J'ai plongé dans "La Piscine" de 42, l'école de Xavier Niel
Après avoir passé les tests de sélection en ligne, notre journaliste a passé deux jours en stage intensif. Retour d'expérience.
Lundi 13 août, dans le hall de l'école 42. Dans la foule des étudiants, un blondinet à l'air hagard joue des coudes, chargé d'un énorme sac à dos et d'un tapis de sol. D'un geste, on lui indique spontanément le chemin du sous-sol, où s'entassent valises, sacs de voyage et matelas gonflables rabattus à la hâte contre les murs de béton gris.
Un squat géant investi avec la bénédiction de l'administration : quelque 800 étudiants sont rassemblés ici pour la rentrée de "La Piscine", le stage intensif de présélection ouvrant les portes de 42, l'école d'informatique créée de toutes pièces par Xavier Niel, le patron de Free. L'arrangement permet aux étudiants venus de province de minimiser les frais, et aux acharnés du code de maximiser leur temps sur place.
Dommage collatéral : ça sent un peu le chien mouillé dans la cage d'escalier, où des serviettes humides garnissent les rambardes jusqu'au deuxième étage. Mieux vaut s'y habituer : si mon baptême du feu ne durera que deux jours, mes camarades sont là pour quatre semaines, à l'issue desquelles moins d'un tiers d'entre eux seront sélectionnés.
Le "Terminal"
A 9 heures, un jeune barbu vêtu d'un t-shirt noir estampillé "staff" donne le coup d'envoi. Le flot des étudiants est invité à investir les trois grandes salles, une par niveau, où sont alignés des centaines de Mac flambant neufs. Je m'installe au premier étage.
La première règle de 42 est claire : mieux vaut être autonome. En guise de consigne, nous avons reçu un login et un mot de passe, qui permettent d'accéder au site de l'école. Charge à chaque candidat de comprendre ensuite ce qu'on attend de lui.
Des récits ayant déjà fuité sur la première Piscine, qui s'est déroulée en juillet, je connais déjà le principe général : chaque jour, une nouvelle série d'exercices démarre, sur lesquels les élèves ont en général 48 heures pour plancher. A nous de nous débrouiller pour les résoudre. Les consignes sont inexistantes, les énoncés – qu'il nous faut trouver par nos propres moyens sur l'intranet – sibyllins.
Ici, tout se fait via le "Terminal" (ou "shell"), une sorte de ligne directe qui relie le geek à son ordinateur. Quand le commun des mortels parle à sa machine en cliquant sur des icônes, des menus ou des boutons, l'expert tape des commandes dans le Terminal. Des ordres élémentaires, en quelque sorte, avec un lexique et une grammaire propre. Ce n'est pas un langage de programmation, mais ça y ressemble : à froid, c'est tout à fait barbare.
De toute évidence, certains ont une longueur d'avance. En face de moi, Philippe, 18 ans. A peine a-t-il visionné les tutoriels vidéo qu'il se lance déjà dans les premiers exercices. Titulaire d'un bac technologique, il m'explique gentiment qu'il a déjà monté une boîte dans l'informatique. A midi, alors que je regarde pour la troisième fois l'un des tutos, il en est déjà au deuxième exercice. Je sue à grosses gouttes.
La réunion "spéciale filles"
Une annonce générale me permet d'échapper à la crise d'angoisse qui se profile à l'horizon : "Réunion spéciale filles au sous-sol !", lancent à la cantonade des membres du staff. J'oubliai : mon environnement est très, très masculin. Seuls 8% des candidats sont des candidates.
Un peu intimidées, nous nous rangeons sagement face au directeur adjoint de 42, Kwame Yamgnane. Vêtu du même t-shirt que le reste de l'équipe, d'un bermuda à fleurs et de claquettes, le grand gaillard a le parler franc. Si on est ici, nous explique-t-il, c'est parce que "dans l'informatique, il y a clairement une problématique de sexisme". Nous sommes encouragées à signaler tout problème à l'administration, qui "fera ce qu'il faut".
L'avertissement vaut aussi pour nous : à la fin de la réunion, Kwame Yamgnane nous invite à ne pas abuser de notre position. Mieux vaut éviter de faire faire ses exercices par "un bon samaritain" attendri par nos battements de cils.
Le travail de groupe
De retour face à mon écran, je constate qu'une de mes voisines a décidé d'ignorer l'avertissement. Tant pis pour elle : je sais bien qu'elle n'ira pas très loin comme ça. Enfin, j'espère.
A mesure que l'heure tourne, je réalise avec soulagement que je ne suis pas la seule à manier pour la première fois les "touch", "mkdir" et autres mots composant le délicieux langage du Terminal. Gagnant en assurance, je noue une alliance informelle avec deux de mes voisins, dont le niveau me semble proche du mien.
Alexandre, 19 ans, a toujours aimé l'informatique mais n'aurait pas pu accéder à une école classique. Il vient de louper son bac et espère bien qu'une admission à 42 lui évitera de repiquer sa terminale ES. Valentin, 28 ans, tente sa chance ici après des années de petits boulots à droite et à gauche. Il admet partir de zéro, mais semble bien décidé à s'accrocher. Nous résolvons sans trop de difficultés les deux premiers exercices.
"Git m'a tuer"
Encore faut-il pouvoir rendre sa copie. N'ayant personnellement jamais entendu parler de "système de contrôle de version", je découvre Git. En gros, c'est un outil qui permet de travailler à plusieurs sur un même projet (en l'occurrence, un exercice), et de soumettre chacun différentes versions (en l'occurrence, nos copies) qui peuvent ensuite éventuellement être compilées.
Deux heures plus tard, je suis au bord de la crise de nerfs, mais n'ai toujours pas soumis le moindre exercice : mon ami le Terminal me refuse obstinément ses faveurs, mes petits camarades sèchent.
Je harponne d'un air désespéré et avec force battements de cils – comment ça, je bafoue mes principes ? – le geek chevelu qui parcourt les rangées vêtu du t-shirt "staff". Lui et ses rares camarades ont pour consigne de nous aider seulement en cas de problème sérieux. Je comprends rapidement qu'il ne considère pas mon problème comme sérieux. A 19 heures, je finis par jeter l'éponge : on verra ça demain.
La "Moulinette"
Le lendemain, à 8h45, fraîche comme une rose, je me rends compte que je passe pour une tire-au-flanc. Mes petits camarades sont tous restés jusqu'à minuit et demi pour avancer le plus possible. Je réalise mon erreur : ils ont maintenant deux exercices d'avance sur moi et je vais devoir me débrouiller pour rattraper mon retard.
Valentin, à voix basse, me glisse : "T'as vu, il y a une Moulinette qui est tombée…" La Moulinette, c'est le système de correction automatique de l'école. Elle balaie les dossiers où nous devons impérativement stocker nos rendus d'exercice.
La Moulinette est impitoyable, et s'arrête à la première erreur : tant pis si les exercices suivants sont justes, ils ne seront pas pris en compte. La moindre faute, fut-elle de forme, comme une erreur dans le nom du dossier de rendu, est fatale. Sur mes 800 camarades, 600 ont écopé d'un zéro.
Une statistique qui me permet de relativiser mon résultat, tombé, lui, à la Moulinette le deuxième jour. Pour cinq exercices soumis sur les onze que compte l'énoncé (car oui, j'ai dompté Git), j'écoperai finalement d'un 2. Dommage que je doive déjà partir : j'avais une belle marge de progression.
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