GRAND FORMAT. "On met des pansements" : après cinq ans comme famille d'accueil, elle envisage de raccrocher
Moi je suis au travail en permanence". Attablée devant un café, à l'ombre dans son jardin d'une petite ville d'Ile-de-France, le mot "épuisement" vient spontanément à la bouche d'Isabelle*. A 57 ans, cette assistante familiale aux traits fins et aux yeux rieurs a décidé de mettre fin à son activité. "Si j'arrête, ce n'est pas du tout à cause des jeunes dont je m'occupe. C'est ce système qui m'essoufle", s'excuse-t-elle, en ce lundi après-midi de juin. Ce "système" dont elle parle est composé de plus de 38 000 assistants familiaux chapeautés dans chaque département par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). S'y ajoutent 2 500 à 3 000 assistants familiaux employés par des associations qui y sont habilitées, comme c'est le cas pour Isabelle.
"Je vais passer le relais", explique-t-elle, clôturant par cette décision un chapitre d'une vie qui semble en avoir contenu mille. Passer le relais relève pourtant d'une mission impossible dans ce secteur qui peine à recruter, alors que les trois quarts des assistants familiaux en exercice sont âgés de 55 à 65 ans. Entre les départs à la retraite, les licenciements et les démissions, les 27 départements qui ont répondu au dernier rapport de l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) étaient tous déficitaires en candidats. Isabelle, elle, exerce le métier d'assistante familiale depuis cinq ans. Le temps de quelques jours, quelques semaines ou quelques années, une petite dizaine d'adolescents ont posé leurs valises dans sa maison couverte de lierre, face à une gare RER en banlieue parisienne. Arrivée depuis quatre mois, Sarah*, 15 ans, sera la dernière à être accueillie par Isabelle, son mari Jérôme* et leur cadette qui vit avec eux.
*Les prénoms ont été changés à la demande des intéressés.
Donner une place
La dynamique quinquagénaire, au chignon lâche, fonce à vive allure sur une nationale en Seine-et-Marne, vitres grandes ouvertes. Sarah l'a déjà appelée plusieurs fois. La jeune fille l'attend devant la sortie du collège, situé à une quinzaine de kilomètres du domicile de la famille. A l'approche du véhicule, sa silhouette se détache d'un groupe de jeunes à vélo. D'un pas décidé, elle grimpe dans la voiture. "T'as vu ? Un garçon m'a maquillée aujourd'hui, juste un petit peu", lance l'ado tout en se regardant dans le rétroviseur. Les anecdotes de la journée et l'oral blanc du brevet qui approche rythment la conversation. "C'est ce restaurant dont je voulais te parler !", désigne Sarah, quand la Twingo traverse le centre de la petite commune de 8 000 habitants. "On ira si tu as ton brevet !" répond Isabelle du tac au tac.
Les enfants qu'Isabelle a accueillis chez elle sont prévenus : "On n'a pas à gagner ma confiance, elle est acquise jusqu'à ce qu'on l'entame". C'est sur ce contrat que s'établissent les liens entre l'assistante familiale et les jeunes de passage. Les adolescents jouissent ainsi d'une certaine liberté – ils peuvent inviter des copains ou rester seuls dans la maison –, à condition de respecter les horaires imposés, d'être assidu et ponctuel à l'école. Et de se couler dans le rythme, un brin bohème, de la famille. La mise en route nécessite parfois de l'huile dans les rouages. Toujours au volant de sa voiture d'occasion, Isabelle décrit, amusée, l'une des petites "broutilles" du quotidien, révélatrice des difficultés à construire un lien pas forcément naturel.
Au printemps, peu après son arrivée, Sarah n'est pas rentrée à la maison à 20 heures, comme c'est pourtant la règle. Impossible de la joindre au téléphone. Inspirée, l'assistante familiale est allée à pied jusqu'au banc où se réunissent les jeunes du quartier, retrouvant l'adolescente. Ramenée manu militari à la maison, "elle est montée dans sa chambre et j'ai fait ma mère, à fulminer dans la cuisine", se remémore Isabelle, en tirant sur sa cigarette électronique toujours suspendue autour de son cou. "Sarah a été très intelligente. Elle est descendue et elle m'a dit : 'Viens, on va aller promener le chien'." Il a fallu reposer les règles :
Je lui ai expliqué que je m'inquiétais, elle a compris et on est rentrées bras dessus, bras dessous.
