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Sida : cinq questions sur la découverte de l'Institut Pasteur sur les cellules "réservoirs" du virus

Une équipe de scientifiques français est parvenue à identifier une vulnérabilité dans une partie des cellules, ouvrant la voie à leur élimination. Mais le chemin risque d'être long jusqu'à ce que cette piste se transforme en un véritable traitement.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 4 min
Vue du virus du VIH à la surface d'une cellule. Les lymphocytes T CD4, des cellules immunitaires, sont les cibles principales du virus. (CYNTHIA GOLDSMITH / AP /SIPA)

C'est une avancée prometteuse. Une équipe de l'Institut Pasteur – dont le siège est à Paris  est parvenue à identifier une vulnérabilité dans les cellules dites "réservoirs" du virus du sida, ouvrant la voie à leur élimination dans l'organisme, selon une étude publiée jeudi 20 décembre dans la revue Cell Metabolism (en anglais). Cette expérience menée en laboratoire est une première étape avant d'éventuels essais cliniques sur l'homme. Franceinfo répond aux questions soulevées par cette découverte. 

Qu'est-ce que les cellules dites "réservoirs" du VIH ? 

Ce sont les cellules qui restent infectées par le virus du sida malgré les traitements antirétroviraux. Les médicaments actuels contre le VIH doivent être pris "à vie" car les antirétroviraux ne parviennent pas à éliminer les réservoirs du virus logés dans ces cellules immunitaires.

"Les antirétroviraux vont bloquer le virus, ils vont agir contre le virus et sa multiplication, mais ils ne peuvent pas éliminer les cellules infectées. Là, avec notre travail, il s'agit de caractériser les cellules infectées pour pouvoir les cibler et les éliminer de l'organisme infecté par le VIH", explique le chef de file de l'étude, Asier Saez-Cirion. Autrement dit, d'éliminer les cellules du corps du patient infecté.

Qu'ont découvert les chercheurs en étudiant ces cellules ? 

Les lymphocytes T CD4, des cellules immunitaires, sont les cibles principales du VIH. Mais le virus n’infecte pas tous les types de cellules CD4 et, jusqu’à présent, la raison n’en était pas connue. L'équipe de Pasteur a réussi à comprendre pourquoi. Leur étude montre que le virus infecte prioritairement les cellules à forte activité métabolique.

Pour rappel, l'activité métabolique ou énergétique d’une cellule, c’est l’ensemble des activités de synthèse et de dégradation de molécules par la cellule qui lui permet la production d’énergie, rappelle l'institut Pasteur sur son site. La glycolyse, par exemple, est la transformation du sucre en énergie.

C'est cette activité, et en particulier la consommation de glucose de la cellule, qui joue un rôle clé dans l'infection : le virus détourne l'énergie et les produits fournis par la cellule pour se multiplier.

Comment cette découverte peut-elle être exploitée contre le virus ? 

Ce besoin du virus constitue une faiblesse qui pourrait être exploitée pour s'attaquer aux cellules "réservoirs". Les chercheurs de l'institut Pasteur ont réussi "ex vivo" (sur des cultures de cellules) à bloquer l'infection grâce à des molécules inhibitrices de l'activité métabolique des lymphocytes T CD4. Comme si elles les endormaient, comme on peut le voir sur ce schéma réalisé par l'institut.

Représentation d'un lymphocyte T CD4 ciblé par le VIH à gauche et d'un lymphocyte T CD4 non ciblé en raison de son activité métabolique "endormie" par des molécules.  (INSTITUT PASTEUR)

Une méthode déjà utilisée en cancérologie."On a vu dans notre travail que les cellules qui s'infectent par le VIH ont des caractéristiques d'un point de vue énergétique qui ressemblent aux cellules tumorales, donc on pourra utiliser les mêmes types d'outils", indique le chercheur Asier Saez-Cirion.

Quelle est la prochaine étape ? 

La prochaine étape pour l'équipe de Pasteur va consister à "identifier les molécules [inhibitrices] qui nous donnent un effet optimal. Après il faut passer à des essais pré-cliniques dans des modèles et en utilisant l'expérience en cours sur les essais cliniques dans le traitement de certains cancers pour choisir des molécules qui soient tolérables par le patient et efficaces", précise le chercheur.

Ces travaux constituent un pas vers une possible rémission pour les patients, chez qui on ne détecterait plus d'infection grâce à l'élimination de ces cellules réservoirs. Mais "il faudra sans doute quelques années avant qu'on puisse commencer à vraiment tester ces approches dans un vrai essai clinique de phase 3 qui pourrait nous donner un résultat sur l'efficacité", souligne Asier Saez-Cirion.

Peut-on vraiment espérer guérir complètement des malades ? 

"On peut dire qu'on a gagné une bataille, mais on est loin d'avoir gagné la guerre", a estimé sur franceinfo Olivier Lambotte, professeur en immunologie à l’université Paris Sud et coresponsable de la recherche clinique à l’ANRS, l'Agence nationale française de recherche sur le sida et les hépatites. "On est capable d'attaquer le virus sur un flanc qui, pour l'instant, était méconnu et complètement inexploré. Cela nous rajoute une arme importante dans l'arsenal, encore faut-il le valider chez l'homme et avec une prudence qui est clairement de mise", a-t-il ajouté

Et de poursuivre : "Il faut faire attention avec le mot guérir. Si guérir veut dire éradiquer totalement le virus, la réponse pour moi est non. Si guérir veut dire être capable d'arrêter les antiviraux pendant un certain temps sans que le virus ne réapparaisse, ça c'est probablement vers quoi on va."

"C'est une première étape intéressante, mais nous ne sommes pas au stade où ça peut être applicable à l'homme dans un futur proche", a de son côté estimé sur franceinfo le spécialiste des maladies infectieuses et professeur à l'hôpital Saint-Louis à Paris, Jean-Michel Molina.

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