"Avoir été adoptée à l’étranger fait de moi une personne double" : rencontre avec celle qui a inspiré "Retour à Séoul"
"J’ai 27 ans et je me suis toujours posé la même question le jour de mon anniversaire : est-ce que ma mère a une pensée pour moi ?” Pour Freddie, cette interrogation est vertigineuse. Sans indices. Dans Retour à Séoul, le personnage central du dernier film de Davy Chou, qui sort mercredi 25 janvier en salle, nous interpelle avec elle. Il est interprété avec précision par Park Ji-Min, jusqu’alors plasticienne et dont la première expérience d’actrice a été remarquée lors du dernier Festival de Cannes.
Le film est le récit de Freddie, recueillie bébé dans un orphelinat en Corée du Sud avant d’être adoptée par un couple de Français. Adulte, elle part sur un coup de tête à Séoul pour tenter de retrouver ses parents biologiques. Le voyage est intense. Freddie découvre le pays où elle est née mais elle n’en maîtrise ni la langue ni les codes. Elle va rencontrer son père mais ce qui aurait pu refermer la blessure de l’abandon va susciter d’autres conflits intérieurs.
Ce parcours est basé sur celui bien réel de Laure Badufle, une amie du réalisateur Davy Chou, amie adoptée à l’âge d’un an en Corée. Aujourd’hui à 38 ans, elle accompagne à travers son association Racines coréennes ceux qui, comme elle hier, souhaitent renouer avec leurs origines. Pour Laure, ce fut une explosion de sentiments contradictoires au pays du matin calme. Elle estime d'ailleurs que le film permet de faire comprendre que "l’adoption peut être une grande chance et une douleur en même temps". "Je me suis souvent demandée pourquoi j’ai dû quitter mon pays", partage-t-elle à franceinfo.
"Rencontrer ses parents biologiques peut être un nouveau traumatisme"
Retour à Séoul illustre combien les retrouvailles avec les parents qui ont tant manqué pour certains enfants adoptés ne constituent pas le point d’arrivée d’une longue quête, intime et administrative. "C’est l’ouverture sur un nouvel univers, ça peut être un nouveau traumatisme mais ça en vaut la peine, précise pour sa part Laure Badufle. 14 ans après, je continue d’évoluer dans mon rapport à la Corée et à ma famille. Avoir été adoptée, avoir effectué le voyage en Corée, fait de moi une personne double et cela peut être déstabilisant."
Dans le film, son pendant, Freddie, est expressive et spontanée mais une fois face à son père biologique, elle ne sait comment se sentir proche de lui, ni même comment communiquer avec ce parent qui est aussi vécu comme une charge. Ce père la voit comme Coréenne sauf que sa vie est en France. La jeune femme trouve finalement la Corée "toxique" mais elle ne peut s’empêcher d’y aller et d’y retourner. "Avoir été adopté à l’étranger est une complexité que peu de gens peuvent comprendre. On peut avoir vécu une intégration réussie et tout de même ressentir le malaise de concilier et de vivre pleinement son histoire", décode Laure Badufle.
"L'adoption est un superbe cadeau qu'il faut savoir faire fructifier"
Elle-même s’est d’abord refusée de parler de son besoin de renouer avec ses racines, craignant de blesser ses parents adoptifs. "Je ressentais de la gêne à leur dire qu’il y avait une partie de ma vie que je cherchais où ils ne seraient pas présents. Le film traduit parfaitement les non-dits dans la famille et les tensions qui peuvent exister. Ensuite, j’ai eu la phase de rébellion en me rendant en Corée. Et aujourd’hui, je suis dans une pacification. Je me sens française et de plus en plus coréenne."
Pacification ne signifie pas encore paix intérieure. La sortie du film remue d’ailleurs des émotions chez Laure Badufle. "L’œuvre illustre qu’il y a de la friction quand on souhaite sortir de son carcan. Mais je veux dire aussi que c’est une incroyable richesse d’avoir ces deux personnes en moi qui peuvent dialoguer, d’avoir une double culture entre deux pays. C’est un superbe cadeau qu'il faut savoir faire fructifier."
Le film est passionnant. Tous les enfants adoptés à l'étranger n’ont pas pour autant le besoin de créer un lien avec leurs premiers parents. Certains peuvent rechercher quelques photos de leur enfance ou à connaître le patronyme qui était le leur avant de changer d’état civil. Les associations de familles adoptantes font part d'autant de situations qu'il y a d'enfants adoptés.
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