Qui est Pavel Dourov, le fondateur de la messagerie Telegram, arrêté en France ?

Ce milliardaire Franco-Russe de 39 ans a été interpellé samedi à sa descente d'avion à l'aéroport du Bourget. Il est dans le viseur des autorités judiciaires françaises pour son refus de modérer la messagerie.
Article rédigé par Catherine Fournier - avec AFP
France Télévisions
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Pavel Durov, cofondateur de Telegram, au salon TechCrunch Disrupt à San Francisco, en Californie, le 21 septembre 2015. (STEVE JENNINGS / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Il était sous la menace d'un mandat de recherche. Le Franco-Russe Pavel Dourov, patron de la messagerie Telegram, a été interpellé par la police aux frontières, samedi 24 août, à sa descente d'avion à l'aéroport du Bourget (Seine-Saint-Denis), a appris franceinfo de source proche du dossier, confirmant une information de TF1-LCI. Selon nos informations, la justice française reproche au milliardaire de 39 ans de ne pas répondre aux réquisitions judiciaires et d'héberger sur son site des groupes exerçant des activités illégales. 

Il a lancé avec son frère le réseau social VKontakte 

Doté d'une fortune de 15,5 milliards de dollars (13,38 milliards d'euros) selon Forbes, Pavel Dourov s'est fait connaître en 2006 lorsque, tout juste diplômé de l'université de Saint-Pétersbourg, il a lancé avec son frère Nikolaï le réseau social VKontakte (VK). Ce dernier est devenu rapidement le premier de Russie, devant Facebook, valant à son cofondateur le surnom de "Mark Zuckerberg russe". 

Après avoir séduit 100 millions d'utilisateurs avec VK, Pavel Dourov avait annoncé le 1er avril 2014 sa démission, arguant que sa liberté d'action s'était "nettement réduite". Deux jours plus tard, il s'était rétracté, assurant que cette annonce était un poisson d'avril. Mais un vif conflit l'opposait en réalité au fonds d'investissement United Capital Partners (UCP), à la tête de près de la moitié du capital. UCP reprochait à Pavel Dourov d'avoir utilisé les ressources de VK pour créer en 2013 l'application de messagerie instantanée Telegram, indépendante du réseau social.

Le fond de l'affaire était sans doute plus politique : Pavel Dourov a dû quitter la Russie après avoir refusé de remettre au service de sécurité (FSB) les données personnelles de militants ukrainiens pro-européens. Il a d'ailleurs raconté en avril, dans un rare entretien vidéo au journaliste américain ultraconservateur Tucker Carlson, avoir eu l'idée de lancer une messagerie cryptée après avoir subi des pressions des autorités russes à l'époque de VK.

 

Il affiche des convictions libertariennes 

Comme l'explique à franceinfo Nicolas Arpagian, vice-président du cabinet HeadMind Partners, spécialisé dans l’analyse des risques numériques, Pavel Dourov "a une conviction libertarienne". C'est-à-dire qu'"il considère que l'Etat est problématique, que l'impôt est suspect, que les libertés doivent être maximales". Un positionnement qui peut expliquer ce que lui reproche la justice française, à savoir "de ne pas répondre aux sollicitations des magistrats, de ne pas modérer les propos [des utilisateurs]". "Il considère que ce n'est pas dans son rôle, que le contrôle est a priori problématique et qu'il ne lui revient pas de le faire", poursuit Nicolas Arpagian.

"C'est à la fois ce qui lui est reproché et ce qui attire tous ceux qui ne souhaitent pas voir leur activité régulée : le terrorisme, la pédocriminalité, la violence... " 

Nicolas Arpagian, vice-président du cabinet HeadMind Partners

à franceinfo

Pavel Dourov, pourtant, assure répondre à chaque demande de suppression de contenu appelant à la violence ou au meurtre. Et sa plateforme a régulièrement collaboré avec les autorités judiciaires : en 2022, menacé de blocage par la cour suprême du Brésil, Telegram avait accepté de fermer des comptes accusés de désinformation. La même année, l'Allemagne avait salué les discussions "constructives" avec la messagerie, prisée par les militants d'extrême droite ou antivax locaux.

