Les internes de médecine victimes d'épuisement professionnel
C'est un moment clé de l'enseignement. Pendant la visite dans le service, les internes présentent au médecin senior leurs patients. Ce jour-là, Laëtitia, interne en dermatologie au Centre hospitalier René Dubos de Pontoise, fait le point sur le cas d’une femme, hospitalisée pour des plaies aux jambes. Si aujourd’hui, Laetitia est à l’aise, elle reconnaît que les débuts ont été stressants. "On passe d’une partie de nos études où tout repose sur la théorie à une autre où la pratique représente 90%. Donc c’est vrai que c’est un grand saut dans la responsabilité. C’est un passage qui est un peu rude pour un jeune interne", affirme-t-elle. Un sentiment confirmé par le chef de service de Laetitia, Dr Edouard Devaud, "le premier stage, c’est effectivement quelque chose de plus sensible parce que les médecins n’ont pas du tout d’expérience", avance-t-il.
"Il faut vraiment avoir un minimum de sens du sacrifice"
Les internes doivent aussi s’habituer à un rythme de travail soutenu. "C’est vrai que la première garde que j’ai faite, j’étais un peu sur les rotules le lendemain, même si j’avais toujours une motivation derrière et une soif d’apprendre. Au début, au niveau de l’organisation, c’est compliqué donc on termine un peu plus tard, on a du mal à faire la paperasse, les comptes rendus…", raconte Alexandre Prieu, interne en médecine générale au centre hospitalier René Dubos de Pontoise.
Le temps de travail des internes est en théorie limité par la loi à 48 heures par semaine. Mais beaucoup d'internes dépasseraient cette limite. Dans son service, le Dr Devaud assure faire respecter le repos de sécurité, c'est-à-dire une pause de 11 heures après chaque garde. "Le temps de travail des internes, on y fait attention. Somme toute, je pense qu'on ne choisit pas le métier de médecin par hasard. C’est un métier mais c’est aussi une vocation. Je crois qu’il faut vraiment avoir un minimum de sens du sacrifice quand même pour faire ce job qui n’est pas un job simple et qui de toute façon engage une charge émotionnelle importante", explique le Dr Edouard Devaud.
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28% des internes ont traversé un épisode de dépression
Si Alexandre et Laetitia affirment bien gérer la difficulté de l’internat, d’autres ont plus de mal. Selon une enquête menée par les syndicats, 66% des jeunes médecins souffriraient d’anxiété, contre 26 % de la population générale. Pire, 28% d’entre eux seraient dépressifs, contre 10% des Français. Fin janvier, le suicide d’une interne de l’hôpital Cochin a provoqué une vive émotion. Une nouvelle fois, les syndicats ont alerté la ministre de la Santé par le biais d’une lettre ouverte.
"En 1996, il y avait 3.200 places au Numerus Clausus de première année. Aujourd’hui, il est à près de 8.000… Donc ça augmente la compétitivité au sein des services, notamment pour les postes et pour l’avenir professionnel. Et il y a une augmentation de la charge de travail des internes qui est importante. On estime aujourd’hui à une moyenne de 62 heures la quantité de travail hebdomadaire d’un interne", affirme Sébastien Potier, vice-président de l’ISNI, l’InterSyndicale Nationale des Internes.
Le doyen des facultés de médecine dit pourtant avoir conscience de ses difficultés. "(Ils sont) dans le monde de l’hôpital, qui est un monde qui souffre. Le monde des soignants souffre. L’ensemble des soignants souffre. Et donc il y a une communication de cette souffrance. Elle est partagée à juste titre. Mais, les internes le subissent comme les autres soignants...", déplore le professeur Jean Sibilia, président de la conférence des doyens de médecine.
La ministre de la Santé a commandé un rapport sur la souffrance des jeunes médecins. Il devrait être rendu public très prochainement.
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