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Affaires Nicolas Hulot et PPDA : "De la part d'un président de la République, c'est totalement irresponsable" de parler d'"inquisition", juge une plaignante

"Le mot "inquisition", depuis qu'il a été prononcé, me reste en travers de la gorge, c'est difficile de ne pas le voir comme une marque de mépris", estime la journaliste Clémence de Blasi, signataire d'une tribune dans "Le Monde" mercredi.

Article rédigé par franceinfo
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Emmanuel Macron lors d'une visite du chantier de l'autoroute A79, près de Moulins (Allier), le 8 décembre 2021. (LUDOVIC MARIN / POOL)

"De la part d'un président de la République, c'est totalement irresponsable", dénonce la journaliste et rédactrice en chef de Médiacités Lille Clémence de Blasi mercredi 8 décembre sur franceinfo, alors qu'Emmanuel Macron a dit en Conseil des ministres une semaine plus tôt qu'il ne voulait pas "d'une société de l'inquisition" même s'il voulait "faciliter" la libération de la parole. Clémence de Blasi, dont la plainte contre Patrick Poivre d'Arvor a été classée sans suite, a signé une tribune dans Le Monde avec 13 autres victimes pour déplorer les propos du président.

franceinfo : Pourquoi reprochez-vous à Emmanuel Macron d'avoir employé le mot "inquisition" en parlant des dénonciations de violences sexuelles ?

Clémence de Blasi : J'ai vraiment beaucoup de mal à comprendre ce mot. On est en quête d'un débat apaisé. On est des dizaines de femmes qui ont envie qu'on s'attaque enfin à ce sujet. Le mot "inquisition" veut dire quelque chose de précis, il renvoie à une période de l'histoire qui n'a absolument rien à voir avec ce que nous dénonçons aujourd'hui. Les mots ont un sens. Quand on est président de la République, on doit le savoir. Je ne comprends pas le rapport entre la parole qui se libère et l'inquisition. C'est vraiment faire un lien entre deux choses qui n'ont absolument rien à voir. J'ai du mal à comprendre comment on peut dire à la fois "on vous entend, c'est bien de parler" et "attention ne parlez pas trop fort". Pour moi, c'est une injonction contradictoire. Le mot "inquisition", depuis qu'il a été prononcé, me reste en travers de la gorge. De la part d'un président de la République, c'est totalement irresponsable. C'est difficile de ne pas le voir comme une marque de mépris. Il y a des termes qui sont inutiles et qui n'ajoutent rien au débat. Evidemment qu'on fait attention. Evidemment qu'on ne dénonce pas n'importe qui dans n'importe quelle condition. Il n'y a pas de chasse aux sorcières. On brandit ces termes-là pour étouffer en fait le débat, pour éviter de se regarder dans la glace. La parole a peut-être été entendue, désormais il faut des actes, il faut qu'on passe à l'étape d'après. Il ne suffit pas d'écouter et ensuite c'est terminé.

Le président dit aussi qu'il veut faciliter la libération de la parole. N'est-ce pas un gage de son engagement malgré l'utilisation du terme d'"inquisition" ?

C'est difficile de ne pas voir ça comme une fin de non-recevoir. "C'est bien les filles, on vous écoute, mais attention". Il ne peut pas y avoir de "mais attention", pas à ce stade-là. Si on nous écoute, il faut nous écouter vraiment et ne pas passer à autre chose dans les deux minutes qui suivent. (…) C'est très difficile dans ce domaine de fournir des preuves, on a conscience de ça, mais ça devrait être difficile aussi de faire comme s'il n'y avait rien quand nous sommes des dizaines à parler et à faire la preuve qu'il y a un mode opératoire commun. Nous racontons toutes la même histoire. Il y a une procédure.

"Que ce soit Patrick Poivre d'Arvor ou Nicolas Hulot, le mode opératoire est le même à chaque fois et ce n'est pas possible de faire comme si ça n'existait pas."

Clémence de Blasi, journaliste et rédactrice en chef de Médiacités Lille

à franceinfo

Avez-vous, ou une autre accusatrice a-t-elle, été contactée par un membre du gouvernement, depuis la révélation des affaires concernant Nicolas Hulot et Patrick Poivre d'Arvor ?

La ministre Elisabeth Moreno a rencontré certaines d'entre nous. Elle aussi a entendu, mais ensuite qu'est-ce qu'on fait ? Il ne suffit pas d'entendre. Il faut qu'il y ait des actes, il faut qu'il y ait une prise de conscience, il faut qu'on passe à l'étape d'après, c'est-à-dire réfléchir à ce qu'on peut mettre en place pour éviter que de telles situations d'impunité pendant des décennies perdurent. A chaque fois on entend ce leitmotiv "tout le monde savait" mais personne n'a voulu prendre ses responsabilités parce que ça met mal à l'aise. Evidemment, on n'a jamais vu de ses yeux, on devine des choses alors parfois c'est plus commode de faire comme si on ne savait pas, on n'est pas sûrs, on préfère regarder ailleurs. Maintenant ça devient difficile de regarder ailleurs parce que nous sommes des dizaines de femmes pour Patrick Poivre d'Arvor, des dizaines pour Nicolas Hulot, peut-être des centaines, on va voir dans les mois qui viennent. Ça devient difficile de regarder ailleurs mais tout balayer d'un revers de la main en disant "attention, attention pas d'inquisition" qu'est-ce que ça veut dire ?

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