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Québec : au coeur de la contestation avec les acteurs de la "révolution érable"

La grogne des Québécois a débuté en février dans les universités. Les étudiants protestaient contre la hausse des frais de scolarité. Elle s'est amplifiée ensuite avec le vote d'une loi 78 qui encadre le droit de manifester. Conséquence, depuis 45 jours, tous les soirs les Québécois descendent dans la rue avec des casseroles pour se faire entendre.
Article rédigé par franceinfo
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C'est devenu une sorte de
rituel local.  Peu après 20 heures vers
l'entrée de la station de métro de Berri Uqam, là où se trouve l'université de
Montréal, un petit groupe se rassemble. Puis, le petit groupe grossit, et
grossit encore pour atteindre suivant les soirs, et suivant la pluie, plusieurs
centaines de manifestants. 
Particularité, tous sont munis de casseroles et autres ustensiles de
cuisine. Leur objectif, taper et faire ainsi le maximum de bruit sur la place
Dupuis. Cette petite place plantée d'arbres et d'herbe est devenue le centre
incontournable pour ceux qui s'opposent à la loi 78. 

Cette loi interdit toutes les manifestations de plus de 49 personnes, si ces
dernières n'ont pas au préalable fait l'objet d'une demande aux autorités.
Conséquence, cela fait près de 45 fois que soir après soir, des manifestations "illégales"
sont organisées.

Manifestations illégales car une fois une sorte de quorum virtuel atteint, et après un ultime avertissement
lancé par la police qui rappelle en français et en anglais l'illégalité de
l'attroupement, les manifestants se mettent à marcher au pas de charge dans
toute la ville durant des heures et des heures dans une sorte de jeu de chat et
de la souris avec les autorités.


La solidarité à chaque coin de rue

Les mauvaises langues disent que ces quelques centaines de personnes représentent
finalement peu de monde dans cette ville de 1.650.000 habitants. Certes. Mais en
l'occurrence, ce n'est pas le nombre qui importe dans cette affaire.

Pour s'en convaincre il suffit juste de
regarder et de de voir tous ces petits carrés rouges qui symbolisent le
mouvement étudiant et qui fleurissent un peu partout dans la ville. Ici sur le
rebord d'une fenêtre, là accroché à un sac à dos, ici encore sur le pare-brise
d'une voiture.

Il suffit d'observer lorsque
le cortège s'avance, les fenêtres des maisons s'ouvrir pour laisser place à des
habitants tout sourire qui du haut de leurs balcons applaudissent tout en
lançant des V de la victoire.
Il suffit encore d'écouter
les clients des terrasses de restaurants qui subitement se mettent à taper avec
fourchettes et cuillères dans le fond de leurs assiettes à l'approche des
marcheurs de la nuit.

Il suffit enfin de suivre ce
professeur connu sur les réseaux sociaux sous le nom d'Anarchopanda, qui ne se
déplace jamais sans son costume noir et blanc, et qui à chacune de ses
initiatives rassemble un large public. Anarchopanda dont l'un des combats
consiste à faire annuler la loi qui interdit de manifester avec un masque. 

Etonnante donc, cette
vague de désobéissance, d'autant plus que les Quebécois sont assez respectueux des
règles. Traverser sans attendre que le feu soit vert peut vous valoir un rappel
à l'ordre des policiers. Alors défier cette même police avec ces
manifestations dites "illégales", cela en dit long sur l'importance
de cette révolution d'érable.  A cela
s'ajoute cette réelle notion de liberté si chère  au continent américain et que possèdent au
plus profond de leurs cœurs nos "chers cousins" Québécois.

Bilan, ce qui n'aurait pu
être qu'une grogne passagère, s'est transformé en véritable fronde contre le
gouvernement, mais aussi contre la corruption accusée de régner dans
l'attribution de certains marchés de crèches ou autre contrats publics. 