Depuis, cette marche quotidienne de 30 à 45 minutes dans le quartier est devenue un rituel. Un moment privilégié que Sarah réclame : "Dans ma tête, Isabelle m'a aidée à mettre les choses au clair. C'est pas toujours facile de dire ce qu'on pense." "Il y a beaucoup d'affection, beaucoup d'amour, un peu comme si j'étais une tante", renchérit Isabelle, qui n'hésite pas à parler de"famille de cœur" à propos de la petite douzaine d'adolescents accueillis ces cinq dernières années.
Devenir assistante familiale, Isabelle y songeait "depuis vingt ans". Il a suffi d'une "petite graine" plantée dans son esprit par un ami artiste, lui-même enfant placé, pour lui donner l'envie d'aider. Pour réaliser ce projet, Isabelle a attendu que sa fille aînée ait quitté le domicile et que sa cadette soit âgée de 15 ans. Aidée de son mari Jérôme, elle a mis un terme en 2007 à son statut pour devenir assistante maternelle. Fini les tournées à l'étranger, les projets de disques, les concerts ! Pendant sept ans, l'hyperactive se retrouve à s'occuper de tout-petits, accroupie dans son salon pastel transformé en crèche. Une étape indispensable, selon elle, pour concrétiser son projet de devenir famille d'accueil. Ensuite est venue la demande d'agrément à la Protection maternelle infantile (PMI). Neuf mois plus tard, en septembre 2012, Joséphine* franchissait la première la porte de la maison d'Isabelle.
L'adolescente arrivée à l’âge de 17 ans est restée deux ans chez eux, avant de voler de ses propres ailes vers Montpellier pour débuter ses études. "Une rencontre incroyable", qui a marqué toute la famille. Comme Sarah, la jeune fille occupe désormais une place à part. Son nom revient régulièrement dans la conversation et un portrait d'elle est punaisé sur la porte du frigidaire. Le jour de la fête des pères, "elle met un point d'honneur à être la première à appeler – avant nos filles – comme pour mon anniversaire", confie Isabelle, émue.
Ce lien profond explique en grande partie pourquoi les placements en familles d'accueil restent privilégiés. Selon le ministère des Solidarités et de la Santé, ils ne cessent d'augmenter "depuis la fin des années 1990" et ce, malgré une augmentation de 50% (entre 1998 et 2015) de la dépense moyenne nécessaire au placement d'un enfant. Sarah affirme ressentir une sécurité affective depuis qu'elle a franchi la porte de la famille d'Isabelle. "Je suis plus sereine, plus rassurée. J'ai moins l'impression d'être une chose qu'on déplace de droite à gauche", explique-t-elle en décrivant les difficultés rencontrées lors de son précédent placement.
Pendant un an et demi, la jeune fille a vécu avec sept autres enfants, dont ceux de son assistante familiale. Chez Isabelle, elle apprécie le fait d'avoir sa propre chambre sous les combles, aux allures de cocon, où personne ne vient la déranger. Sous une fenêtre de toit avec vue sur les nuages, un lit, un grand miroir sur pied, une commode où sont soigneusement alignés ses produits de beauté, composent son antre. Malgré cela, Sarah, qui a gardé contact avec sa famille, notamment ses deux petits frères, rappelle que ce n'est que temporaire. Quand on l'interroge sur son avenir, la jeune fille au caractère enjoué n'hésite pas : "Pourquoi pas retourner chez moi ?" Avant de tempérer : "Si avec ma mère ça va mieux…"
Dans huit cas sur 10, les enfants sont placés à la suite d'une décision judiciaire et les liens avec les parents sont maintenus. A condition qu'ils n'aient pas été déchus de leur autorité parentale, ceux-ci restent décisionnaires dans la vie de leurs enfants, qu'il s'agisse de signer des documents relatifs à leur scolarité ou de décider que c'est le moment d'aller chez le coiffeur. Isabelle assure être "vigilante" sur ce point. "L'enfant est toujours en conflit de loyauté" vis-à-vis de son parent, explique-t-elle, et Sarah pourrait, sur décision judiciaire, réintégrer sa famille du jour au lendemain.
