Témoignages "Attaquer un juif français, c'est attaquer la France" : des manifestants nous racontent pourquoi ils ont défilé contre l'antisémitisme à Paris

Plus de 100 000 personnes ont défilé dimanche, dans la capitale, contre la résurgence des actes antisémites. Six d'entre elles témoignent auprès de franceinfo des raisons de leur participation à ce rassemblement.
Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des portraits de manifestants participant à la marche contre l'antisémitisme, le 12 novembre 2023 à Paris. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Pour la République, contre l'antisémitisme." C'est derrière cette banderole des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat que le cortège parisien a défilé, dimanche 12 novembre, en réponse à l'explosion du nombre d'actes hostiles aux juifs depuis la riposte militaire qui a suivi les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre. A Paris, 105 000 manifestants, selon la préfecture de police, sont partis de l'esplanade des Invalides vers 15 heures et ont rejoint le Sénat en fin d'après-midi. Des rassemblements ont également eu lieu dans d'autres régions de France.

Alors que la classe politique s'écharpe depuis plusieurs jours en raison de la présence du Rassemblement national et de l'absence de La France insoumise dans la marche parisienne, franceinfo a donné la parole à six manifestants qui expliquent pourquoi ils ont choisi de défiler.

Laura, 31 ans : "En tant que juive, je ressens une peur que je n'avais jamais ressentie"

Laura et son mari, à la manifestation parisienne contre l'antisémitisme, le 12 novembre 2023. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Je suis de confession juive. Depuis le 7 octobre, je ressens une peur que je n'avais jamais ressentie. La France a connu des actes antisémites par le passé, mais à chaque fois, ils ont été suivis d'un réveil national, donc on s'est toujours senti protégés. Mais, aujourd’hui, on a l'impression que l'Etat n'accentue pas les mesures pour contrer l'antisémitisme. Et on a senti une haine inégalée lors des manifestations de soutien à la cause palestinienne.

Soutenir la cause israélienne ou palestinienne, c'est le droit de chacun, c'est de la politique. Mais on n'a pas le droit de le faire en appelant à la mort des juifs. Le 7 octobre, des crimes barbares ont été commis, que tout le monde aurait condamnés s'il ne s'était pas agi d'Israël. Mais comme c'est Israël, c'est clivant. Ce qui fait peur, c'est de voir que ce qui se passe en Israël se répercute sur tous les juifs du monde.

Les juifs se sentent très isolés depuis un mois. Aujourd'hui, ça fait chaud au cœur de voir qu'on n'est pas seuls. Mais l'antisémitisme est un combat national. La France entière devrait marcher."

Rezza Nabil, 52 ans : "Nous, musulmans, avons tout intérêt à marcher au côté des juifs"

Rezza Nabil à la manifestation contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Je suis théologien musulman et imam indépendant. Je suis venu en conscience, j'ai pris mes responsabilités face à l'horreur qui touche les Français de confession juive. Ça me semble naturel de venir soutenir mes frères juifs invectivés et persécutés à tort. Je ne ferai pas l'amalgame entre juifs, israéliens et gouvernement israélien. La manifestation d'aujourd'hui est une main tendue pour l'unité de la nation.

Je trouve déplorable, et je dénonce, l'absence de certaines associations musulmanes. Tirer la couverture à soi n'est pas une solution qui amènera la paix. J'appelle mes coreligionnaires à lutter contre le risque de désagrégation de notre société. Nous avons tout intérêt à marcher à côté des juifs et à rejoindre leur combat. Car aujourd'hui, ce sont eux qui sont visés, mais demain, ça peut être les musulmans. Nul n'est à l'abri."

Martin, 40 ans : "Attaquer un juif français, c'est attaquer la France"

Martin, à la manifestation contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Aujourd'hui, la France est attaquée. Attaquer un juif français, c'est attaquer la France. Je suis venu pour dire qu'on est là, qu'on est debout, et qu'on ne cédera rien. Je suis chrétien, et j'espère que cette marche apaisera les tensions, qu'on ait un moment de communion qui permette de se retrouver et d'aller vers l'apaisement. 