C'est ainsi que le cocktail
doux au départ s'est petit a petit transformé en cocktail explosif et sonore.
La loi 78 qui interdit de manifester est devenue la loi à abattre. Le slogan
est sur toutes les lèvres, dans toutes les manifs, il se retrouve écrit sur les
murs, c'est maintenant un hymne de ralliement qui unit ceux qui pensent que "la
loi spéciale, on s'en calisse !", comprenez "on s'en fout".

Des nuages sur le mouvement

Toutefois le vent de liberté
qui souffle sur le Québec n'est pas du goût de tout le monde. Les émissions de
talkshow et de direct avec les téléspectateurs rappellent que cette
contestation agace aussi. La peur du "communiste" n'est pas loin.
Plus particulièrement visé, le leader de la grogne étudiante, Gabriel Nadeau
Dubois. Le jeune homme très charismatique n'a pas que des amis. Les menaces
qu'il a reçues ont en tout cas été prises très au sérieux par la police qui enquête. 

Il faut dire tout d'abord que
Gabriel Nadeau Dubois bataille lui sur un autre front, celui des frais des
droits universitaires. C'est de là que tout est parti.  Le gouvernement de Jean Charest envisage de
faire passer les frais de scolarité de près de 2.200 dollars canadien à plus de
3.700 dollars. 

En trois mois, Gabriel Nadeau
Dubois est donc devenu le porte parole de "la classe". C'est le nom
de l'association étudiante dont on peut suivre les actions notamment sur Twitter et qui mène la lutte. Gabriel Nadeau Dubois est celui que l'on voit sur
toutes les télés, celui qui doit mobiliser, calmer, négocier pour tenter d'obtenir
gain de cause. Or, à ce jour, et malgré tous ses efforts, aucune avancée n'est
à constater.  Le conflit dure, divise les
universités entre le camp des "rouges" pro grève et le camp des
"verts" qui aimeraient reprendre le travail.

A cela s'ajoutent de multiples
pressions, notamment économiques. Sont évoqués successivement, la baisse de
fréquentation touristique, le bon déroulement des festivals de l'été dont le
fameux festival du rire de Montréal ou encore le grand prix de F1 qui doit
avoir lieu ce week-end et dont une journée portes ouvertes à déjà été annulée.
Pression économique et enjeu politique. 

Le gouvernement de Jean
Charest, expliquent certains manifestants, préfère jouer le bras de fer avec le
mouvement étudiant en espérant qu'à terme, l'opinion change de camp, fatiguée
par ce conflit qui a commencé il faut le rappeler en février dernier.  Sans compter que cette bataille permet de
faire oublier les autres griefs évoqués plus haut, comme la fameuse corruption
ou plus simplement la crise économique qui touche aussi le pays.

François Hollande, un espoir québécois

Alors, c'est vrai que cette
étrange ambiance à un petit arrière goût de mai 68. Contestation étudiante, pouvoir
malmené, grogne qui dépasse le seul seuil des universités, les ingrédients
semblent être là. Il faut toutefois y ajouter, le vent de sable du printemps
arabe qui souffle également de ce coté de l'atlantique. Il faut dire que la
contestation tout comme en Tunisie vit avec le net et les réseaux sociaux,
comme Facebook ou Twitter. C'est ainsi que tout au long de la journée, en
guettant #ggi (grève général illimité), #laclasse ou encore #manifencours on
peut a tout moment découvrir l'annonce d'une bataille de polochons et
d'oreillers, l'annonce d'un rassemblement en vue d'une action médiatique.

On est
surpris d'y lire qu'un soutien du nouveau Président de la république français
serait le bienvenu. Une attente qui n'est pas isolée, il paraît que la victoire
de François Hollande a suscité un réel espoir chez les manifestants. Elle a
permis aux grévistes de penser que ce qui est possible dans l'hexagone doit
pouvoir l'être aussi au Québec.

 

 

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