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Privés de 3G, les Palestiniens interpellent Obama

ENQUÊTE | À l'occasion de la première visite de Barack Obama mercredi en Israël et jeudi en Cisjordanie, des activistes palestiniens ont décidé de l'interpeller sur ce tracas du quotidien : l'absence de 3G palestinienne. Pourquoi les Palestiniens, pourtant souvent équipés en smartphones, sont-ils privés de cette couverture ? En quoi sont-ils pénalisés ? Questions autour de ce "petit truc" emblématique de la vie quotidienne en Palestine.
Article rédigé par Cécile Quéguiner
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Franceinfo (Franceinfo)

Depuis 10 jours, on ne peut pas les rater sur la route qui relie Jérusalem à Ramallah, ou dans le centre de Bethléem. Des affiches montrant le portrait d'Obama sur fond de drapeau américain, avec ce message que son auteur, un graphiste palestinien, Mahir Alawneh, a également tweeté :

Traduction : "Président Obama, pas la peine d'apporter votre smartphone à Ramallah. Vous n'aurez pas accès à l'internet mobile. Nous n'avons pas de 3G en Palestine ! ". Le message n'est pas tout à fait exact. Doté d'un forfait israélien ou étranger, vous bénéficierez, par le biais du roaming, de la couverture 3G des 5 opérateurs israéliens implantés dans les colonies juives de Cisjordanie. En revanche, qui dispose d'un forfait palestinien, délivré par l'un des deux opérateurs locaux, Jawwal ou Wataniya, devra se contenter de 2G. Ce territoire de 6 km² où près de 70% de la population est désormais équipée de téléphones mobiles, et notamment de smartphones, dispose donc d'un réseau équivalent à celui de la France des années 90, où seuls voix et texte peuvent être partagés, quand il n'y a pas de wifi disponible.

"Ici, personne ne tweete de la rue ou en direct d'un événement" (ingénieur palestinien)

Dans la "lettre d'un ingénieur Software palestinien à Monsieur Obama " qu'il a publiée en ligne, un certain Amr Tamimi décrit la situation : "Monsieur le président, en Palestine, la plupart des utilisateurs de Twitter tweetent de chez eux, des cafés ou de là où il y a un accès internet. Personne ne tweete de la rue ou en direct d'un événement , explique-t-il. Les photos Instagram ne peuvent être partagées au moment où elles sont prises. Je n'ai jamais pu poster une photo en disant 'Je suis en ville. Super temps aujourd'hui' ". Les geeks ou les journalistes ont tout de même quelques combines. , correspondante de France info à Ramallah, raconte : "Moi, pour tweeter, j'utilise un service où j'envoie des SMS qui sont ensuite traduits en tweets ". Il faut donc se contenter de 140 signes. Pas de photos, pas de vidéos. Le degré zéro du 2.0. 

L'accès à la 3G, un droit vital ?

Est-ce grave Docteur ? La question a été immédiatement soulevée. Hors et en Palestine. "Quand on a faim, on ne se plaint pas de ne pas avoir la 3G ", peut-on lire sur Twitter. Comprenez entre les lignes : s'il ne leur manque que ça, c'est que la situation n'est pas si dramatique. Mais la campagne d'affichage a aussi provoqué un tollé en Cisjordanie.  
Certains militants palestiniens voient en effet dans ces affiches "une insulte à la cause palestinienne ". "Cause bien plus grande que la question de la 3G , s'indigne dans le Jerusalem Post, un jeune militant du Fatah à Bir-Zeit. Cette initiative est complètement stupide et ne sert pas les Palestiniens". Le Fatah aurait d'ailleurs réclamé à l'Autorité palestinienne le retrait de ces affiches.

Le graphiste Mahir Allawneh pourtant se défend. "L'objectif de cette affiche, ce n'est pas d'offrir la 3G à tout le monde. C'est de montrer qu'il a plein de choses dans notre pays dont on nous prive , explique le jeune homme. La plupart des gens vous parlent de problématiques majeures, comme l'eau, les frontières, les prisonniers, mais personne n'évoque les petites difficultés du quotidien, notre vie de tous les jours. Mais si on n'arrive pas à obtenir ces petites choses, vous croyez qu'on obtiendra les grandes ? " > "10% de bande passante supplémentaire, c'est 1% de PIB en plus" (la ministre Safa Nasser Eldin)

La ministre palestinienne des Télécoms et de l'Information, Safa Nasser Eldin, renchérit : "Bien sûr que c'est un petit truc. Mais, c'est symbolique , explique-t-elle. Et puis, c'est handicapant de ne pas avoir de 3G. Pour l'économie, pour nos entreprises. Toutes les études sur Internet le montrent, 10% de bande passante supplémentaire, c'est 1% de PIB en plus ". 

