AP-HP : une infirmière crie son malaise
"Monsieur le directeur cette semaine j'ai perdu mon sourire, cette semaine j'ai perdu l'espoir, cette semaine j'ai perdu la foi en le service public". Dans une lettre ouverte vibrante adressée au directeur de l'AP-HP Martin Hirsch, Clémentine, infirmière de 31 ans témoigne de son quotidien dans un hôpital parisien. Comme une grande partie de ses collègues, elle s'oppose au projet de refonte des plages horaires du personnel des hôpitaux de Paris, prévue par le directeur. Il prévoit de réduire quelques minutes de travail par jour, supprimant en contre partie de nombreux jours de repos. L'objectif de Martin Hirsch est clair : économiser près de 20 millions d'euros sur la masse salariale, à l'heure où l'hôpital public est sommé de se serrer la ceinture.
"Nous ne sommes pas des fonctionnaires comme les autres. Je n'effectue pas des journées de 7h30, mais des journées de 8 voire de 9 heures. Tout cela pour soigner correctement" précise Clémentine. Réduire le temps de travail ne profite donc pas au personnel car les heures supplémentaires non payées sont le lot quotidien des infirmiers. "Venez à nos places, tenter de réparer les vivants. Passez vos journées debout à courir sans avoir le temps de manger, ni même d'uriner (…) Venez croiser le regard des mourants, trouver les mots justes pour les réconforter, eux, et leurs proches (…) Nos jours de congés nous permettent de nous éloigner de cette masse de souffrance, de prendre soin de nous et de nos proches" interpelle la jeune femme.
"Le patient, c'est vous demain"
"Comment osez-vous penser une seule seconde à raccourcir notre temps de travail quotidien et à supprimer nos jours de congés si précieux pour nous ressourcer ? N'avez vous donc jamais mis les pieds plus d'une heure ou deux dans un service hospitalier ?" s'indigne t-elle. "Aujourd'hui, les services hospitaliers sont au mieux en surchauffe, au pire en crise" poursuit Clémentine, qui après trois ans en service de réanimation a fait un burn-out. Elle explique ne pas s'être remis du décès d'une patiente de 60 ans. Faute de temps, elle n'avait à l'époque pas eu le temps de la rassurer. Celle-ci est décédée quelques jours plus tard d'un arrêt cardiaque "de stress". "Et si cette femme avait été votre mère ?" lance l'infirmière au directeur.
"Vous voulez réaliser des économies sur notre dos ? Ce n'est ni éthique, ni moral. (…) Nous prenons soin de vos grands-mères atteintes de Parkinson ou d'Alzheimer, de vos oncles atteints de leucémie, de vos enfants atteints de drépanocytose" poursuit-elle, précisant que le premier à pâtir du projet sera le patient. "Le patient c'est vous demain, l'un de vos proches, votre bien aimé, vos enfants" explique Clémentine. Car la qualité des soins passe d'abord par le temps, pour pouvoir offrir un accueil correct et une bonne évaluation clinique.
La réponse de Martin Hirsch en faveur du dialogue
Le témoignage de l'infirmière n'a pas tardé à faire réagir. La vidéo diffusée sur le site www.la-bas.org a récolté plus de 100.000 vues ces trois derniers jours (1). En dessous, des dizaines de témoignages et commentaires de soutien d'autres infirmiers partagent l'amertume de la jeune femme. Face aux échecs successifs des négociations avec l'intersyndicale de l'AP-HP, Martin Hirsch assure que le taux annuel de RTT ne descendra pas en dessous de 15. Un chiffre dérisoire selon le personnel, qui manifestera une nouvelle fois le 11 juin prochain à Paris.
Clémentine Fensch était l'invitée du "Magazine de la santé" ce mardi 9 juin sur France 5.
Le 9 juin, Clémentine a reçu par écrit une réponse de Martin Hirsch lui assurant qu'il était "sensible" aux conditions de travail des soignants. Dans son message (que nous avons pu consulter), le directeur de l'AP-HP réitère une nouvelle fois sa volonté d'un dialogue "équilibré" entre les deux parties, qui prenne en compte la réalité du travail et des horaires à l'hôpital.
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(1) Selon le site, 35.000 en lecture directement sur Viméo
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