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Vidéo Vingt ans après la mort de Marie Trintignant, "on ne peut pas continuer à éduquer les garçons à être des féminicidaires", dénonce une historienne

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Article rédigé par franceinfo
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Envoyer des hommes en prison ne réglera pas le problème des féminicides, estime Christelle Taraud, spécialiste des questions de genre et de sexualité. Selon elle, c'est l'éducation des garçons qui va permettre de les éradiquer.

Vingt ans après la mort de Marie Trintignant, tuée par les coups de son compagnon, le chanteur Bertrand Cantat, Christelle Taraud, historienne et spécialiste des questions de genre et de sexualité, a invité, mardi 1er août sur franceinfo, "la société" à "prendre conscience qu'il y a un énorme problème d'éducation" des "garçons" en France.

>> Vingt ans après la mort de Marie Trintignant, le traitement des féminicides et la lutte contre les violences conjugales ont considérablement changé

La mort de la comédienne sera le déclencheur d'une prise de conscience collective de la société. Le terme de "féminicide" s'impose dans le débat. Mais plus de 3 000 femmes sont encore mortes sous les coups de leurs conjoints depuis la disparition de Marie Trintignant. "On ne peut pas se scandaliser comme nous le faisons aujourd'hui que des femmes meurent de violence féminicide et en même temps continuer à éduquer les garçons à être" des "féminicidaires", s'est insurgée l'historienne. Selon elle, "ce n'est pas en envoyant des hommes en prison qu'on réglera le problème".

franceinfo : La mort de Marie Trintignant est-elle un basculement dans la société française ?

Christelle Taraud : C'est un basculement important. Tous les pays ont leur affaire. Mais en réalité, il faut toujours connecter la mort de Marie Trintignant à une affaire précédente, celle de la mort particulièrement violente de Sohane Benziane à Vitry-sur-Seine en 2002. C'est dans cet électrochoc que produisent en fait ces deux meurtres de femmes très différentes, qui viennent d'endroits différents, qui sont issues de milieux différents, mais qui meurent selon la même logique, qu'on a vraiment un point de rupture. Le début de quelque chose qui va nous conduire finalement, 20 ans plus tard, enfin, à la reconnaissance de leur mort réciproque comme féminicide. Mais ça a été très, très long. On a beaucoup prêché dans le désert parce qu'on était assez peu prise au sérieux en réalité, aussi bien par les pouvoirs publics que par les médias.

Pourquoi à l'époque, on n'employait pas le mot féminicide ?

Le terme de "crime passionnel" est un terme ancien qui est lié à l'émergence d'une presse de masse au XIX siècle. C'est lié aussi à un contexte de très grande coercition contre les femmes : le Code civil, l'article 213 qui dit que la femme doit obéissance à son mari. La femme est considérée comme une propriété de l'homme.

"Le féminicide est un crime de propriétaires parce que, ce qu'on observe dans l'affaire Marie Trintignant, c'est ce qu'on appellerait aujourd'hui une forme très pernicieuse de contrôle coercitif."

Christelle Taraud, historienne

à franceinfo

Sous couvert d'amour, on contrôle tout. Apparemment, la dispute de fin juillet démarre avec un SMS reçu du mari de Marie Trintignant qui rend fou littéralement le féminicidaire Bertrand Cantat.

En 2017, Bertrand Cantat était présenté en une des Inrocks, comme un personnage romantique. Comment l'expliquez-vous ?

Il y a cette image extrêmement problématique du "bad boy" qu'on a retrouvé aussi dans une autre affaire récente avec Johnny Depp. Il a été présenté finalement comme une sorte d'artiste maudit. Ça va jusqu'au fait de tuer, de manière extrêmement violente, sa compagne Marie Trintignant. Il a bénéficié non seulement de cette image très "romantisée", mais aussi d'une connivence masculine évidente, d'abord dans les médias et puis ensuite, dans la justice. Le juge d'application des peines qui le libère au bout de quatre ans en liberté conditionnelle tient des propos qui sont juste effarants et que plus aucun juge d'application des peines ne pourrait dire aujourd'hui.

"Le juge précise qu'on ne peut absolument pas considérer que c'est un meurtrier, encore moins un assassin. C'est un homme qui a eu un problème de parcours. C'est totalement hallucinant."

Christelle Taraud, historienne

à franceinfo

>> En 2019, des extraits de l'audition de Bertrand Cantat sont diffusés pour la première fois à la télévision

La volonté politique est suffisante aujourd'hui pour faire changer les choses ?

Jamais suffisante puisque l'objectif est quand même de construire une société d'égalité réelle et non pas formelle. Évidemment, nous n'en sommes pas encore là. Il y a de très nombreux domaines où l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas active aujourd'hui, donc il y a beaucoup de travail à faire.

Qu'est-ce qui reste à faire pour protéger les femmes victimes de violences conjugales ?

Ce n'est pas en envoyant des hommes en prison qu'on réglera le problème des féminicides, c'est en éduquant les garçons différemment. C'est un projet sociétal très, très important. On ne peut pas se scandaliser comme nous le faisons aujourd'hui que des femmes meurent de violence féminicide et en même temps continuer à éduquer les garçons à être sans coup férir des féminicidaires. La société doit prendre conscience qu'il y a un énorme problème d'éducation. C'est l'éducation qui va permettre d'éradiquer les féminicides.

Une loi contre les féminicides pourrait faire changer les choses ?

J'aimerais beaucoup. Nos voisins belges viennent de faire passer une loi très avant-gardiste. J'espère grandement que nous entrons dans une dynamique qui permettra à la France de voter une loi similaire.

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