Enfin, la 3G, comme les autres technologies d'information et de communication (TIC), permet de pallier les contraintes géographiques palestiniennes. "La Cisjordanie est séparée en trois zones, où les Palestiniens ont plus ou moins d'autonomie (zone A, B et C), qui morcellent le territoire en 270 îlots entre lesquels il n'est pas toujours simple de circuler ", explique un diplomate européen basé à Jérusalem. Face à ces contraintes, la 3G fait partie de ces outils qui facilitent la vie des individus et des entreprises. "L'accès à l'information et aux TIC joue un rôle vital dans le quotidien des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ", écrit le chercheur israélien, Anat Ben-David, auteur de La Palestine et ses frontières virtuelles 2.0

La 3G sous contrôle israélien

Mais pourquoi la 3G s'arrête-t-elle aux frontières de la Palestine ? Parce que tel l'espace aérien ou les frontières, c'est Israël qui a la main sur le spectre électromagnétique, et donc l'attribution des fréquences. Or "Israël refuse de les lâcher ", selon le diplomate joint à Jérusalem. Malgré les accords internationaux, comme les Accords d'Oslo, ou ceux de l'ITU, International Telecom Union, qui dépend de l'ONU et a pour mission de "connecter le monde ". "Selon ITU, nous devrions avoir le droit, comme tout pays, à 60 mégahertz de fréquence , le minimum pour la 3G , affirme la ministre Safa Nasser Eldin. Mais les Israéliens les gardent pour eux ".

"Il est quasi impossible pour un opérateur palestinien d'importer du matériel de téléphonie" (Diplomate)

Les opérateurs palestiniens manquent aussi d'équipement. "Pour construire un réseau 3G, il faut des antennes relais. Or plus de 60% de la Cisjordanie est en zone C, soit sous contrôle israélien. Ce qui veut dire qu'un opérateur palestinien ne pourra pas y obtenir de permis de construire ", explique le diplomate de Jérusalem, spécialisé dans ces technologies. 

Enfin, rien qu'importer le matériel électronique, comme ce qu'on appelle les switch ou répartiteurs, nécessaires à ces infrastructures, s'avère mission impossible. "Les Israéliens ont une définition assez large de ce qui peut être utilisé à des fins militaires ou terroristes, explique le diplomate, et rangent donc ces matériels dans la catégorie des produits 'à double usage' ". Conséquence : "un de nos opérateurs, Wattaniya , affirme la ministre palestinienne des Télécom, a 8.000 dollars d'équipements bloqués par la sécurité israéliennne depuis un an dans les ports d'Israël ". 

Les raisons du blocage

Pour les Palestiniens, la raison de l'obstruction israélienne est strictement économique. "Si nous voulons bénéficier de 3G, nous sommes obligés de nous munir de cartes SIM israéliennes , s'offusque Safa Nasser Eldin. Et nos opérateurs vont mourir ".  Aujourd'hui, les opérateurs israéliens détiendraient environ 20% du marché des Télécoms en Cisjordanie. "Ils profitent de clients, sans même payer de taxes ", ajoute la ministre. 

"Les Israéliens exercent une vraie concurrence déloyale sur les opérateurs palestiniens"

Point de vue du diplomate européen : "C'est vrai que les Israéliens exercent ainsi une véritable concurrence déloyale sur les opérateurs palestiniens" . Mais pour lui, les raisons de ce blocage autour de la 3G sont essentiellement politiques. En effet, les accords d'Oslo prévoit un égal partage des télécommunications. Dans ce cadre, des réunions sont censées se tenir pour trouver des accords de coopération. La dernière, convoquée sous la pression des Américains et du Quartet en juin 2012, n'a encore rien donné. Cette pierre d'achoppement semble à l'image du reste. "C'est presque symbolique. Je pense que les Israéliens, comme sur d'autres points, ne veulent tout simplement pas lâcher ". 

Reste donc ces affiches pour porter cette symbolique revendication. La 3G ne semble, à vrai dire, pas mobiliser grand monde. Le compte Facebook, intitulé 3G for Palestine, ne rassemble que 104 amis. Mais la ministre palestinienne des Télécoms semble y croire : "Bien sûr qu'on a beaucoup d'autres choses à demander à Monsieur Obama, mais on est sûr de ne pas les obtenir , explique-t-elle. La 3G c'est très simple. Si les Israéliens veulent la paix, qu'ils accèdent à des demandes aussi simples que ça, pour montrer leur bonne volonté ".

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