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Témoignages "Ils attendent qu’on meure !" : 650 vétérinaires retraités réclament en vain le paiement de leur pension

Ils ont en moyenne aujourd'hui plus de 80 ans et ont travaillé pendant 40 ans pour l'État, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, mais ne touchent aucune retraite pour cela. Quelque 650 anciens vétérinaires français réclament compensation depuis une dizaine d'années, en vain.
Article rédigé par franceinfo - Romane Brisard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Claude Delambre président de l'association Vaise (Vétérinaires en action pour une indemnisation du mandat sanitaire exclus) (CAPTURE D'ECRAN FRANCE 2)

En 1945, l'Allemagne capitule, mais en France, l'économie toute entière est à reconstruire. À la campagne, dans les fermes, la guerre a laissé s'installer de violentes épidémies. "Les cheptels bovins étaient dans un état lamentable", se souvient Jean-Charles Plaignard, 85 ans aujourd'hui. "Parmi toutes les maladies de l'époque, la N°1 à combattre pour la santé publique, c'était la tuberculose bovine, transmissible à l'homme". 

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Il faut donc, à ce moment-là, vacciner en masse. Mais l'État manque de bras : ses agents ne lui suffisent pas. Comme Jean-Charles, il appelle donc en renfort des centaines de vétérinaires libéraux. "Le ministère de l'Agriculture nous a demandé d'éliminer toutes les vaches tuberculeuses. Et cela prenait beaucoup de temps..."

Des dizaines d'années de travail, aucune cotisation

Identification des bêtes, injections, contrôles, bilans : chaque jour, pendant près de 40 ans, Jean-Charles enchaîne les missions pour le gouvernement et devient à ce titre, agent d'État. L'État aurait donc dû, comme tout bon employeur, prélever des cotisations sociales à ses salariés pour qu'ils puissent bénéficier des droits garantis par le régime général de la Sécurité sociale. Ce ne sera pas le cas.

Le 14 novembre 2011, le ministère de l’Agriculture est donc condamné par le Conseil d’État à indemniser ces vétérinaires. Une procédure à l'amiable voit le jour, par le versement d’une pension de retraite du régime général dont ils avaient été exclus jusqu'ici. Quelque 1 300 heureux élus reçoivent alors un dédommagement moyen de 100 000 euros. L'histoire aurait pu en rester là, si quelque 650 autres dossiers de réclamation n'avaient pas eux été classés comme "prescripts" par l'État. 

"Quand le ministère de l'Agriculture a découvert qu'il y avait autant de dossiers qui arrivaient sur son bureau, ils ont trouvé un moyen d'en éliminer un certain nombre en invoquant la prescription quadriennale, soupire l'ancien vétérinaire, Claude Delambre, président de l'association Vaise (Vétérinaires en action pour une indemnisation du mandat sanitaire exclus) qui regroupe les plaignants. Une règle qui vise à supprimer les droits des vétérinaires s’ils ne réclament pas leur pension dans les quatre années suivant leur cessation d'activité.

"Tous les vétérinaires qui ont fait leur demande plus de quatre ans après leur départ en retraite se sont trouvés mis sur la touche ! Leurs dossiers ont été mis dans un placard..."

Claude Delambre, président de l'association Vaise

À franceinfo

En réalité, comme le prouvent deux arrêtés pris dans les années 1960, à l'époque, ces vétérinaires percevaient des honoraires et non des salaires, raison pour laquelle ils ne pensaient pouvoir prétendre à une affiliation aux caisses de retraite du régime général. Ce n'est donc qu'en 2011, année où le Conseil d'État condamne le ministère de l'Agriculture et reconnaît finalement ces campagnes sanitaires comme des missions gouvernementales, que les plaignants se sont manifestés. D'où leur revendication : repenser ce principe de prescription. 

Entre 600 à 1 000 euros de retraite par mois en moins

"On veut bien considérer que la prescription existe : c'est une loi et il n'est pas question de l'annuler, poursuit Claude Delambre. Mais on demande que son application soit faite à partir du jour où on a eu connaissance de nos droits. Les 650 dossiers qui sont dans un placard pourront ainsi au moins être considérés. C'est du simple bon sens, et c'est un droit, puisque c'est de l'argent que l'État aurait dû nous verser."

Préjudice estimé pour Claude : 600 à 1 000 euros de retraite par mois, selon les calculs de l'avocat de son association. Onze ans, déjà, que ses membres se battent, à grand renfort de rencontres avec différents sénateurs, ministres, directeurs de cabinet, de mails, et, plus récemment, d’une proposition de loi. Ils ont même sollicité, par courrier, l’épouse du président de la République. Las : peu de réponses, pas de mouvement. Conclusion de Claude : "Ils attendent qu'on meure... Quand on sera partis, le problème sera résolu !" Ces plaignants sont en moyenne âgés de 83 ans.

Le reportage de Romane Brisard pour franceinfo

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