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Outreau : l'avocat général "plaide" avec force l'acquittement de Daniel Legrand

Comme en 2005, le parquet a requis l'acquittement de l'accusé, non pas au bénéfice du doute, mais "parce qu'il est innocent". Comme en 2005, la défense a renoncé à plaider. Compte-rendu de l'audience de jeudi. 

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'avocat général Stéphane Cantero au procès de Daniel Legrand, à Rennes (Ille-et-Vilaine), le 4 juin 2015.  (DAMIEN MEYER / AFP)

L'avocat général avait ménagé son effet, posant deux chemises rouges cartonnées devant lui. Elles sont le symbole, selon lui, du peu de charges qui pèsent contre Daniel Legrand, jugé depuis trois semaines devant la cour d'assises des mineurs d'Ille-et-Vilaine, à Rennes. "De tous les cartons" de l'affaire Outreau, des vingt-sept tomes du dossier, "voilà ce qu'il reste qui concerne de près ou de loin Daniel Legrand fils", a résumé Stéphane Cantero, avant de requérir l'acquittement pour cet homme de 33 ans, jeudi 4 juin. 

La question principale qui réunit cette cour est la suivante : Daniel Legrand a-t-il commis des viols et des agressions sexuelles en réunion sur les enfants Delay pendant sa minorité, entre juillet 1997 et juillet 1999 ? L'avocat général a répondu par la négative, enjoignant les jurés de faire de même. "Je vous demande de dire 'non' parce que Daniel Legrand est innocent. Je veux que dans votre motif [depuis 2012, les verdicts doivent être motivés], il apparaisse clairement qu'il est innocent parce qu'il n'a rien fait, il est innocent !" a vociféré le magistrat. 

"Ce dossier nous plonge dans une malédiction"

Dans la foulée, les six avocats de la défense ont renoncé à plaider, lisant une simple déclaration. C'est exactement le même scénario qu'au procès en appel de 2005. Le procureur Yves Jannier avait alors requis l'acquittement des sept accusés restants, non pas au bénéfice du doute, mais parce qu'ils étaient innocents. Leurs avocats, dont certains sont de retour pour ce troisième procès, avaient eux aussi renoncé à plaider. Un cas de figure rarissime, qui se répète deux fois, pour une affaire judiciaire hors normes. 

Les avocats de la partie civile, qui ont plaidé la condamnation de Daniel Legrand, mercredi soir et jeudi matin, en ont convenu : "Ce dossier nous plonge dans une malédiction, on n'en sort pas indemnes, qu'on le veuille ou non." Mais selon les représentants de Jonathan, Chérif et Dimitri Delay, il n'y a pas rien dans le dossier d'instruction concernant Daniel Legrand. Et les éléments démontés par deux procès, en 2004 et 2005, pour la période postérieure à sa majorité, restent suffisants pour le condamner en ce qui concerne les faits, pourtant très peu circonstanciés, situés pendant sa minorité. Selon Patrice Reviron, prudent dans sa plaidoirie, Daniel Legrand aurait fait partie d'un "petit réseau" qui serait constitué de "pédophiles secondaires"

Outreau, une instruction kafkaïenne

L'avocat général n'est pas de cet avis, et il l'a fait savoir avec un talent d'orateur certain. "Moi, j'ai fait l'inverse de Me Patrice Reviron, j'ai repris le dossier avant de regarder ce qui s'était dit d'autre après. Et je me suis dit : 'Que vient faire Daniel Legrand dans l'histoire ?'" Il tonne : "Il n'y a rien dans le dossier, rien dans l'audience et c'est peut-être pour cela qu'on avait oublié Daniel Legrand. C'est un parmi dix-sept [accusés] et peut-être celui qu'on cite le moins dans l'affaire."

Stéphane Cantero, dont les interventions ont été rares mais toujours incisives, a comparé l'instruction d'Outreau menée par le juge Fabrice Burgaud à un monde kafkaïen rendant folles les personnes mises en cause. De quoi expliquer, selon lui, les aveux de culpabilité temporaires de Daniel Legrand. Et l'invention du meurtre d'une fillette, qui a fait basculer l'affaire dans la sphère médiatique avant de faire l'objet d'un non-lieu en 2007. 

La "pensée magique" de Dimitri Delay

Pour les listes de noms établies par Dimitri et son assistante familiale, qui ont fait apparaître un "Dany legrand en Belgique" et entraîné l'arrestation de deux Daniel Legrand, l'avocat général a une autre théorie. Celle de la "pensée magique". Quand l'enfant dénonce les viols de ses parents, "il continue à aller faire des dodos chez papa et maman. Alors il va accuser d'autres adultes et ça va marcher, le juge des enfants suspend définitivement les droits de visite", explique Stéphane Cantero. Puis, "quand il comprend que ses parents, qu'il aime malgré tout parce que c'est ambivalent, vont rester longtemps en prison, il fait une deuxième liste". "Il n'y a pas de raison pour que papa et maman soient les seuls à être punis", dit-il à sa "tata".

Les enfants Delay à l'époque de l'instruction et des deux premiers procès n'ont jamais accusé Daniel Legrand fils. Pourquoi le faire aujourd'hui ? "Les enfants Delay ne mentent pas, ils se trompent. Les images, les flashs, ce sont des souvenirs reconstruits", tranche le magistrat du parquet. En cause, selon lui, le traumatisme lié aux sévices et aux viols subis dans leur enfance, mais aussi à la procédure, qui les a "maltraités". Avant le procès, "tout ce qu'ils disaient devenait vrai. Arrivés à Saint-Omer, ce n'était plus le cas. On a commencé à questionner leur parole, rappelle Stéphane Cantero. Et pire, madame Badaoui, pour se disculper, va accuser devant la France entière ses enfants [d'avoir menti]. Mais quelle mère, quelle mère !" a-t-il clamé dans une salle aux aguets. 

"La peine d'incarcération de Myriam Badaoui, ça lui a fait du bien, considère le magistrat. Quand elle dit à Jonathan d'arrêter de vivre sur l'erreur, là, peut-être qu'elle fait preuve de ce qu'on attend d'une mère." L'avocat général se tourne vers Jonathan, le seul des trois frères présent aujourd'hui sur les bancs des parties civiles : "Il est temps, vraiment, que vous retrouviez votre vie." Le jeune homme quitte la salle sur ces mots. A Daniel Legrand, qui écoute attentivement depuis le début du réquisitoire, Stéphane Cantero déclare : "Je souhaite vraiment que vous vous en sortiez de tout ça." Ses avocats, dans leur déclaration, lui souhaitent également de pouvoir "enfin se promener la tête haute, comme tous les autres acquittés". Le verdict est attendu vendredi.

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