Régulièrement, je lui parle de sa maman, pour la faire exister dans sa tête.
Pendant le temps que doit durer le placement, "le but, c'est d'intégrer un jeune dans sa propre famille et de tout mettre en œuvre pour l'accompagner au mieux". C'est chose faite pour Sarah, autorisée à déverrouiller le portable pour répondre à la mère d'Isabelle. "Ta mère nous attend à la maison et vient manger ce soir", l'informe-t-elle en raccrochant. Direction les courses.
Un métier très particulier
J'ai un goûter en cours d'espagnol demain. Il faut que j'emmène du jus d'orange." Dans le supermarché, Sarah traîne des pieds derrière le chariot. "Je n'aime pas les courses", soupire l'ado tandis qu'Isabelle s'éloigne à la recherche de sacs-poubelle. L'assistante familiale peste d'avoir oublié sa liste, tout en arpentant d'un pas énergique les rayons. Pour subvenir aux besoins de Sarah, Isabelle reçoit des "indemnités d'entretien" : 434 euros par mois pour couvrir, en théorie, les repas de l'enfant et les charges de la maison. Soit 14 euros par jour. Au total, Isabelle perçoit 1 576 euros, un salaire versé par l'association qui l'emploie. Elle a aussi pu conserver son activité de professeure de chant, ce qui n'est pas possible pour la grande majorité des assistants familiaux.
D'autres vont considérer qu'ils gagnent seulement 1 142 euros et c'est vraiment quelque chose que je ne comprends pas. Ces enfants entrent dans le fonctionnement de la maison, comme les membres de votre famille.
Il n'est d'ailleurs pas rare que les jeunes accueillis chez Isabelle se plaignent que leur dernière famille d'accueil les ait reçus "pour l'argent". Depuis 2005 et la professionnalisation de l'activité, un barème, variable selon les départements et les structures d'accueil, échelonne les salaires. Aux "indemnités d'entretien" s'ajoutent donc une "fonction globale d'accueil" et un montant lié au nombre de jours que l'enfant a passés au domicile de l'assistant familial.
Avant même d'arriver chez Isabelle, les adolescents placés lui demandent combien ils seront à la maison. Ils savent que le salaire est progressif en fonction du nombre d'enfants accueillis : 1 854 euros brut pour deux enfants, 2 537 euros pour trois. La limite légale est fixée à trois enfants par assistant, même si un quatrième peut être accueilli pour une courte durée. Ces accueils dits "en relais" sont souvent proposés en urgence aux familles et sont rémunérés selon un tarif journalier fixé à 48 euros, poussant certaines à cumuler.
Isabelle préfère, elle, mettre les pieds dans le plat. "Quand un jeune me demande combien je gagne, je lui dis et s'il ne me croit pas, je lui montre ma fiche de paye. Je n'en fais absolument pas mystère", assure-t-elle. Cette transparence lui permet de poser des bases saines avec les jeunes : "C'est important parce que je me repose sur l'aspect professionnel pour pouvoir transmettre les règles de vie, les horaires, mais aussi pour expliquer l'inquiétude que je peux avoir, le souci que je me fais s'ils ratent l'école ou s'ils sèchent, ou si je suis appelée trop souvent par le collège." L'assistante familiale leur explique qu'elle est employée par une structure pour les accueillir. En échange, elle doit répondre aux missions précisées dans le "projet personnel de l'enfant", établi dès le début d'accueil entre les parents et un éducateur, et auquel l'assistant familial doit se plier.
