"En ouvrant le collège vers l'extérieur, les élèves acquièrent autre chose", selon un enseignant
La ministre de l'Education veut encourager les enseignants de différentes matières à travailler sur des projets communs pour motiver les collégiens. Francetv info a interrogé un professeur qui a déjà mis en œuvre cette pratique.
"Le vrai problème qu'on a aujourd'hui au collège, c'est que les élèves s'ennuient." La ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, n'a pas mâché ses mots en présentant, mercredi 11 mars, sa réforme du collège. Une des propositions du texte en particulier semble pensée pour secouer les méthodes d'enseignement et remobiliser les élèves : à partir de la 5e, les collèges seront encouragés à introduire des enseignements interdisciplinaires, fruits de la collaboration entre des enseignants de plusieurs matières, et qui pourront constituer jusqu'à 20% des heures de cours.
Une idée qui doit "permettre aux élèves de sortir de l'abstraction d'un certain nombre de disciplines", espère la ministre. Certains professeurs l'ont déjà mise en pratique dans leur établissement. Francetv info a interrogé l'un d'eux, Etienne Barraux, professeur d'éducation physique et sportive au collège Georges-Politzer, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis).
Francetv info : A quoi ressemblent ces projets que vous mettez en place avec vos collègues d'autres disciplines, et comment s'intègrent-ils dans le cours de l'année ?
Etienne Barraux : Pour vous donner un exemple, l'an dernier, nous avons emmené des élèves de 4e en Corse pour faire le GR20 [un célèbre sentier de randonnée]. On a donc essayé d'utiliser le programme pour rebondir sur ce fil rouge tout au long de l'année. En français, ils avaient un chapitre sur la description : on leur a demandé d'imaginer le paysage corse. En technologie, un des objectifs de l'année est la réalisation d'un objet : le professeur leur a fait fabriquer des lampes frontales. Le but est que les élèves se sentent concernés toute l'année. L'objet que vous avez fabriqué en 4e a sans doute fini au fond d'un tiroir. Là, ils ont fait quelque chose qu'ils ont pu utiliser par la suite.
Les personnes qui critiquent la réforme estiment que ces projets interdisciplinaires se feront au détriment de la maîtrise des matières fondamentales. Est-ce une crainte que vous partagez ?
Bien sûr que c’est un risque auquel on pense. On peut craindre qu'en sortant de la classe pour certains projets, on perde l'attention des élèves. Mais je pense qu’il faut leur faire confiance. Ce n'est pas parce qu'on aborde le programme différemment que les gamins n'apprendront rien. En ouvrant le collège vers l'extérieur, vers la société, ils acquièrent autre chose, une forme de savoir-vivre.
Actuellement, on prépare des élèves de 3e à rallier Bruxelles, depuis Paris, à vélo, en une semaine, début juin, avec mes collègues d'histoire, d'art plastique et de musique. Je les entraîne au vélo et, en parallèle, ils élaborent une exposition itinérante qu'on présentera dans des écoles primaires, sur le chemin. L'idée nous est venue en réaction à la forte abstention aux dernières élections européennes. On veut faire comprendre aux élèves la naissance de l'Europe, et à quoi sert la citoyenneté, en les emmenant visiter des institutions : ils se sont déjà rendus au Sénat et à l'Assemblée, ont rencontré la députée [communiste] Marie-George Buffet...
On ne l'a pas fait exprès, mais après ce qui s'est passé en janvier, le projet est encore plus dans l'air du temps. Et ça leur a servi à soulever des questions qu'ils ne s'étaient jamais posées avant. Un élève a par exemple fait son stage de 3e au cabinet du président du conseil général. Je ne pense pas qu'il aurait eu cette idée sans ce projet.
La réforme entend généraliser ce type d'initiatives, pensez-vous que ce sera facile à mettre en place ?
La ministre a annoncé des formations, mais je pense qu'il faudra du temps pour que tous les professeurs s'approprient cette pratique. Dans notre établissement, les enseignants sont venus à l'interdisciplinarité petit à petit. Aujourd'hui, on doit être une dizaine, sur soixante enseignants, à participer à ce type de projets. Mais certains préfèrent appliquer le programme stricto sensu, et c'est leur liberté pédagogique. On voudrait mettre en place un partenariat avec un collège de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) pour notre projet à vélo, mais là-bas cette dynamique interdisciplinaire n'existe pas encore, et c'est un frein.
L'autre limite est que ça prend beaucoup de temps de travail supplémentaire, de préparation des activités, de concertation avec les collègues, d'organisation pour aborder les bons chapitres au bon moment. On espère que la réforme nous laissera plus de temps et de moyens pour nous organiser. Mais ce travail permet aussi d'être plus solidaire avec les collègues. En particulier à La Courneuve, dans un futur établissement Rep + [le degré le plus élevé des dispositifs d'éducation prioritaire], où le fait de pouvoir échanger sur des choses positives, et pas seulement sur ce qui ne va pas, donne envie d'aller de l'avant, et aide certains profs à tenir. Et les élèves voient des enseignants motivés et qui travaillent ensemble. Pour eux aussi, c'est valorisant.
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