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Clichy-sous-Bois : la douleur des frères de Zyed et Bouna, dix ans après

C'était il y a 10 ans, à Clichy-sous-Bois. Zyed et Bouna, deux adolescents de 15 et 17 ans, mourraient électrocutés dans un transformateur EDF. Après ce drame, des émeutes s'étaient étendues à plusieurs villes. Jacques Chirac, le président de l'époque, avait alors décrété l'état d'urgence dans le pays. Nous avons rencontré les grands frères des deux victimes. Leur douleur est intacte.
Article rédigé par Sébastien Baer
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  ("Dès qu'on approche du 27 octobre, on stresse, on se rappelle de ce qui s'est passé en 2005," raconte Adel Benna, le frère de Zyed © Radio France / Sébastien Baer)

Ensemble, les deux familles ont fait front, pendant 10 ans. Les Traoré, qui ont perdu Bouna, 15 ans. Et les Benna, la famille de Zyed, 17 ans. Ce film de cette triste soirée du mois d'octobre 2005, Siyakha Traoré et Adel Benna, les deux grands frères de Zyed et Bouna se le repassent en boucle. "J'ai plus ou moins sacrifié ces 10 années de ma vie à cette affaire, en représentant ma famille lors des étapes judiciaires qu'on a traversées, " raconte Siyakha. "Notre vie s'est arrêtée le 27 octobre 2005, " ajoute Adel. "Chaque jour on pense à lui, parce que c'est de l'injustice... Il est mort innocent, il a rien fait, il rentrait d'un match de foot, je ne vois pas ce qu'il a fait de mal. On était une famille ordinaire, sans histoires. Et ça nous poursuit toute notre vie ".

"Justice n'a pas été rendue "

Pendant 9 ans et demi, les familles ont attendu que les deux policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger soient jugés. Le procès s'est finalement tenu au mois de mars. Et quelques semaines plus tard, courant mai, le jugement est tombé. Relaxe pour les policiers. Un moment évidemment dur à vivre pour les frères de Zyed et Bouna. "J'étais partagé entre la déception et la colère, c'est catégorique, je ne suis pas d'accord avec le jugement qui a été rendu. Maintenant, qu'est-ce qu'on peut faire ? On a utilisé tous les recours. On ne peut pas se permettre de faire justice soi-même. On s'est battus, on a fait preuve de patience, malheureusement il y a eu cette relaxe, " regrette Siyakha.

"Malgré les preuves accablantes qu'il y a dans le dossier, justice n'a pas été rendue. C'était très long et très dur pour nous. On vivait pour ce procès et pour entendre la vérité, malheureusement ça ne s'est pas passé comme ça, " dit Adel. Maintenant que la justice s'est prononcée, les deux frères de Zyed et Bouna disent qu'ils vont tenter de tourner la page, de passer à autre chose.

Rapports police/jeunes

Ce drame a-t-il permis d'apaiser les rapports souvent tendus entre la police et les jeunes des quartiers dits difficiles ? Siyakha, qui vit toujours dans la cité du Chêne Pointu, à Clichy, préfère ne pas répondre à la question.

Mais Adel, le frère de Zyed, a un avis très tranché. Pour lui, les rapports avec les policiers sont toujours conflictuels. "Depuis 2005, on parle beaucoup des quartiers, on parle beaucoup du racisme, il y a aussi l'islamophobie... Depuis 2005, je trouve que la situation a empiré. Malheureusement, la justice ne nous a pas donné raison et ça a créé encore plus de distance entre jeunes et policiers. Il y a un sentiment de haine et d'injustice. Les policiers ont raison et les jeunes des quartiers sont des délinquants et des voyous et il faut passer le kärcher? ", estime le frère de Zyed.

Commémoration à Clichy

Il reste à Clichy une stèle, à la mémoire des deux adolescents, à deux pas du collège Robert Doisneau. Et puis des commémorations, chaque année. Cette fois, la cérémonie sera un peu particulière, à l'occasion de ce dixième anniversaire. Mais tous les ans, Adel et Siyakha redoutent cette date. "On ne les oublie pas, chaque année on est là, on commémore ", dit Siyakha. Adel : "Dès qu'on approche du 27 octobre, on stresse, on se rappelle de ce qui s'est passé en 2005, donc on n'est pas bien. Je ne peux pas oublier ça, depuis que j'ai reçu l'appel pour me dire que mon frère a eu un accident grave et qu'il faut venir chez mes parents, je n'oublie aucun détail. Je fais même des cauchemars. Le 27 octobre 2005, j'ai l'impression que c'était hier ".

Après ce drame, les parents de Zyed sont partis en Tunisie. Et Adel, qui vit dans le département de l'Essonne, s'apprête à suivre le même chemin. Trop de souvenirs, trop d'espoirs déçus, dit-il. "On a pris la décision après le verdict, avec ma femme, parce que la justice a donné raison aux policiers. Donc, je ressens ça comme une trahison, une déception, et je ne peux pas rester ". Le jeune homme quittera la France dans quelques semaines. La famille de Bouna vit toujours à Clichy, dans la cité du Chêne Pointu. Les deux familles sont toujours très soudées, dix ans après le drame. Mais elles ont pris des chemins différents.

Clichy-sous-Bois : la douleur des frères de Zyed et Bouna, dix ans après. Le reportage de Sébastien Baer

Les deux frères racontent leur histoire dans un livre paru aux éditions Don Quichotte : Zyed et Bouna  (avec Gwénaël Bourdon)

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