L'intégration de Sarah, aussi naturelle et spontanée soit-elle, repose ainsi sur un contrat de travail, avec une date de début et une date de fin. Reste que la frontière est mince entre la vie professionnelle et la vie personnelle d'Isabelle. Les deux se confondent aisément, comme ce lundi soir, dans le jardin couvert de fleurs. Isabelle et son mari s'affairent en cuisine, Sarah finit de préparer la quiche, tout en discutant avec la mère d'Isabelle de leurs futures vacances, ensemble, dans le Sud de la France. Cette dernière semble parfois oublier que la jeune fille n'a pas toujours partagé leur quotidien. Elle apostrophe Sarah : "Tu sais où est rangée la nouvelle nappe ?" L'adolescente sourit : "Mais je n'étais pas là quand vous l'avez achetée !"
Pour "veiller au bien-être, au développement, à la socialisation et à la réussite de l'enfant", Isabelle a suivi une formation initiale de 60 heures, également validée par son mari. Pendant son premier placement, elle a bénéficié d'une formation complémentaire de 240 heures. Cette férue de psychologie, chez qui les livres de Françoise Dolto et de Boris Cyrulnik peuplent la bibliothèque, a adoré la formation, même si les interventions des autres assistants familiaux "ne volaient pas plus haut que le ras des pâquerettes". Ces échanges et les récits des enfants sur leurs précédents placements lui laissent un goût amer.
Les gens font ce travail pour de très mauvaises raisons parfois, comme l'argent, le fait de rester chez eux ou parce qu'ils ne trouvent pas de travail ailleurs. Je pense même que c'est plus de la moitié des assistants familiaux que j'ai rencontrés.
Mais Isabelle pointe surtout le manque de reconnaissance de cette profession naissante. Si elle a rédigé un mémoire et passé des examens, aller jusqu'au diplôme n'est en effet pas obligatoire pour pouvoir exercer le métier d'assistant familial. L’absence de diplôme oblige seulement à renouveler son agrément tous les cinq ans. Selon le rapport de l'ONED de 2015, seuls 18,6% des assistants familiaux en exercice avaient ainsi achevé une formation. "Où est-ce que ça existe, un métier pour lequel le diplôme, ce n'est pas important ? Et où l'on n'est pas payé plus si on en passe un ?", s'agace-t-elle, en regrettant aussi le manque de "contrôle continu".
La charge mentale
On met des pansements… On continue à être des rustines", lâche celle qui imaginait davantage d'accompagnement pour gérer les situations sensibles auxquelles elle est exposée. Les derniers placements l'ont d'ailleurs chamboulée : "Ce que vous affrontez, c'est sans anesthésie et j'ai perdu une forme d'insouciance", confie-t-elle, la voix cassée par l'émotion. "C'est cette réalité que l'on ne voit pas et qui peut être super sombre, super glauque", avoue-t-elle, sans s'attarder davantage sur les cas de ces mineurs isolés ou handicapés, aux histoires de vie tragiques.
Même si Isabelle s'y était préparée, le récent séjour d'une adolescente a brusquement remis en question son engagement de vingt-cinq ans. Elle se rappelle le coup de téléphone "pour un placement en relais, un vendredi de mars à 14 heures, pour une arrivée le soir même, sans plus d'informations". Toujours prête à ouvrir sa porte sans prendre connaissance des dossiers, l'assistante rencontre la jeune fille, qui doit rester 13 jours. La rencontre dure quelques minutes : "Ça a été terrible. Quand je l'ai vue, je me suis dit que je n'avais jamais eu affaire à un tel profil", souffle Isabelle, qui décrit une enfant atteinte d'un "trouble psychiatrique". La mineure au lourd dossier investit dans la foulée la maison. Dès le lendemain, après une visite chez une amie, elle ne rentre pas au domicile d'Isabelle, puis finit aux urgences à la suite d'une bagarre. A peine le pied posé au lycée, l'élève est exclue pour trois jours.
Pendant les treize jours du placement, la famille retient son souffle. Jusqu'à la veille du départ. Cet après-midi-là, Isabelle enchaîne les cours au conservatoire. Quand Jérôme rentre, il découvre leur séjour pulvérisé. La fenêtre de la salle à manger est explosée. "Ils ont piqué de l'argent, la tablette, l'ordinateur. A part des choses très ciblées, rien n'avait été bougé, c'est comme si les gens s'étaient dit 'ils sont gentils, n'abîmez rien’". Jérôme et Isabelle ne sont pas à l'aise en évoquant ce cambriolage : ils ne veulent pas accuser la jeune fille "sans preuves". Mais ils laissent échapper que ce jour-là, la jeune fille s'est absentée du lycée toute la journée, sauf précisément à l'heure du cambriolage. "Avec moi, rien ne s'était passé : elle n'avait pas été agressive ni violente, à mon égard ou auprès de mes enfants, de mon chien", défend Isabelle, en triturant le cordon de sa cigarette électronique.