On ne peut pas nier l'importation du conflit israélo-palestinien en France. Mais je crois que le conflit est un prétexte pour l'antisémitisme : les juifs en France sont attaqués d'abord parce qu'ils sont juifs, pas en raison de la politique d'Israël. Il y a une espèce de haine latente contre eux, et ça n'est pas normal. 

Les étoiles de David sur les murs, c'est insupportable, c'est d'un autre temps. On ne peut pas revivre ça. On peut parler politique et ne pas être d'accord, on peut s'engueuler même, mais on ne peut pas réveiller des blessures du passé. Quand bien même ces tags seraient commandités depuis l'étranger, ils trouvent un terreau favorable en France. C'est un incident déclencheur qui libère l'hostilité contre les juifs."

Mickaël, 45 ans : "Je suis fier d'être français et fier d'être juif"

Mickaël, à la manifestation contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Je suis venu avec ma kippa. C'est une des façons de montrer mon appartenance au peuple juif. Je la porte tous les jours, pour montrer que je suis fier d'être français et fier d'être juif. Parfois, je mets ma casquette par-dessus, quand j'ai un peu plus de crainte d'être embêté. 

Je suis venu aujourd'hui pour que les actes antisémites diminuent le plus rapidement possible. Lorsqu'ils augmentent, ce n'est pas seulement la communauté juive qui est attaquée, mais l'ensemble de la communauté française. J'aurais souhaité qu’il y ait tous les représentants religieux de France, en plus des responsables politiques, pour toucher l'ensemble du peuple. Je n'attends pas grand-chose de ce rassemblement, mais, symboliquement, c'est important de montrer mon désaccord avec ce qui se passe. 

Je préfère ne pas mélanger les choses et laisser le conflit israélo-palestinien là où il est. Je suis là pour que les choses aillent mieux en France. Même si le conflit en cours a un rapport avec ce qui se passe, ce n'est ni le moment, ni le lieu pour en parler."

Patricia, 58 ans : "Je ne veux pas que mes amis vivent dans la peur"

Patricia, à la manifestation contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Je suis venue aujourd'hui dans un geste citoyen et républicain, pas politique. Je ne suis pas touchée personnellement par l'antisémitisme, mais j'ai beaucoup d'amis juifs. Je ne veux pas qu'ils vivent dans un pays où ils ont peur. Cette marche a tardé à venir, je l'attendais. 

J'espère un sursaut des politiques sur cette question, car je ne peux pas faire grand-chose toute seule, à mon avis. J'aimerais aussi que la justice prononce de lourdes condamnations en cas d'antisémitisme, car il y a beaucoup de laxisme aujourd'hui.

Je me fiche complètement que le RN soit là, il faut qu'on soit tous unis. Par contre, j'aurais aimé que le président de la République soit avec nous. Il a sûrement ses raisons pour ne pas être venu, mais les précédents présidents ont marché à côté du peuple lors de grands événements. Quant à La France insoumise, ça ne me surprend pas qu'ils ne soient pas là, c'est assez cohérent avec leurs idées..." 

Maxime, 23 ans : "Je suis venu exprimer ma solidarité"

Maxime, à la manifestation contre l'antisémitisme à Paris, le 12 novembre 2023. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Je suis venu exprimer toute ma solidarité envers une population discriminée pour des raisons abjectes. Pour moi, les étoiles de David sur les murs, c'était quelque chose qui était cantonné aux livres d'histoire. C'est grave de voir que ça revient, et c'est important de manifester pour que ce genre de choses n'arrive plus. 

J'espère que les deux parties touchées par la guerre pourront sortir de ce cycle de la haine. Ma position est clairement celle du Parti socialiste, dont je suis un militant : une solution à deux Etats, un cessez-le-feu et la libération des otages. D'ailleurs, j'ai déjà manifesté pour appeler à la paix ces derniers jours.

La France insoumise a fait des rassemblements de son côté, mais ça aurait été important d'être ici pour manifester contre l'antisémitisme et pour dénoncer la tentative frauduleuse de récupération du Rassemblement national. Il n'a rien à faire ici quand, il y a quelques jours seulement, Jordan Bardella [le président du RN] ne reconnaissait même pas l'antisémitisme de Jean-Marie Le Pen [condamné pour négationnisme]. Tout dans leur histoire les discrédite pour parler de ce sujet."

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