Au tribunal, Dieudonné se sent toujours "Charlie Coulibaly"
Le polémiste était jugé, mercredi, à Paris, pour apologie du terrorisme. Il a assumé sa formule controversée, publiée sur Facebook après les attentats.
"Sachez que, ce soir, en ce qui me concerne, je me sens Charlie Coulibaly." Près d'un mois après avoir écrit cette phrase, sur Facebook, le soir de la marche du 11 janvier, l'humoriste Dieudonné M'Bala M'Bala était convoqué, mercredi 4 février, devant le tribunal correctionnel de Paris. Il était jugé pour apologie du terrorisme. Devant le tribunal, le prévenu a défendu ses propos, qu'il a justifiés comme "une recherche de paix" inspirée par le catholicisme. Des arguments qui n'ont pas convaincu le parquet, qui a requis une "importante peine" d'amende, suscitant les huées de la foule à l'extérieur.
Arrivé dans la 12e chambre par un couloir discret, à l'abri de ses sympathisants et des caméras, Dieudonné se lève et se présente à la barre. La petite salle en bois est protégée par une douzaine de gendarmes. La plupart du public a été retenue à l'extérieur, faute de place. Habillé d'une veste noire et d'un pantalon kaki, le prévenu commence par montrer patte blanche. Il "condamne sans aucune retenue ni ambiguïté les attentats", puis assure avoir participé à une marche locale, le 11 janvier, dans son village du Mesnil-Simon (Eure-et-Loire). "Je me sens Charlie", affirme-t-il, indiquant "avoir perdu un collègue", le dessinateur Tignous, avec qui il a écrit un livre.
"Je voulais une parole de paix"
Pourquoi donc ajouter "Coulibaly" à sa formule, en référence à l'auteur des attaques de Montrouge et de la porte de Vincennes ? "Je voulais une parole de paix, je suis dans une recherche de paix, explique le polémiste. Je suis dans l'inspiration qui m'est la plus chère, le catholicisme chrétien. La paix du Christ, c'est être entre la victime et le bourreau, c'est 'aimez-vous les uns les autres'. La paix, c'est 'Je me sens Charlie Coulibaly'. 'Je suis Charlie', ça ne suffit pas."
Appelant à dépasser le stade "des gentils et des méchants", le prévenu déplore le manque de "réflexion" publique autour de sa formule, "profonde", qui aurait été mal interprétée et parfois résumée par erreur en "Je suis Coulibaly". "C'est toujours la même défense avec vous : on n'aurait rien compris", s'emporte un avocat des parties civiles, toutes des associations de lutte contre l'antisémitisme.
Interrogé sur l'emploi du nom Coulibaly et non de Kouachi, Dieudonné instille une dimension intime à sa défense, en tentant une allusion à la policière municipale Clarissa Jean-Philippe, tuée à Montrouge. "Clarissa était jeune et antillaise, elle ressemblait trait pour trait à ma fille, poursuit-il. Coulibaly était noir et a tiré dans le dos de ma propre enfant, voilà pourquoi j'ai choisi de citer Coulibaly. Il n'y a jamais eu de volonté de ma part de faire l'apologie du terrorisme." En face, les parties civiles n'y croient pas. "S'il n'a pas dit 'Je suis Charlie Kouachi', c'est parce que les Kouachi n'ont pas tué de juifs", avance un avocat.
"Vous jouez systématiquement sur l'ambiguïté"
Lors de ses réquisitions, la procureure dit avoir "beaucoup de mal à être convaincue par le message de paix" du prévenu.
Venir nous dire qu'apposer les noms Charlie et Coulibaly est un message de paix évident pour tout le monde le soir du 11 janvier est une provocation.
"Vous jouez systématiquement sur l'ambiguïté, monsieur Dieudonné", poursuit la représentante du parquet. Elle voit dans les propos du polémiste une stratégie visant à "choquer et attirer l'attention", pour revenir "au centre du débat". Elle rappelle les antécédents de Dieudonné en matière d'antisémitisme et souligne que des victimes d'Amedy Coulibaly ont été tuées "parce qu'elles étaient de confession juive". Surtout, elle affirme que, "quand on donne la même place à tous les morts, on donne aussi un statut de héros aux terroristes, puisque la marche a présenté les victimes comme des héros".
Considérant les propos, le contexte, ainsi que l'audience et la personnalité de Dieudonné, comme étant "constitutifs du délit d'apologie d'un acte terroriste", la procureure requiert une peine de 30 000 euros d'amende, transposable, en cas de non-paiement, en 200 jours de prison. Des réquisitions immédiatement dénoncées par des sifflets à l'extérieur de la salle.
Délibéré le 18 mars
Dieudonné a-t-il voulu glorifier Amedy Coulibaly ? "Non, il a juste voulu lui restituer sa stature d'homme, riposte l'un de ses avocats, dans une ambiance tendue entre les deux camps. Qui mieux que Dieudonné peut comprendre cette situation, lui qu'on désigne comme un rebut de la société et que l'on traite comme un terroriste, avec 81 procédures judiciaires en six mois ?" Le prévenu serait, selon son conseil, victime d'un "acharnement" politique et coupable de simplement "se revendiquer d'un homme qui prône d'aimer ses ennemis".
L'affaire a été mise en délibéré au 18 mars, au son des "Libérez Dieudonné" et des chants entonnés par les fans massés à la sortie de la salle d'audience.
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