Solitaire, il se vante d'être le père biologique de plus de 100 enfants

Absent des médias traditionnels, Pavel Dourov n'hésite pas à se mettre en scène sur sa propre page Telegram, revendiquant mener une vie solitaire, s'abstenant de consommer viande et alcool. Toujours vêtu du noir, il cultive sa ressemblance avec l'acteur Keanu Reeves dans le film Matrix. En juillet, il se vantait d'être le père biologique de plus de 100 enfants grâce à ses dons de sperme dans une dizaine de pays. "On vient de me dire que j'ai plus de 100 enfants biologiques. Comment est-ce possible pour un gars qui n'a jamais été marié et qui préfère vivre seul ?" écrivait-il. Un "devoir civique", selon lui, le rapprochant de la mouvance pro-nataliste à laquelle adhèrent Elon Musk et plusieurs milliardaires de la tech.

Pavel Dourov disait envisager de donner accès à son ADN en source ouverte afin que ses "enfants biologiques puissent se retrouver entre eux plus facilement"

Domicilié à Dubaï, il a obtenu la nationalité française en 2021

Après avoir essayé de s'installer à Berlin, Londres, Singapour et San Francisco, Pavel Dourov a finalement opté pour Dubaï, dont il a loué l'environnement des affaires et la "neutralité". Dans l'émirat du Golfe, l'application Telegram s'est mise à l'abri des règles de modération des Etats, à l'heure où l'Union européenne comme les Etats-Unis mettent la pression aux grandes plateformes pour supprimer le contenu illégal.

Outre ses nombreux voyages, Pavel Dourov collectionne aussi les nationalités. Il a ainsi obtenu la citoyenneté de l'île caribéenne Saint-Kitts-et-Nevis puis, en août 2021, la nationalité française grâce à une procédure rare sur laquelle Paris reste très discret.

Il a fait de Telegram un des réseaux sociaux les plus utilisés en Russie et en Ukraine

Telegram compte près de 900 millions d'utilisateurs et devrait franchir la barre du milliard d'ici un an, selon Pavel Dourov. Les gens apprécient "l'indépendance, le respect de la vie privée et la liberté" de la plateforme, déclarait-il à Tucker Carlson en avril.

Pavel Dourov a beau avoir quitté la Russie il y a dix ans, sa messagerie y est l'un des réseaux sociaux les plus utilisés, avec des chaînes pouvant avoir plusieurs centaines de milliers d'abonnés, comme Rybar. C'est aussi le cas côté ukrainien avec, par exemple, la chaîne DeepState, ce qui explique en partie le succès de Telegram depuis le début de la guerre en 2022.

En 2018, la décision d'un tribunal russe de bloquer Telegram, jamais totalement mise en application, avait été condamnée par de nombreuses ONG internationales. "Pensez-vous que, cette fois-ci, elles exigeront la libération de Dourov, ou qu'elles se tairont ?", a demandé la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, sur sa page Telegram.

Il était fiché en France au Fichier des personnes recherchées 

Pavel Dourov faisait l'objet d'une discrète enquête préliminaire menée par l'Office spécialisé dans la lutte contre les violences faites aux mineurs, sous la direction nationale de la police judiciaire française, a appris franceinfo auprès d'une source proche du dossier. Il était ainsi inscrit au Fichier des personnes recherchées. Une information judiciaire a ensuite été ouverte par le pôle cyber de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée du parquet de Paris, selon une autre source proche du dossier. Les investigations ont été confiées à l'unité nationale cyber de la gendarmerie nationale et à l'Office national antifraude dépendant des douanes.

C'est dans ce cadre qu'il a été interpellé alors qu'il se trouvait sur le territoire français, pour des soupçons d'infractions allant de l'escroquerie au trafic de stupéfiants, du cyberharcèlement à la criminalité organisée en passant par l'apologie du terrorisme. 

Son interpellation a suscité de nombreuses réactions internationales. "#FreePavel", a notamment publié sur X (ex-Twitter) le patron de la plateforme, Elon Musk, avant de publier un nouveau message en français disant "Liberté. Liberté ! Liberté ?"

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