Depuis cet épisode, les serrures ont été changées et l'assistante familiale, qui a perdu beaucoup de poids, dort mal. Ce mardi matin, dans la cuisine, Isabelle parle d'une "hyperanxiété absolue" qui l'empêche d'ouvrir sa porte de nouveau "à quelqu'un [qu'elle] ne connaît pas". Pour son mari, c'est un "accident" dans une "réussite" : "Elle arrête à cause de ça, parce que la confiance s'est rompue".
J'ai le sentiment, dans l'ensemble, d'avoir été un tuteur de résilience.
L'ambiance a changé chez Isabelle, assure Sarah, qui était déjà venue passer quelques week-ends chez eux. "J'étais très triste pour elle. Sa porte était toujours ouverte et là, elle a dû la changer". Malgré ce traumatisme, l'assistante a promis à l'adolescente qu'elle pourrait rester autant de temps que nécessaire. Mais la suite est remise en question. D'un coup, la charge de l'accueil est venue se heurter aux cours de chant qui s'accumulent, aux problèmes classiques d'une vie de famille, à la gestion de deux chambres d'hôtes et au manque de vacances.
"Je suis tout le temps en situation de travail, c'est hyper compliqué, expose l'ancienne fumeuse, qui tournait à deux paquets par jour. Je peux être appelée à n'importe quel moment si [Sarah] se blesse, si elle n'est pas en cours. La charge mentale, c'est moi qui l'ai". On est mardi midi, c'est l'heure de partir au cheval. Après une coupure de quinze ans, Isabelle s'est remise à monter quatre fois par semaine. "L'équitation, c'est le seul moyen pour moi de débrancher", explique la palefrenière, en préparant l'animal dans l'écurie située à 15 minutes de son domicile.
Elle y fait le vide, repoussant des inquiétudes permanentes, pour ses proches et la petite dizaine d'enfants accueillis. Elle a gardé contact avec la plupart d'entre eux, les convie à des déjeuners dans le jardin. "Ce sont des pensées qui s'ajoutent, qui se superposent en permanence. J'ai tellement de chagrin pour eux, je suis une vraie éponge", reconnaît-elle. A sept ans de la retraite, elle estime désormais ne plus pouvoir s'investir autant : "Là, si j'ai un nouvel accueil, je ne suis pas sûre de ne pas passer à côté de ce jeune", confie-t-elle avant d'entrer dans la carrière.
Pendant une heure, Isabelle alterne sous un soleil écrasant trot, galop et virages serrés. A la descente de monture, le moment se révèle propice aux confidences : "Je pense qu'on répare des choses de son histoire personnelle, on a tous nos croix, plus ou moins lourdes", laisse-t-elle échapper en conduisant le cheval dans le box. La prof de chant passe vite sur l'absence de son père et le mal du pays de sa mère portugaise. Elle évoque son combat contre l'anorexie et un mal-être qui lui a valu, plusieurs fois, de vaciller. "J'ai le sentiment, dans l'ensemble, d'avoir été un tuteur de résilience. C'était ce qui m'animait, d'offrir à ces enfants un espace, un lieu où poser leurs valises, se ressourcer et respirer", confie-t-elle en quittant le centre équestre. A l'heure de se dire au revoir, ses yeux partent dans le vague : "Si j'avais des regrets, ce serait de me dire qu'il y a d'autres rencontres à faire. J'y pense parfois". Alors quand le placement de Sarah s'arrêtera, Isabelle souhaite proposer des cours de chant dans des maisons d'arrêt pour femmes. D'autres rencontres et d'autres inquiétudes.
Texte : Marion Bothorel
Photos : Yann Thompson