: Interview "Je veux les aider à mettre les mots" : un livre pour enfants pour parler des discriminations sans tabou

À l'occasion de la sortie du livre de jeunesse "Le Musée mal rangé" (Shed Publishing), Houyem Rebai, professeure des écoles à Saint-Denis, décrit pourquoi elle a pensé ce livre comme un outil pédagogique.
Article rédigé par Lou Inès Bes
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Extrait du livre pour enfants, "Le Musée mal rangé" écrit par Houyem Rebai, illustré par Amina Bouajila et édité par la maison d'édition indépendante Shed Publishing. (AMINA BOUAJILA / SHED PUBLISHING)

En librairie depuis vendredi 11 octobre, Le Musée mal rangé raconte l'histoire d'une maîtresse en visite au "musée Grandiose des brillantes personnalités" avec sa classe. Au musée, un élève de la classe réalise que les portraits des personnages historiques du musée sont tous des hommes et qu'ils ne sont pas comme ses camarades, "de toutes les couleurs et de toutes les tailles". Il demande alors des explications à sa maîtresse. À travers cette histoire, Houyem Rebai, professeure des écoles à Saint-Denis, parle d'invisibilisation des femmes et des personnages historiques racisés dans les récits collectifs.

franceinfo : Vous êtes-vous inspirée de votre métier de professeure des écoles pour écrire l'histoire du Musée mal rangé ?

Houyem Rebai. Ce sont les enfants qui m'ont inspirée. Le lundi et le jeudi dans ma classe, j'organise "L'entretien du matin" qui est un temps où l'on se retrouve ensemble. Quatre enfants s'inscrivent librement pour discuter d'un sujet qui les intéresse ou présenter un objet pendant cinq minutes. Ensuite, je synthétise notre discussion et les enfants repartent avec un résumé.

Une petite fille qui n'était plus dans ma classe, mais toujours dans la même école primaire, est passée devant la classe et a souhaité montrer un jeu des 7 familles qui représentaient des personnalités historiques. En étalant toutes les cartes, une seule montrait une personnalité noire. Ce qui est intéressant, c'est que lorsque j'ai demandé aux élèves s’ils avaient une explication sur l'absence de personnes non blanches, ils ont cherché des raisons comme "les fabricants ont oublié" ou "ils ne connaissent pas de personnalités noires". Mais personne n'a dit : "C'est normal, c'est parce que ça n'existe pas". Une élève a ensuite demandé à compter pour savoir combien il y avait d'hommes et de femmes. D'après leurs interventions, ils ont rapidement mis des mots en parlant d'injustice, de racisme et de sexisme

Pourquoi avoir choisi le lieu du musée précisément ?

Il y a l'anecdote du jeu des 7 familles qui m'a inspirée, mais c'est aussi parce que lorsqu'on veut parler de racisme par exemple, on va souvent mettre l'accent sur les insultes. On pense donc davantage le racisme comme un problème d'individu, mais pas comme le produit d'une organisation sociale ou d'un héritage colonial. Et je pense que les espaces institutionnels comme les musées sont très peu questionnés sur le sujet de l'invisibilisation de certaines communautés. Les musées sont aussi des lieux imposants qui font autorité par leur architecture et façonnent l'expérience des enfants et des adultes. Et en tant que personne appartenant à des groupes minorisés, je me rends compte que nous ne sommes pas assez représentés ou alors souvent à travers des représentations coloniales ou exotisées.

Selon vous, y a-t-il un âge minimum pour parler du racisme et des discriminations aux enfants ?

Non pas du tout, mais je l'ai compris plus tard ! Au début de ma carrière, je pensais qu'il fallait protéger les enfants du reste du monde et ne pas leur parler des injustices. Aujourd'hui, je reviens sur ça parce que pour moi, c'est une erreur. 

"Les enfants ne vivent pas en dehors du monde. Ils vivent aussi des discriminations et encore plus du fait de leur âge, car ils ne peuvent pas se défendre. On a tendance à ne pas les considérer comme des sujets capables de réfléchir et de construire leur monde."

Houyem Rebai, professeure des écoles

à franceinfo

Au contraire, je pense que si un enfant subit des choses, mais qu'il n'a pas les mots pour en parler, cela peut être encore plus violent pour lui. Si on ne permet pas une discussion autour des violences, je crois que les enfants peuvent se dire que c'est de leur faute. Et ça, je le constate en me souvenant de l'enfant que j'étais ! Ce que j'essaye de faire avec ce livre, c'est de mettre du sens et des mots sur l'invisibilisation de certaines communautés dans le récit historique.

Le livre est donc destiné aux enfants comme aux adultes ?

C'est un album de jeunesse destiné aux enfants, mais également aux adultes et aux enseignants. Je pense que c'est important de parler de la posture de l'adulte dans l'histoire : la maîtresse ne se présente pas comme une sachante. Quand Adnan lui demande pourquoi il n'y a pas de diversité dans le "musée Grandiose", la maîtresse déclare qu'elle ne sait pas, qu'elle doit y réfléchir et amorce une discussion le lendemain en classe. Le message que je voudrais faire passer aux enseignants et éducateurs, c'est qu'il faut savoir si "je ne sais pas" et prendre le temps de réfléchir.

Extrait du livre pour enfants, "Le Musée mal rangé" illustré par Amina Bouajila. (HOUYEM REBAI ET AMINA BOUAJILA)

En sciences par exemple, on a facilement cette posture mais souvent, sur les sujets discriminations, comme c'est tabou, on esquive la question. Au contraire, c'est l'opportunité d'un moment d'apprentissage, même si cela demande en effet de questionner ses pratiques à soi aussi. Je crois qu'il faut vraiment répondre aux questions des enfants sur le racisme ou toute autre discrimination parce qu’en invisibilisant des discriminations, on prend le risque de les perpétuer.


Le Musée mal rangé, éd. Shed Publishing, sortie le 11 octobre en librairie.

Mercredi 16 octobre - de 14h à 16h30 : atelier et lecture du Musée mal rangé avec Shed Publishing, à la Maison des Arts de Malakoff. 

Exposition du 15 au 29 octobre à la librairie La régulière, Paris 18e.

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