: Vidéo Projet de loi immigration : "On est en train de multiplier potentiellement le nombre de sans-papiers en France demain", alerte France Terre d'Asile
"Ce qu'on est en train de faire, c'est d'augmenter, de multiplier potentiellement le nombre de sans-papiers en France demain", alerte mercredi 1er février sur franceinfo Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d'Asile, dont le principal objet est le soutien aux demandeurs d’asile et à la défense du droit d’asile en France. Le gouvernement présente mercredi en Conseil des ministres le projet de loi sur l'immigration. Le texte prévoit notamment une série de mesures pour faciliter les expulsions, une réforme du droit d'asile et la régularisation des travailleurs sans papiers concernant les "métiers en tension". Toutefois, sur le volet "intégration par le travail", Delphine Rouilleault estime que "le ministre de l'Intérieur est prêt à reculer sur ce seul point qui aurait pourtant été le volet positif de ce projet de loi".
franceinfo : Que vous inspire ce projet de loi sur l'immigration ?
Delphine Rouilleault : Ce projet de loi nous inspire plus d'inquiétudes que de satisfaction. Il comporte un volet intégration par le travail qu'on aurait aimé pouvoir soutenir car effectivement, on a un vrai sujet d'intégration par le travail en France aujourd'hui. On a de très nombreux travailleurs sans papiers qui sont en réalité exploités par des employeurs qu'il faudrait pouvoir régulariser. Simplement, ce qu'on voit, c'est que ce sujet de l'intégration par le travail fait déjà l'objet de marchandages assez insupportables et de renoncements programmés. On voit le ministre de l'Intérieur annoncer déjà qu'il est prêt à reculer sur ce seul point qui aurait pourtant été le volet positif de ce projet de loi.
Cela veut dire que vous auriez pu soutenir ce projet de loi ?
On aurait pu le soutenir, mais ce qu'on ne veut pas, c'est voir le chantage qui est en train de se faire sous nos yeux de la part d'une droite parlementaire qui a décidé d'en faire un cheval de bataille très symbolique et caricatural.
Pour l'instant, Gérald Darmanin n'a pas reculé sur ce titre de séjour pour les "métiers en tension". On est là sur le thème de l'immigration choisie. La France a-t-elle raison de s'engager dans cette voie, comme le font d'autres pays dans le monde ?
La France prend le problème par le mauvais bout. En réalité, dans notre système d'asile et d'immigration, il y a un vrai enjeu qui est celui d'améliorer les conditions d'accueil et d'intégration pour qu'on puisse faire société. On a une société française aujourd'hui qui est traversée par des craintes et pour certaines personnes, il y a une forme d'hostilité ou d'inquiétude vis-à-vis des populations étrangères. Et ce qu'on aimerait avoir, c'est un projet de loi ambitieux qui permette d'éviter, par exemple, que des personnes dorment à la rue. Vous savez, les images de campements que l'on voit avec ces migrants demandeurs d'asile qui dorment sous des tentes, cela nourrit une représentation et un imaginaire qui n'est pas bon. Ce qu'on souhaite, c'est un projet de loi qui dise : "On a su avec les Ukrainiens faire que personne ne dorme dehors. Demain, on va vous faire la démonstration qu'on peut faire qu'aucun Afghan qui fuit l'Afghanistan à pied pendant un an pour rejoindre l'Europe ne dorme sous une tente à Paris". On se dit d'ailleurs qu'on a des leçons très positives à tirer de cet accueil des Ukrainiens. Je vous donne un autre exemple, l'accès au marché du travail.
"Recruter un étranger en France aujourd'hui, c'est une gageure."
Delphine Rouilleault, directrice générale de France Terre d'Asileà franceinfo
Les personnes réfugiées de guerre d'Ukraine ont pu accéder au marché du travail sans autorisation de travail. C'est un document administratif qui est en fait un frein très fort pour les employeurs. Si on arrivait à supprimer aussi les autorisations de travail pour les personnes étrangères et pour les demandeurs d'asile, on ferait un progrès significatif.
Gérald Darmanin ne se dit pas opposé désormais à l'idée de quotas sur l'immigration. Que pensez-vous de cette piste ?
On pense que ça dénature complètement le projet initial dans la mesure où, à partir du moment où on parle de régulariser, on définit des critères qui sont, en l'espèce, déjà très restrictifs. La loi telle qu'elle est présentée aujourd'hui n'est pas généreuse et en aucun cas elle ne va donner lieu à une régularisation massive comme la droite ou l'extrême-droite peuvent prétendre. Si on crée des critères de régularisation mais qu'ensuite on crée des quotas, quelque part, on crée un paradoxe et on va se retrouver avec des personnes qui vont être mises en concurrence les unes avec les autres.
L'autre volet de ce projet de loi immigration est de faciliter les expulsions, surtout des étrangers "délinquants". Pour faciliter ces expulsions, le gouvernement veut diminuer le nombre de recours possibles en justice. Aujourd'hui, il y en a douze possibles, Gérald Darmanin en veut seulement quatre. Est-ce une bonne idée ?
Le passage de 12 à 4 recours est une procédure de simplification des recours existants qui n'est pas absurde et qui n'est pas du tout, en l'espèce, une diminution des droits. On va avoir moins de possibilités de recours, mais les droits ne seront pas limités. Par contre, ce qui ne va pas du tout, c'est que cette réduction du nombre de recours, est assortie d'une réduction des délais de recours et qu'en réalité, ce qu'on est en train de faire, c'est d'empêcher les personnes qui se retrouveraient sous le coup d'une obligation de quitter le territoire (OQTF), de pouvoir la contester. Or, la France est la championne d'Europe en matière de délivrance d'OQTF. Il y a un quart des obligations de quitter le territoire délivrées en Europe qui sont délivrées par la France.
"On a une aberration dans notre système qui est qu'on délivre des obligations de quitter le territoire à des gens qu'on ne peut pas expulser et qu'on laisse dans une précarité et une espèce d'incertitude administrative qui n'a pas de sens."
Delphine Rouilleaultà franceinfo
Aujourd'hui, il y a des Afghans qui sont sous le coup d'une obligation de quitter le territoire, qui ne seront jamais renvoyés, mais pour autant, ils n'ont pas de papiers et ne peuvent pas travailler, et ne peuvent pas se loger. Et quelque part, on les installe nous-mêmes dans une précarité administrative qui est dramatique. Donc, la France délivre des obligations de quitter le territoire qu'elle ne sait pas exécuter. Ce qu'on est en train de faire, c'est simplement d'augmenter, de multiplier potentiellement le nombre de sans-papiers en France demain.
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