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"Bon à prendre", mais "pas suffisant" : les profs jugent l'annonce de la revalorisation de leurs salaires

La ministre de l'Education a annoncé mardi, à moins d'un an de la présidentielle, une revalorisation des salaires des enseignants. Un coup de pouce qui atteindra un milliard d'euros en 2020. Qu'en pensent les principaux intéressés ?

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'académie de Créteil va recruter 500 professeurs des écoles supplémentaires pour 2017. (THOMAS SAMSON / AFP)

"Accroître l'attractivité du métier" d'enseignant : c'est l'objectif affiché par la ministre de l'Education nationale. Najat Vallaud-Belkacem a annoncé, mardi 31 mai, que les professeurs seraient davantage payés et les carrières des enseignants les plus engagés revalorisées. Ainsi, lors de leur première année d'enseignement, les professeurs gagneront, d'ici à 2020, 1 400 euros bruts de plus par an.

Après avoir expliqué en quoi consiste la revalorisation des salaires, francetv info a interrogé cinq professeurs aux profils différents et deux syndicats d'enseignants. Si tous s'accordent à dire que cette annonce est "positive", ils émettent des réserves sur la façon dont va s'appliquer cette revalorisation. Ils réagissent également sur le timing de cette annonce, à un an de la présidentielle.

Une "revalorisation absolument nécessaire"

Les professeurs français, moins payés en moyenne que leurs homologues des pays industrialisés de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), attendent depuis des années d'être augmentés. 

"C'est un premier geste attendu, indispensable pour commencer à rattraper le décalage salarial par rapport aux standards européens", réagit Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp-FSU. "Cette revalorisation était absolument nécessaire, car la dernière remonte à ving-cinq ans, estime de son côté Christian Chevalier, secrétaire général du SE-Unsa. Entre-temps, le diplôme est passé d'un niveau licence (bac +3) à un niveau master 2 (bac +5)."

Une "vraie reconnaissance" pour ceux "qui se décarcassent"

Mardi matin, sur BFMTV, Najat Vallaud-Belkacem a également promis que "ceux qui innovent, s'engagent, acceptent des fonctions difficiles" verraient leurs mérites reconnus. Ainsi, un professeur des écoles exerçant dix ans en éducation prioritaire et devenant directeur d'école pourra gagner, en fin de carrière, 1 000 euros de plus par mois. Actuellement, avec ce parcours, le salaire d'un directeur d'école est de 4 000 euros environ. Christian Chevalier y voit une "vraie reconnaissance" pour ceux "qui se décarcassent". "C'est un message positif : 'Vous êtes utile à la nation, on vous reconnaît'."

Le Snuipp-FSU, lui, regrette la dissociation des carrières. Car ce sont les enseignants qui en font plus et qui le montrent qui seront récompensés. Ainsi, après sept et treize ans d'exercice, 30% de personnels très engagés, notamment en éducation prioritaire ou à la direction d'écoles, pourront bénéficier d'une accélération de carrière d'un an. "On différencie les carrières des professeurs d'école alors qu'il s'agit d'un seul et même métier. De plus, ils seront reconnus a posteriori, et non quand ils exercent, alors que c'est au moment où ils exercent qu'ils ont besoin d'indemnités et de temps", estime Sébastien Sihr.

Caroline*, professeure de français dans un collège francilien classé en REP+, en sait quelque chose. Elle ne compte pas ses heures, n'en déclare aucune en plus, et sa vie professionnelle déborde sur sa vie personnelle. Malgré l'annonce de l'augmentation des primes des enseignants de 50% à 100% depuis la rentrée 2015, elle ne voit pas d'évolution pour son salaire. Elle touche pourtant des primes en tant que professeure principale de deux classes.

En raison d'un mécanisme "complexe", avec la réforme de l'éducation prioritaire, Caroline a perdu les points qui lui permettent d'être mutée. "Tu n'es que des points. Ce que tu produis n'est pas pris en compte, c'est difficile." Pourtant, elle aime son métier, "même s'il ne fait plus rêver".

"La question salariale ne réglera pas tout"

Ses élèves eux-mêmes lui disent parfois que c'est un "boulot mal payé". En proposant un salaire plus intéressant, l'Education nationale espère donc susciter des vocations. "Il y a une crise des recrutements. Certaines disciplines du concours du Capes ne font pas le plein", renchérit un professeur d'histoire-géographie d'un collège de Rhône-Alpes, connu sous le pseudonyme Talleyrand sur Twitter.

L'attrait financier peut-il suffire à susciter des vocations ? "Cela peut commencer à redonner de l'attractivité. Mais la question salariale ne réglera pas tout. Il faut redonner aux enseignants les moyens de bien faire leur travail", juge Sébastien Sihr. "La revalorisation financière est une façon de prendre conscience qu'on fait un métier important. Mais au-delà, il faut revaloriser l'image du métier. C'est global, c'est un tout et c'est indissociable", estime Caroline.

"C'est toujours bon à prendre, mais ce n'est pas suffisant", résume une professeure de mathématiques avec humour sur Twitter.

"La ficelle est un peu grosse à un an de l'élection présidentielle"

Surtout, pour cette professeur de maths qui enseigne en collège et lycée dans les Antilles françaises, "la ficelle est un peu grosse à un an de l'élection présidentielle". C'est aussi le sentiment d'Antoine, instituteur dans une école élémentaire parisienne. "Les élections frappent à la porte, alors le gouvernement lâche du lest sur les salaires", estime-t-il.

Les syndicats ne sont pas aussi tranchés sur ce point. "C'est un travail de longue haleine, la suite logique des discussions ouvertes depuis deux ans. C'est un point suffisamment complexe pour que cela ne sorte pas du chapeau aujourd'hui. Même s'il y a, sans doute, quelques arrière-pensées...", explique Christian Chevalier. "Je fais confiance aux enseignants. Ils sont suffisamment grands pour faire leur choix [lors de la présidentielle] le moment venu, ajoute Sébastien Sihr. On ne va pas refuser un geste sous prétexte d'une élection dans douze mois."

"Les profs n'oublieront pas qu'ils se sont fait piétiner ces dernières années, à grand coup de réformes dont personne ne veut, et d'un manque de dialogue ahurissant", estime de son côté un professeur d'anglais, alias Monsieur Le Prof sur Twitter.

Les réformes scolaires restent en travers de la gorge des enseignants, et l'augmentation des salaires ne fera pas "passer la pilule". "J'enseigne depuis dix ans. Je n'ai jamais vu une telle défiance en salle des profs. La réforme du collège a laissé beaucoup d'amertume", constate Talleyrand. Et peut-être, aussi, de la rancune...

*Le prénom a été changé

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