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En compétition au Festival de Cannes, Christophe Honoré "ne pense pas que le cinéma doit dénoncer quoi que ce soit"

Le cinéaste Christophe Honoré, invité de franceinfo jeudi, évoque son film "Plaire, aimer et courir vite", en compétition au Festival de Cannes. 

Article rédigé par Jérôme Cadet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le réalisateur Christophe Honoré pose lors du Festival de Cannes 2011. (GUILLAUME BAPTISTE / AFP)

C'est le premier film français en compétition au Festival de CannesPlaire, aimer et courir vite, de Christophe Honoré, film franceinfosort en salles jeudi 10 mai, le jour de sa présentation sur la Croisette. L'écrivain, metteur en scène et cinéaste (Les Chansons d'amour en 2007, Les Bien-aimés en 2011, Les Malheurs de Sophie en 2016...) est l'invité de franceinfo jeudi pour évoquer cette histoire d'amour entre deux hommes au début des années 1990.

franceinfo : Ce film met en scène Arthur (Vincent Lacoste), un étudiant rennais, et Jacques (Pierre Deladonchamps), un écrivain parisien. Le premier est à l'aube de sa vie et se cherche. Le second est malade du sida. On est loin de l'univers des Malheurs de Sophie. Y avait-il chez vous une volonté de rupture ou aviez-vous cette histoire en tête depuis longtemps ? 

Christophe Honoré : C'est toujours intéressant quand les films s'opposent les uns aux autres dans une filmographie. Après un film pour enfants comme Les Malheurs de Sophie, j'avais envie de revenir à une histoire peut-être plus personnelle -même si finalement Les Malheurs de Sophie, c'est très lié à des souvenirs d'enfance- et à une espèce de récit qui essaie d'exprimer une période qui correspond à la période de ma jeunesse, les années 1990, et de rendre compte du changement dans le langage amoureux, dans la manière d'aimer, qui a pu s'opérer entre les années 1990 et aujourd'hui.

Vous dites que c'est "une histoire plus personnelle". Dans ce film, Arthur est originaire de Bretagne, comme vous. Il fait ses études à Rennes, comme vous. Jacques est écrivain, père et homosexuel, comme vous... Vous avez, d'ailleurs, écrit Ton père (éd. Mercure de France), sorti en septembre 2017. C'est votre histoire ? 

Finalement, une des définitions du cinéma d'auteur que j'aime bien, c'est l'idée d'un cinéma à la première personne, c'est-à-dire d'essayer d'exprimer dans ses films, quelque fois les scénarios, même si après le romanesque prend le relai évidemment, des émotions assez brutes, assez sincères, assez personnelles. Et d'essayer d'être au plus près de choses qu'on a vécues. Donc, peut-être que, là, ça semble plus frontal que dans d'autres films, c'est vrai.

Est-ce que cela a été douloureux ou heureux de vous replongez dans ces années 1990, dans votre histoire ?

Ça a été étonnant parfois, notamment à Rennes parce que j'ai réussi à filmer dans l'appartement où j'étais étudiant. Donc, c'est assez étrange de recréer sa chambre de 20 ans avec les mêmes posters...C'était le même endroit : rue Saint-Melaine, à Rennes. Mais, ce n'était pas douloureux. Et puis j'ai eu de la chance d'avoir deux acteurs qui sont des acteurs joyeux dans le travail, ce qui est assez agréable pour un metteur en scène. C'était plutôt un moment un peu nostalgique, mais j'espère que le film dépasse cette nostalgie pour essayer de se raconter au présent. 

Scène du film "Plaire, aimer et courir", de Christophe Honoré, en compétition officielle au Festival de Cannes 2018. (JEAN-LOUIS FERNANDEZ)

Les objets des années 1990 ont une place très importante dans le film, comme la cabine téléphonique à la fin...

Déjà, ces années sont difficiles à définir. Quand vous parlez d'un film des années 1970 ou 1980, vous voyez assez bien à quoi ça peut ressembler. Les années 1990, on ne sait pas trop finalement. C'est trop proche, ce n'est pas révolu et on sait juste que c'était, en gros, avant internet et les téléphone portables (...) Sur le téléphone, il y avait l'idée, notamment dans tout ce qui est la parade amoureuse, que c'était un objet beaucoup moins "policier" que le portable aujourd'hui. Le portable, les textos qu'on envoie, c'est toujours un petit peu pour fliquer l'autre, alors que là, c'étaient des rendez-vous qu'on donnait aux gens. Je me souviens d'avoir pu attendre 20 minutes devant une cabine téléphonique que quelqu'un rappelle après avoir laissé un message sur un répondeur. On était moins dans l'immédiateté des réponses. Je ne dis pas que c'était mieux avant, mais ces objets avaient un poids sur nos manières de vivre.

L'époque change, mais est-ce que le cinéma change ? Cannes est le premier festival de l'après-WeinsteinOn a parfois le sentiment qu'il y a un décalage entre ce cinéma qui dénonce et montre les maux de la société et ce cinéma qui peut-être a des difficultés à lui-même changer ? 

Personnellement, en tant que cinéaste, je ne pense pas du tout que le cinéma doit dénoncer quoi que ce soit. Je pense qu'un cinéma vise un point utopique d'une réalité, d'un imaginaire. Les grands cinéastes, les cinéastes dont la mise en scène soudain développe un univers, un monde, échappent à ce côté "miroir" de la société. N'attendons pas du cinéma ce qui n'est pas sa fonction. Je crois.

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