Trois questions sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution annoncée par Emmanuel Macron
L'annonce était très attendue par les militantes et associations féministes. Emmanuel Macron a déclaré, dimanche 29 octobre, que la "liberté des femmes à recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG)" allait être gravée dans la Constitution pour en faire un droit "irréversible" en 2024. Concrètement, "le projet de loi constitutionnelle sera envoyé au Conseil d'Etat cette semaine et présenté en Conseil des ministres d'ici la fin de l'année", a précisé le chef de l'Etat sur les réseaux sociaux.
Fondé sur le travail des parlementaires et des associations, le projet de loi constitutionnelle sera envoyé au Conseil d'État cette semaine et présenté en Conseil des ministres d’ici la fin de l'année.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) October 29, 2023
En 2024, la liberté des femmes de recourir à l'IVG sera irréversible. https://t.co/4uSoIJu310
Le chef de l'Etat souhaite ainsi rendre difficile toute tentative du législateur de porter atteinte ou de supprimer ce droit actuellement reconnu dans une loi ordinaire. La présidente du Planning familial, Sarah Durocher, a d'ailleurs salué dimanche sur franceinfo une "victoire des féministes", qui permettrait "d'inscrire l'avortement comme un droit fondamental" et de montrer que "constitutionnaliser le droit à l'avortement, c'est possible" à d'autres pays dans le monde. Franceinfo se penche sur cette annonce majeure qui reste encore à se concrétiser.
1 Pourquoi passer par un projet de loi constitutionnelle ?
Cette décision fait suite à un travail parlementaire entamé en 2022. La cheffe de file des députés La France insoumise, Mathilde Panot, avait fait adopter en novembre 2022 une proposition de loi constitutionnelle en première lecture à l'Assemblée nationale, garantissant le "droit à l'interruption volontaire de grossesse". Le Sénat l'avait à son tour approuvée en février, mais en inscrivant la "liberté de la femme" de recourir à l'IVG, plutôt que son "droit".
"Le vote au Sénat a montré qu'une voie était possible pour adopter une révision constitutionnelle", a assuré l'Elysée dimanche, selon des propos rapportés par l'AFP.
"Les deux chambres convergeaient vers quelque chose qui permettait de réviser la Constitution."
L'Elysée
Le 8 mars, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Emmanuel Macron, avait annoncé sa volonté d'inscrire dans la Constitution la "liberté" de recourir à l'IVG, dans le cadre de sa future réforme des institutions. Une fois passées les élections sénatoriales, fin septembre, le président de la République a réaffirmé le 4 octobre son souhait de voir aboutir cette promesse.
Contrairement à une proposition d'initiative parlementaire, un projet de loi de révision de la Constitution ne doit pas forcément être soumis en fin de course à un référendum : il peut aussi être approuvé par une majorité des trois cinquièmes des deux chambres du parlement réunies en Congrès. Un référendum sur le sujet risquait de laisser une tribune disproportionnée aux opposants du texte, a expliqué dimanche l'Elysée pour justifier le choix d'un projet de loi constitutionnel, selon l'AFP.
2 Quelle est la différence entre "droit" et "liberté" de recourir à l'IVG ?
Le président de la République a repris la terminologie adoptée par le Sénat, en privilégiant le terme de "liberté" plutôt que de "droit". Le choix de ce terme implique-t-il une différence importante pour le respect du droit à l'IVG ? Interrogée à ce sujet par Le Monde, la professeure de droit public Anne Levade, présidente émérite de l'Association française de droit constitutionnel, répond que la notion de "droit" à l'IVG engendre "un droit de créance, une obligation positive qui ferait que l'Etat doit tout mettre en œuvre pour faire en sorte qu'il soit effectivement exercé".
La formulation privilégiée par le Sénat, autour d'une "liberté", "vient en réalité consacrer textuellement ce qui est déjà la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet", poursuit la professeure auprès du Monde. "A chaque fois qu'il a eu à examiner un texte relatif à l'IVG, il l'a fait en rattachant le recours à l'IVG à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen." Celui-ci affirme que "la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui".
Le Sénat, avec sa formulation, "renforce en quelque sorte" la jurisprudence du Conseil constitutionnel, résume Anne Levade. De leur côté, des spécialistes interrogés par franceinfo rappellent, en parallèle, que les notions de "liberté" et de "droit" sont l'une comme l'autre fortement protégées par la Constitution.
3 Cette modification de la Constitution a-t-elle une chance d'aboutir ?
Il faut une majorité des trois cinquièmes du Sénat et de l'Assemblée nationale, réunis en Congrès, pour qu'un projet de loi constitutionnelle soit considéré comme adopté. Actuellement, il y a 577 députés et 348 sénateurs, soit 925 parlementaires. Il faut donc 60% de ce total, soit sur le papier 555 parlementaires, pour que le texte, qui sera porté par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, passe.
Or, 166 sénateurs s'étaient prononcés pour l'inscription dans la Constitution de la liberté à recourir à l'IVG et 337 députés avaient voté en première lecture pour la constitutionnalisation du droit à l'avortement. Soit un total de 503 parlementaires favorables à ce projet, loin des 555 requis. "Nous n'avons pas besoin de 555 voix, mais de 60% des voix exprimées", nuance cependant la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, très engagée en faveur de cette évolution. "Je compte sur le fait que là, on a eu 73% entre l'Assemblée et le Sénat", affirme-t-elle.
Néanmoins, rappelle à franceinfo un conseiller de l'exécutif, "quand on convoque un Congrès, le taux de présence est en général proche de 100%". Le seuil des 555 élus n'est donc pas seulement hypothétique. Pour autant, ce conseiller affiche une relative confiance sur l'issue du vote, expliquant que "toutes les contraintes politiques ont été prises en compte en amont". De plus, la rédaction retenue, proche de celle du Sénat, est le fruit d'"un vrai compromis".
Selon ses calculs, si on additionne les voix de la majorité présidentielle, de la Nupes et de Liot côté Assemblée, on totalise 414 voix. Du côté du Sénat, on arrive à 137 voix, en additionnant les suffrages de la gauche, des radicaux et de la majorité présidentielle. Soit un socle de "puristes" de 551 voix. Il faudrait donc, en misant sur 100% de présence, chercher quatre voix supplémentaires. Ce qui devrait être facilement le cas avec des voix centristes ou Les Républicains. "Le fait que l'on passe par un projet de loi constitutionnel et que l'on soit très respectueux du travail du Sénat peut nous permettre d'embarquer une bonne partie des centristes et un tiers des sénateurs LR", anticipe le même conseiller.
"Je suis optimiste sur notre capacité à convaincre les indécis. Voter contre une proposition de loi lors d'une niche au fond de la nuit, ce n'est pas la même chose que de s'afficher contre lors d'un Congrès", appuie le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.
"Honnêtement, je serais surpris si le texte ne passait pas. Il va y avoir une pression médiatique et populaire, au bon sens du terme, qui fera qu'une majorité est possible."
Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénatà franceinfo
Le texte devrait arriver devant le Congrès au printemps 2024.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.