour le second.

Pour le cannabis, les maux sont différents. On peut notamment citer deux études parues en 2012. L'une, publiée dans la revue Cancer (en anglais), a montré un doublement du risque d'une variété fréquente et grave de cancer du testicule chez des utilisateurs de cannabis. L'autre, publiée dans la revue de l'Académie américaine des sciences (en anglais), a mis en évidence une baisse de près de 8 points du quotient intellectuel d'individus consommateurs réguliers de cannabis. Sans compter la toxicité liée à la cigarette, comme l'explique le site officiel Drogues info service. Un phénomène presque inévitable puisque le produit se fume très généralement mélangé à du tabac.

Un homme prépare un joint en mélangeant de la résine de cannabis avec du tabac, à Leganes, près de Madrid (Espagne), le 30 octobre 2009. (JAVIER SORIANO / AFP)

Non, les taux d'addiction sont comparables

Sur ce point, le cannabis et l'alcool sont sensiblement proches. Ces deux produits rendent moins accro que l'héroïne ou le tabac, a affirmé le professeur Michel Reynaud, psychiatre-addictologue à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif, dans l'émission "Allodocteurs", sur France 5, en février 2013. Mais il a indiqué que "la dépendance au cannabis se situe au même niveau que celle liée à l'alcool : entre 3 et 5% des gens [qui en consomment] ont des problèmes et sont dépendants".

Selon ce spécialiste, "le tabac accroche comme l'héroïne, alors que le cannabis accroche peu de gens, comme l'alcool. Mais cela n'est pas prévisible. On ne peut pas connaître les personnes qui seront accrochées." "Le tabac produit un taux d'addiction de 22%", a indiqué, en 2010, Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, directeur de recherches au Collège de France, dans un entretien à la revue du Collège de France.

Si les taux d'addiction de l'alcool et du tabac sont similaires, les types de dépendance se révèlent différents. Celle provoquée par la boisson est psychologique et physiologique, alors que celle issue du cannabis est uniquement psychologique, précise Bruno Verebelyi. "Mais effet paradoxal, son usage conduit souvent à une dépendance tabagique quasi-inéluctable", a relevé Yves Charpak, expert en santé publique, dans une tribune publiée dans Libération, en août 2011.

Non, les deux ont des conséquences psychologiques

Le groupe français Stupeflip a rencontré un succès important en 2002, avec la chanson Je fume pu d'shit. Voici un extrait des paroles : "Depuis que je fume plus de shit / Je me rappelle de mes rêves (...) / J'ai de la conversation / Je suis plus tout seul dans mon coin / A flipper comme un con".

Ce texte est un reflet fidèle de la réalité des gros fumeurs de joints, selon des chercheurs de l'Inserm à Bordeaux (Gironde) en pointe dans la recherche sur les effets du cannabis. Pour eux, l'oubli et l'apathie font partie des principaux impacts de cette substance, et l’échec scolaire serait presque prévisible. Le Figaro évoque un syndrome "amotivationnel", et précise qu'"il peut prendre l'aspect d'un repli sur soi, avec isolement, une moindre sociabilité et une plus grande inhibition à exprimer ses émotions".

Un jeune homme de 20 ans a raconté son parcours à une équipe de France 2. Il est revenu sur ses six ans de consommation, abordant les dérèglements subis dans sa scolarité, et sa motivation en général.

"A haute dose, l'alcool et le cannabis provoquent des dégâts psychologiques, à moyen et long terme", commente Bruno Verebelyi. D'après le spécialiste, tout dépend de la quantité consommée.

Concernant le cannabis, il souligne qu'il ne s'agit "pas d'une drogue douce. Les drogues douces n'existent pas pour les toxicologues et les addictologues". Selon lui, "au-delà d'un pétard par jour, c'est trop". Mais l'addictologue nuance, et relève que des variables entrent en jeu, comme la quantité de cannabis mélangée dans chaque joint, le type, et la provenance du produit.

Toujours est-il que les deux substances sont toxiques. Pour Bruno Verebelyi, "il n'y pas de problème tant qu'il s'agit d'une consommation conviviale. Et dans les deux cas, il ne faut pas que cela devienne de l'automédication pour s'apaiser ou se sentir mieux dans sa peau".

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